Renaud, il chante plus, il boit (presque) plus, mais il cause

Serge

22 novembre 2010

Le chanteur énervant préféré de l’hexagone se fait très rare depuis quelques années, aussi bien dans les médias que sur disque. Simple pas de côté, mise à l’écart ? A l’occasion de la publication d’une intégrale en vinyle, Renaud sort exceptionnellement de sa tanière.

Mais où était donc passé Renaud ? Bien sûr, il y a eu l’an dernier la sortie de Molly Malone, un album de reprises de chansons traditionnelles irlandaises, mais le « vrai » Renaud, celui qui chante mieux que personne l’amour et la rébellion, parfois dans la même chanson, avait disparu des radars depuis 2006 et l’album Rouge Sang. Renaud ne fait plus guère de boucan, d’enfer ou pas. Tapi dans sa tanière banlieusarde, le renard encore ensommeillé est atteint du syndrome de la « désabusion » chère à Nino Ferrer. Mais le docteur Renaud n’a pas dit son dernier mot. Des crises, il en a eu, des pannes d’inspiration aussi. Alors, derrière cette apparente mélancolie automnale, se cache sûrement un prochain retour en grâce. Renaud, l’Hexagone est morgane de lui depuis trente-cinq ans et il reste l’une des références incontournables de la nouvelle scène française. Illustration la plus récente en cette fin d’année, les radios ne cessent de diffuser la chanson de Raphaël « Le Patriote », où l’on entend ces mots: « Mon pote Renaud tu nous manques tant putain/Réveille-toi car la France/C’est devenu salement déprimant/Depuis qu’t’es parti en vacances ». Ce silence veut peut-être aussi dire beaucoup. Face à une France bien malade, il est difficile d’être enragé lorsqu’on n’est soi-même pas bien portant. Mais Renaud est rusé. Il tire ça du renard qui dort en lui. Il finit toujours par retrouver son flingue. La preuve: soudain, l’animal a jailli, il a dit « oui » à Serge. Il voulait bien nous rencontrer a l’occasion de la sortie en vinyles de L’Intégrale remastérisée de tous ses albums studio. Et même se prêter à une séance photo. Rendez-vous fut pris dans son « bistrot préféré » La Closerie des Lilas, à deux pas de ce XIVe arrondissement qu’il affectionne tant.

Serge: Pourquoi sortir cette intégrale vinyle alors qu’il existe déjà une intégrale CD ?

Renaud: Il y a une nostalgie pour le vinyle de la part de mes fans qui ont une passion pour ce bel objet. Mais les jeunes sont aussi attirés par ce format. Et puis c’était l’occasion de faire parler de moi, de relancer ma carrière.

Vous trouviez qu’on ne parlait pas assez de vous ?

Mon dernier vrai album date de quatre ans, je ne suis donc pas dans l’actualité. Quand on parle de moi, c’est sur Internet, pour me démolir, sur ces petits sites et blogs où des milliers de frustrés se prennent pour Pierre Desproges ou Antoine de Caunes et éprouvent un malin plaisir à m’allumer, pour des raisons artistiques ou politiques.

C’est bizarre d’accorder de l’importance à cela alors que Molly Malone s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires, ça prouve que beaucoup de gens vous aiment…

Tous les jours, je reçois des témoignages de gens qui m’aiment et me disent que je leur manque. Je leur réponds : Qu’est-ce qui vous manque : ma voix pourrie qui se désagrège d’année en année ? Mes chansons ? Mes textes ? Je ne sors plus de disques parce que je suis en panne d’inspiration. Je n’ai pas écrit de chansons originales depuis quatre ans. C’est un peu frustrant, et sur scène, étant donnée ma voix qui se détériore (merci, Monsieur Marlboro), je n’ai pas tellement envie de chanter.

<< RENAUD, SERGE ET GEORGES…

Vous me dites que Brassens est au purgatoire ? C’est sûr qu’un Gainsbourg était plus rock, dans l’attitude. Dans notre histoire, il est plus présent car plus contemporain pour la génération des 40/60 ans. Mais Brassens est quand même très souvent cité par les jeunes auteurs qui débutent. Comment écrire des chansons quand tu n’as pas été bercé par Brassens ? Brassens, c’est une œuvre, une humanité entière qui est développée dans tous ses titres. C’est la tendresse, l’amitié, le temps qui passe et l’injustice. Avec toujours une écriture flamboyante et une musique tellement riche. En apparence, elle peut paraître monotone par son côté minimaliste: guitare et contrebasse, mais tous ceux qui composent savent la force de ses mélodies sublimes. Dans mon panthéon personnel, il y a d’abord Brassens et puis Gainsbourg. Gainsbourg me fatiguait un peu, mais il arrivait toujours finalement à me toucher. >>

Pourquoi cette panne d’inspiration ?

Chanteur, c’est avant tout une voix. Après, seulement, il y a l’écriture. Mais j’ai l’impression que ça se tarit, même si chaque jour des sujets d’actualité me mettent en colère et pourraient me donner des idées de chansons. Pourtant, commenter ce monde, le critiquer, me paraît totalement futile aujourd’hui.

Ne rien faire, ça ne revient pas à donner raison à ceux qui vous critiquent ?

Quand j’entends un gars comme Raphaël, ce gentil garçon, qui me rend hommage en disant « Renaud, arrête tes vacances on a besoin de toi », citant comme exemple « Hexagone », une chanson où je saisis mon flingue, je me dis qu’il est bien gentil mais que c’était il y a trente ans. Aujourd’hui, j’ai 58 ans et j’ai pris des coups dans la gueule.

C’est toujours d’actualité « Hexagone » ?

C’est prétentieux de le dire mais c’est une chanson éternelle. Si je devais l’écrire aujourd’hui, je la referais telle quelle. Mais composer un « Hexagone » actuel pour parler des grèves et du droit à la retraite, je ne me sens pas de le faire. Si des jeunes rappeurs ont envie de prendre le relais, je le leur laisse bien volontiers.

Et des chansons plus personnelles comme « Mistral gagnant », vous en sentez-vous capable ?

Je ne sais plus faire, j’ai perdu la sève. Même mon fils de 4 ans qui devrait m’inspirer de belles chansons, pour parler de son avenir, de la société dans laquelle il va évoluer, et bien, non, ça ne m’inspire pas. Les chansons d’amour, c’est pareil. J’ai beau vivre amoureux en couple, en famille, la vie quotidienne ne m’inspire pas beaucoup depuis que j’ai quitté Paris, mon XIVe arrondissement où j’ai vécu pendant cinquante-cinq ans.

Pourquoi avez-vous quitté Paris ?

Ma femme voulait un jardin pour le bébé, elle voulait vivre en banlieue. Et moi, comme un con, j’ai accepté de bonne grâce de trouver une maison, très belle d’ailleurs, où je m’étiole, où je meurs à petit feu. Je suis loin de Paris, de mes potes, de mes petits bistrots.

Vous êtes toujours un amoureux de Paname ?

Toujours. (il énumère) le XIVe, Denfert-Rochereau, Montparnasse, le XVe, le square Georges Brassens. En banlieue, j’habite une rue qui donne sur un cimetière, avec comme voisin le plus proche un marbrier. Il n’y a pas une boutique dans la rue, pas un bistrot à moins de 500 mètres à pied. Par contre, c’est très joli, très calme, manquerait plus qu’il y ait de la délinquance! (rires)

Ça fait quoi de voir grandir son fils ?

Ça fait plaisir et ça fait peur. On s’angoisse tous les jours pour son avenir, qu’il soit déçu, abîmé par la vie, qu’il ait des soucis comme on en a tous eu à l’adolescence : être suicidaire, tomber dans la dope, sans parler de la vraie drogue, le tabac et l’alcool. Pour l’instant, il est dans l’insouciance de ses 4 ans.

Vous apprenez des choses avec lui que vous n’aviez pas apprises avec Lolita ?

J’avais des rapports plus proches avec ma fille, parce que c’était une fille. Lui est plus tourné vers sa mère, mais il m’a demandé l’autre jour : Est-ce qu’il va pleuvoir hier ? Tant qu’il y aura de la poésie comme ça à la maison…

Qu’aimeriez-vous lui transmettre ?

Que chanteur, c’est le plus beau métier du monde, au moins au début. Je vais l’encourager à faire de la musique : à 5 ans, il jouera du piano ou de la guitare, de gré ou de force. Même s’il abandonne au bout d’un moment, il aura les bases. Moi, je n’ai jamais appris, mes parents ont essayé de m’apprendre la musique à 6 ou 7 ans et j’ai renoncé. Ils n’ont pas eu l’autorité de me forcer à continuer, et je le regrette.

Où en êtes-vous avec votre double Renard ?

Il revient de temps en temps montrer son museau. La preuve… (il montre son verre)

Il a certainement moins de chances de revenir à Meudon qu’à Paris…

Si j’étais à Paris tout seul, je replongerais comme j’ai plongé au début de la décennie où je buvais un litre de pastis par jour. J ‘en suis loin aujourd’hui. Cette période a duré trois ans et depuis je me fais sans cesse traiter d’alcoolique par tous les médias qui veulent m’assassiner. Pourtant personne ne peut se vanter de m’avoir vu en état d’ivresse depuis six ans.

C’est aussi parce que vous n’avez jamais caché cette faiblesse…

J’aurai dû fermer ma gueule. Personne n’aurait rien su. Je n’étais même pas alcoolo, j’étais ivrogne. Je prenais ma petite cuite de temps en temps. Mais je vivais bien et paradoxalement c’était une période heureuse de ma vie, même si j’étais malheureux en amour. Je vivais à la Closerie des Lilas, ce bistrot magnifique, je rencontrais plein de gens, il y avait Étienne Roda-Gil, mon compagnon de table… Je n’ai pas de mauvais souvenirs de cette époque. Sauf physiquement parfois, des difficultés à me réveiller le matin. J’étais bien… sauf que j’étais malheureux parce que ma blonde m’avait quitté. Puis j’en ai trouvé une autre qui m’a sorti du trou.

Est-ce que ça vous a sauvé la vie ?

Par la force des choses. Elle n’était ni autoritaire, ni excessive, mais catégorique: soit tu arrêtes de boire, soit on ne se voit plus. Comme je voulais la voir et l’aimer tous les jours dans mon lit, j’ai arrêté de boire. Et là, depuis quelques mois, je repique au truc tout doucement, au lieu de boire un pastis par jour, j’en bois deux.

Qu’est-ce qui vous a empêché de tomber dans la drogue ?

J’aime rester maître de ma conscience et la dope altère ma conscience : une taffe de joint c’est comme un LSD pour d’autres, je ne supporte pas. Je préfère trois petits pastis peinard. Mais je suis esclave du tabac et victime de cette mafia du crime organisé (il tousse) qui a fait 100 millions de morts au XXe siècle et qui en fera 1 milliard au XXIe.

En produisant Romane Serda, votre femme, vous lui avez en quelque sorte renvoyé l’ascenseur…

C’était un acte d’amour que de produire financièrement et artistiquement ses deux albums, notamment le premier que j’ai adoré. Elle en est au troisième, je suis toujours là pour produire financièrement mais, artistiquement, je ne m’en occupe plus trop. Elle a préféré prendre ses distances. Comme beaucoup de gens, elle pensait que ma présence était encombrante pour sa carrière.

Vous avez également produit Benoît Dorémus.

Je le reconnais comme mon fils spirituel: par ses influences, son style d’écriture, quelque chose de flamboyant, en même temps critique de la société, et qui fournit un portrait de la jeunesse d’aujourd’hui tellement lucide.

Vous suivez ce qui se passe en chanson française ?

Je suis ce que j’entends à la radio quand je suis en bagnole. J’ai honte de le dire, mais j’écoute Chérie FM et Chante France. Je préfère écouter trois bons vieux Joe Dassin ou un Mike Brant que le dernier Saez. J’aime bien Rose, Élodie Frégé, Jeanne Cherhal, Clarika et chez les garçons Raphaël, Bénabar, Doremus, Renan Luce, Benjamin Biolay, Vincent Delerm.

Est-ce que vous vous intéressez encore à la politique ?

Je n’aime pas la France selon Sarkozy, mais je n’ai pas une grande confiance dans l’opposition et dans ses leaders. Au premier tour de toutes les élections, je vote écolo même si aujourd’hui le choix d’Eva Joly est un peu iconoclaste. Je l’ai connue quand elle était juge antiterroriste et qu’elle faisait chier les Basques. J’ai un peu de mal avec elle. Je suis désabusé comme pas mal de Français mais ils continuent à manifester dans les rues et à bloquer les raffineries. C’est encourageant de voir que tout le monde ne baisse pas les bras comme moi.

La politique était au centre de la biographie écrite par Christian Laborde (Renaud – Biographie), notamment sur les liens de certains membres de votre famille avec l’extrême droite…

Je lui ai parlé de secrets de famille en lui disant que c’était off record et il les a publiés. Tout ce que je lui ai raconté sur ma carrière et mes chansons, il l’a un peu zappé. Il s’est répandu sur le passé de mon grand-père qui était militant communiste mais qui a mal viré pendant la guerre en étant pour Jacques Doriot, le collaborateur, créateur du Parti populaire français. Il est allé chercher des arguments dans un ouvrage sorti par une officine d’extrême droite. Il a raconté aussi en long et en large que mon père était un collabo. Alors que pendant deux ans, il n’était qu’un obscur traducteur d’allemand à Radio Paris au cinquième sous-sol, où il ne traitait que des nouvelles d’informations générales et rien qui eût trait à la guerre. Tout ça m’a valu de me faire traiter de petit-fils et fils de SS.

Est-ce vous regrettez que les journalistes ne vous parlent pas plus de vos chansons ?

Ils ne me parlent jamais de mes chansons. Ils ne me parlent que de politique ou de polémique. Le grand sujet qui dure depuis deux ans c’est pourquoi je n’étais pas à la libération d’Ingrid Betancourt. J ‘étais dans mon petit Village à L’lsle-sur-la-Sorgue (où le chanteur possède une résidence secondaire, ndlr) quand j’ai appris qu’elle était libérée. Carla Bruni m’a envoyé un texto me disant : « On vient te chercher ». J’ai répondu non, je suis en vacances, je ne remonte pas à Paris. J’ai fait mon boulot avec des dizaines de concerts de solidarité, j’ai filé de l’argent, je me suis dépensé corps et âme. Je ne voyais pas l’intérêt de me mélanger à Ingrid et sa famille et à des dizaines et des dizaines de journalistes et d’hommes politiques qui venaient parader à sa libération. Quand j’ai vu les images à la télévision, je n’ai pas regretté de ne pas y être allé.

En fin de compte, est-ce que vous n’êtes pas bouffé par la nostalgie ?

C’est épuisant de passer ses jours et ses nuits à repenser à son enfance et à son adolescence. Chaque année qui passe, la nostalgie se rapproche. Je pense de moins en moins à la petite enfance mais aux années 80 par exemple, et dans dix ans ce sera les années 00. Il y a aussi cette chanson, la première que j’ai écrite depuis quatre ans, qui s’appelle « Tous ceux qui tombent » : « Tous ceux qui tombent autour de moi / C ‘est l’hécatombe, c’est Guernica/Tous ceux qui tombent à tour de bras/ Et moi et moi je suis toujours là. » Ça tombe autour de moi à vitesse grand V, des AVC, des sidas. Je me dis que j’ai une constitution assez robuste, entre ce que je fume et ce que je sirote.


Les Vinyles- Intégrale studio 1975-2070 (Virgin) – les albums studio remastérisés
Le Plein de super (Virgin) – best-of en trois CD’s
http://www.renaud-lesite.fr/

  

Sources : Serge et Le HLM des Fans de Renaud