Renaud, itinéraire d’un fils perdu
Renaud a publié jeudi sa première autobiographie, « Comme un enfant perdu ». © Francois Mori/AP/SIPA
PAR MARC FOURNY
Publié le | Le Point.fr
Dans son autobiographie parue jeudi, le chanteur revient sur sa relation complexe avec son père, écrivain écrasé par le succès de son fils.
Il y a une blessure intime que Renaud n’avait pas abordée franchement : les relations compliquées avec son père, Olivier Séchan, un austère protestant qui rêvait de devenir un grand écrivain. Dans son autobiographie, Comme un enfant perdu, l’artiste revient sur cette longue incompréhension qui a nourri une partie de son mal-être.
De son père, mort en 2006, Renaud conserve l’image d’un homme à la fois pudique et impressionnant. Il le voit toujours taper ses romans sur sa vieille machine Underwood ou partir enseigner l’allemand, car les droits d’auteur ne suffisent pas pour nourrir six enfants. Première fissure à 12 ans quand il apprend que sa grande sœur Christine est issue d’un premier mariage : Olivier Séchan a perdu sa première épouse et leur fils Nicolas dans un bombardement, en 1944, et leur fille a été élevée par sa nouvelle femme, Solange Mériaux, la mère du chanteur. « Pourquoi ne nous a-t-il jamais parlé de ce mariage et des enfants qui en sont nés ?, s’interroge Renaud. Aujourd’hui encore, je suis incapable de mesurer les conséquences de toutes ces révélations sur nos vies d’enfants, nous qui entrons à ce moment-là dans l’adolescence. »
« Un mauvais élève, promis à une vie ratée »
Dès lors, leurs relations vont se compliquer. Dès son entrée au collège, Renaud devient dissipé et rebelle, les notes chutent brutalement. Il commence à écrire quelques poèmes, la mère s’extasie, le père se ferme. « Mes mauvais bulletins scolaires semblent lui cacher tout le reste. Je ne suis sans doute rien d’autre à ses yeux qu’un mauvais élève, promis à une vie ratée. » Ils partagent encore la même passion pour Brassens et le fils peut parfois taper sur la mythique machine à écrire du père…
La rupture intervient en mai 1968. L’ado se proclame anar. Il porte les cheveux longs, ce qui lui vaut désormais de manger seul dans la cuisine, sur décision du paternel. À 16 ans, il file rejoindre les manifs du Quartier latin et revient un jour chanter son premier succès, « Crève, salope ! », à ses parents : « J’arrive chez moi fatigué, épuisé / Mon père me dit : Bonsoir fiston, comme qu’ça va ? / J’lui réponds : Ta gueule, sale con, ça t’regarde pas ! / Et j’ui ai dit : crève, salope ! » Stupeur du père qui se décompose. « C’est ignoble, rugit-il. Une chanson de petit voyou ! Tu me fais honte. » Plus tard, quand il lui annonce qu’il décide de lâcher ses études pour travailler, son père est effondré. Régulièrement, les reproches pleuvent, « bon à rien », « avenir catastrophique ». Un soir, Renaud explose : « Vous n’êtes vraiment que des cons ! » « Comment oses-tu nous insulter, petit merdeux ! » lance Olivier Séchan qui prend la guitare de son fils et la réduit en miettes.
Renaud découvre à cette époque que son père, pour subsister pendant l’Occupation, a travaillé pour Radio-Paris, la radio de la propagande allemande, à la traduction de dépêches – il sera blanchi à la Libération. La honte se rajoute à l’incompréhension. « Fils de collabo ! », lui lance un jour un cousin, une insulte qui lui sera également adressée quand il sera célèbre. « Cette accusation me hante comme si je devais moi-même en répondre, écrit aujourd’hui le chanteur dans son autobiographie. Elle pèse sur mon âme de tout son poids d’horreur et m’accompagne depuis des années, à la fois comme une injustice monstrueuse et une menace obscure. »
« Le succès de mon fils me tue »
Le souvenir le plus douloureux est sans doute la découverte, un jour, d’une phrase terrible dans le journal intime de son père. « Je n’en peux plus, le succès de mon fils me tue. » Le chanteur comprend alors que son père ne pourra jamais publier et même écrire ce grand roman dont il a toujours rêvé, l’œuvre de sa vie. « Je lui ai coupé les ailes, j’ai pris toute la lumière pour moi seul, je l’ai condamné à se taire, à rester dans l’ombre », analyse Renaud, rongé par une « culpabilité abyssale ». Et de poursuivre : « Ma réussite, tout cet argent ont quelque chose d’indécent pour lui. Et j’ajouterai même d’insultant. » Comment peut-il comprendre que son fils, qui n’a même pas eu le BEPC, ait fait un tel parcours ?
Un jour, Renaud lui propose de lui acheter une maison dans les Cévennes, pour sa retraite. Le père refuse sous prétexte de ne pas vouloir quitter Paris. « Je n’ai sans doute pas su le lui proposer simplement, confus, moi le fils raté, d’oser ainsi paraître devant le père pour lui faire l’aumône d’une maison, lui qui n’a jamais pu s’en offrir une, même modeste, en dépit de toute une vie d’honnête labeur. » Olivier Séchan meurt en juillet 2006, une semaine avant la naissance de Malone, le fils que Renaud a eu avec Romane Serda.
*Comme un enfant perdu, de Renaud Séchan, éditions XO.
Source : Le Point