Renaud : il rêve de devenir comédien

Télé Magazine

N° 1466, du 10 au 16 décembre 1983


FR3
20.35 Cadence 3

Emission de Guy Lux et Lela Milcic présentée par Guy Lux et Sophie Darel.

Michel Sardou est l’invité d’honneur de Guy Lux qui présente une rétrospective de la carrière du chanteur. Avec également Eddy Mitchell, Sheila et Renaud.


MECREDI 14 DÉCEMBRE

FR3

20H35  CADENCE 3

RENAUD confia, un jour, à un confrère journaliste : « passer chez Guy Lux, c’est pas ce qu’y a de mieux à la télé française en matière de variétés, mais chez Guy Lux, je chante devant vingt millions de télé-spectateurs… ».

Il faut croire que Renaud s’est fait violence puisqu’à l’occasion de la sortie de son nouvel album « Morgane de toi » et à l’approche de son passage, le mois prochain à la porte de Pantin il participe, ce soir, à « Cadence 3 ».

« Auteur par plaisir, compositeur par nécessité, interprète par provocation » ainsi qu’il se définit, lui-même, Renaud n’a de cadeau à faire à personne, même si sous son image de marque on discerne une immense sensibilité et beaucoup de tendresse.

Renaud s’exprime comme un loubard, s’habille de cuir comme un loubard, arbore des tatouages de loubard, mais se défend bien d’avoir été, à un moment ou à un autre de son existence un loubard : « J’suis bien avec les voyous, ils m’amusent, leur folie-même me fascine. Mais ce sont des violents et je suis un tendre, volontiers romantique à l’occasion. Nous n’avons en commun, que notre révolte, et quelques souvenirs d’enfance : quand j’étais gosse, j’habitais près d’un terrain vague. A la sortie de l’école, je jouais avec des mômes de la rue venus de Montrouge ou de Bagneux. Ils étaient complètement livrés à eux-mêmes, moi non. Je jouais avec eux de quatre à huit heures, après je rentrais chez moi et je n’avais plus qu’à suivre le rythme de la famille ».

Renaud (Séchan pour l’état civil) naît en 1952 près de la porte d’Orléans. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, il est nanti d’un jumeau et suivi de très près par quatre frères et sœurs. Les parents de Renaud viennent d’horizons tout à fait différents. Du côté paternel l’arbre généalogique plonge ses racines en terre protestante, à Mont­pellier où un arrière grand-père était pasteur. Le père de Renaud roman­cier de talent deviendra professeur d’allemand pour élever sa nom­breuse famille. Du côté maternel, on est « chtimi » et mineur. Le grand-père, devenu ouvrier inspirera à Renaud, une chanson « Oscar » :


Bercé de musique


« l’a connu l’école que jusqu’à 13 ans, après c’est la mine qui lui a fait la peau… un matin de décembre d’un cancer tout bête, l’a cassé sa pipe, il a calanché… ». La mère de Renaud, une fois ses enfants élevés retrouvera le monde du travail.

Dans ce milieu bigarré, Renaud est bercé de musiques en tout genre. Son père lui fait aimer Vivaldi, Mozart, Malher et Brassens. Sa mère est plus portée sur la chanson populaire et sur l’accordéon. Par la fenêtre ouverte, les jours d’été, s’échappent des succès de Piaf, Chevalier, Berthe Sylva et des airs de bal musette.

L’école ne laisse à Renaud aucun souvenir ému. Ses classes, il les fait sur les barricades de mai 68. Son premier music-hall s’appelle… la Sorbonne où dans un amphi il interprète sa première chanson qui fustige les curés, les militaires, les professeurs et l’autorité parentale. En première partie, il interprète un sketch de Guy Bedos. Son rêve : devenir comédien.

Mai 68 terminé, Renaud s’installe dans une Communauté anarchiste des Cévennes d’où il est délogé peu après, manu militari.

Revenu à Paris, Renaud entre dans son troisième Lycée. L’ambiance, « bon chic, bon genre » le déprime. Sur les murs immaculés il écrit en bien gros : « ici commence l’aliénation » avant de renoncer définitivement à la vie estudiantine.

Le voilà magasinier, puis vendeur de livres de poche sur le boul’Mich. Il s’instruit sur le tas, en dévorant la littérature.

C’est à des vacances à Belle-Ile que Renaud doit sa carrière. Devant les cafés, il fait la manche en interprétant des chansons de sa composition… un jeune homme brun au regard fébrile l’écoute avec attention. Il s’appelle Patrick Dewaere. Avec des amis, il a créé « le café de la Gare » et cherche un jeune comédien pour compléter l’équipe. Renaud découvre le café-théâtre, lui qui n’a connu du théâtre que les matinées classiques de la Comédie Française. Plié en deux il apprécie les gags de Romain Bouteille, Henri Guibey, Miou-Miou, Coluche… Pendant cinq moi, il interprète le rôle de Robin dans « Robin des quoi » de Bouteille. De peur de s’imposer Renaud va vivre quelques temps à Avignon. Un acteur reprend le rôle laissé vacant par Renaud : Gérard Depardieu.

Rentré à Paris, Renaud chante dans les cours d’immeubles avec un copain accordéoniste. Il interprète le répertoire de Bruant et quelques airs de sa composition. Puis il s’installe devant le Café de la Gare et sert, en quelque sorte de première partie musicale à Coluche dont le nom grandit sur les affiches.

Paul Lederman remarque Renaud et ses copains et les engage au « Caf’Conc’ » une boîte des Champs-Elysées où rebaptisés « les p’tits loulous : et présentés comme des délinquants fraîchement sortis de prison ils se taillent un joli succès.


Disques et café-théâtre


Ses partenaires retenus à la ca­serne, Renaud se retrouve seul. Pour « faire marrer les copains » il accepte d’enregistrer un 33 tours de ses chansons qui se vend à cinq mille exemplaires et impressionne les critiques. Le succès venu, une nouvelle gravure de ce premier enregistre­ment vaudra à Renaud un « disque d’or », qu’il trouve parfaitement im­mérité.

En 1977, Renaud joue au café-théâtre « Le secret de Zonga » de Martin Lamotte, et chante en alter­nance. En 1978, remarqué au prin­temps de Bourges, Renaud devient célèbre, du jour au lendemain, avec « Laisse béton ». 1979, il fait salle comble au théâtre de la Ville. 1980, Bobino ne désemplit pas pendant les quatre semaines où il y donne son tour de chant. 1982, l’Olympia confirme les précédents scores. Re­naud est une vedette.

Toujours renfermé, timide, lucide, Renaud ne se laisse pas enfermer dans son succès. En 1983, il « troque ses santiags et son cuir un peu zone, contre une paire de dock-side et un vieux ciré jaune » et avec sa femme et sa fille Lola il prend la mer ou plutôt « c’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer l’homme… moi la mer elle m’a pris comme on prend un taxi » comme il le chante dans son dernier disque. Un album où il clame son amour pour sa fille… témoigne pour Slimane habitant de la Courneuve, qui se défonce à la Rustine et rêve de la Kabylie de ses grands parents… et actualise « le Déserteur » de Boris Vian.

Petit Renaud deviendra grand, si le chant des sirènes n’est pas le plus fort.

Danièle FUDAL

  

Source : Télé Magazine