Publié: 5 Mai 2022 à 10h56
« Métèque », le nouvel album de Renaud sort ce vendredi 6 mai. Le chanteur de 69 ans, qui donne peu d’interviews, a accepté de recevoir « La Voix du Nord » dans un bar parisien.
– «La Tendresse », « Le Métèque », « Nuit et brouillard »… vous reprenez treize grandes chansons françaises, c’était difficile de choisir ?
« Non. J’ai pensé aux chansons de mon enfance, de mon adolescence. La plus récente c’est Hollywood de David McNeil qui a été chantée par Yves Montand. La plus ancienne c’est La complainte de Mandrin, 18e, que je chantais lors des répétitions de chaque concert : j’adore le côté Robin de bois de cette chanson. »
– Une autre chanson ancienne, c’est « Le Temps des Cerises »…
« J’avais 8 ans, j’allais en banlieue, à Saint-Denis voir mon grand-père maternel, ancien mineur, qui travaillait à l’usine. Je me suis retrouvé dans un bistrot, je vois une bande de prolos accoudés au bar. Un charbonnier arrive, le visage noir de charbon, à l’époque on livrait du charbon à Paris. Ils lui disent charbonnier, chante-nous Le Temps des cerises. Il l’a entonné a cappella. Ça m’a bouleversé. »
– Vous êtes nostalgique de votre enfance heureuse, vous y êtes retournés en enregistrant cet album ?
« Bien sûr. 1969, Le Métèque de Moustaki, c’était une révolution pour moi. Je l’ai choisi comme nom de l’album car c’est le titre qui marque le mieux les esprits. C’est une chanson connue et je suis un peu un métèque à ma façon : je suis hors-norme. »
« Brassens était plus timide que moi »
– Pas de chanson de Gainsbourg, que vous adorez…
« L’eau à la bouche, Chanson de Prévert… Il y en aura sûrement une dans le deuxième volume. »
– Vous interprétez « Bonhomme » une chanson peu connue de Brassens. Pourquoi celle-là ?
« D’après les amis de Georges, que j’ai fréquentés, c’était sa préférée. Ce qui m’a étonné car il y a L’Orage, Brave Margot et tant d’autres. Je ne l’avais pas intégrée, à tort, dans Renaud chante Brassens. La version est plus actuelle, différente des arrangements d’origine. J’espère que je n’ai pas trahi Brassens. Il y en a d’autres que j’aurais pu reprendre. Mais c’est une chanson par artiste. Peut-être que j’en reprendrai une autre dans le volume 2. »
– Brassens vous avait dit : « Vos chansons sont bien construites… »
« Merveilleusement bien construites. Je m’en rappelle comme si c’était hier. »
– On retient cette phrase-là mais y a-t-il d’autres choses ?
« Non j’ai parlé avec lui une minute sur un plateau de télé. J’ai bredouillé un compliment ridicule pour dire que je l’ai écouté toute ma vie. Brassens était plus timide que moi. Il est venu vers moi à petits pas, au fond de la salle, baissant les yeux. Une poignée de main. Un moment inoubliable. »
« Je rêve de faire la braderie de Lille »
– Vous êtes attaché au Nord, qu’aimez-vous y faire ?
« La rue des Bouchers, les boutiques de BD. Je rêve de faire la braderie. J’aime l’ambiance et les gens. J’ai vécu les supporters qui chantent les Corons au stade de Lens : un grand frisson. Il y a un amour réciproque entre les gens du Nord et moi. »
– Il y a une chanson de votre ami Hugues Aufray, « Le Jour où le bateau viendra »… Pourquoi ce choix ?
« Elle est moins connue, je voulais la faire découvrir. Elle est rythmée, elle donne de la joie. On s’appelle régulièrement. Je l’admire, il a 93 ans et toujours un jeune homme, un cow-boy. J’aime moins son côté un peu réac parfois. »
– Les arrangements des chansons sont magnifiques…
« J’ai donné carte blanche à Michel Coeuriot. Un très grand arrangeur qui a notamment fait Foule sentimentale. »
– Vous avez travaillé votre voix ?
« Non. J’ai diminué la clope. Je suis passé de quatre paquets à un ou deux par jour. Sinon non, je ne suis pas très indulgent avec ma voix. »
– Il y a encore du stress avant de sortir un nouvel album ?
« Bien sûr, le disque ne se vend plus aujourd’hui. Je ne m’attends pas à des scores mirobolants. C’est dommage car c’est un album que j’aime beaucoup. »
« Je suis pudique »
– Avant de remonter sur scène vous avez dit « je suis un héros populaire ». Pourquoi les gens vous aiment tant Renaud ?
« Parce que je suis gentil. Parce que mes chansons ressemblent aux gens. »
– Vous avez envie de revenir sur scène ?
« En même temps j’ai envie, en même temps je suis fatigué : les répétitions, le maquillage, les interviews, les fans… Et surtout j’ai des problèmes vocaux. Je ne pense pas que j’en referai. Mais j’en ai très envie pour ce public. Ils sont comme des fous, c’est enthousiasmant. »
– Vous accordez peu d’interview, ça vous ennuie ?
« Oui ça m’emmerde. Je n’aime pas livrer mon âme. Je me dévoile dans chaque interview alors que je suis pudique. Quand je parle à un journaliste j’ai l’impression de parler à mon meilleur ami alors je dis des conneries. Je regrette après. »
– Pourquoi vous avez soutenu Philippe Poutou ?
« Je l’ai soutenu même si c’est couper la branche sur laquelle je suis assis en votant Poutou qui est contre le capitalisme, l’argent, les salaires trop élevés : je suis du mauvais côté de la barricade. Je lui ai peut-être fait perdre des voix… »
Son dernier album, Les Mômes et des enfants d’abord (novembre 2019), avait été décevant. Renaud est cette fois de retour avec un album plein de tendresse et de poésie qui séduira ceux qui aiment la chanson française. Renaud chante juste et « vrai » pour reprendre un adjectif qu’il emploie régulièrement. Il interprète avec émotion des titres qu’il aime profondément et cela se sent.
Les arrangements signés Michel Coeuriot sont merveilleux et donnent un nouvel élan à des grands classiques de la chanson française. On est secoués en revivant Nuit et brouillard, émus en écoutant La Tendresse ou Bonhomme. Avec Si tu me payes un verre, on retrouve le Renaud de Manu, un copain qui a su toujours su trouver les mots pour nous réconforter.
Seule déception, Le Métèque, dans laquelle le rythme rock prend le dessus sur le texte et la voix fatiguée du chanteur.
Label : Parlophone
Source : La Voix du Nord