N° 1923, 4 avril 1986
Par Christophe Lambert
« Sacré grand môme. Sa spontanéité est sa vérité. Son équilibre entre la douceur et la force. Le masculin et le féminin, la tristesse et la gaieté. » C.L.
Christophe Lambert. Pourquoi fais-tu collection de bandes dessinées ?
Renaud. Parce que j’avais assez de rasoirs.
C.L. Ça veut dire quoi ?
R. Ça veut dire que j’ai commencé une collection de rasoirs il y a deux ans et que maintenant je ne sais plus où les foutre parce que maintenant j’en ai 5 ou 600…
C.L. Pourquoi est-tu venu à la bande dessinée après les rasoirs ? T’aurais pu collectionner les bagnoles.
R. Je n’ai pas de box. Par contre, j’ai des étagères…
C.L. Et tu pêches ?
R. Très mal, j’men fous. J’vais pas à la pêche pour sortir des poissons. J’vais à la pêche pour être avec la flotte, la nature, le vent, les arbres, les petits oiseaux et les petits poissons.
C.L. Donc à la limite tu pourrais y aller avec un bâton, une et une épingle de sûreté, ça serait à peu près pareil ?
R. J’crois que j’en prendrais plus avec ça.
C.L. T’es jaloux, toi ?
R. A mort oui…
C.L. De quoi ?
R. De tout… Ça m’énerve quand j’ai l’impression que quelqu’un que j’aime m’aime moins, qu’il aime plus quelqu’un d’autre que moi.
C.L. Si t’avais une deuxième petite fille, tu l’appellerais Maggie ?
R. Non, Manivelle. Non ! je ne sais pas.
C.L. Tu veux un autre môme ?
R. Ça fait un an que j’y pense. Jusqu’à il y a un an, j’en voulais pas d’autre. Maintenant, j’vais en adopter un…
C.L. Tu vas adopter qui ?
R. Un p’tit Chintoc, un p’tit bronzé, un p’tit pas européen.
C.L. Mais pourquoi tu veux en adopter un si tu peux en faire ?
R. C’est parce que je peux en faire, que j’ai envie d’adopter. Je me dis qu’y a des papas qui veulent un enfant et des enfants qui veulent un papa. Donc autant taire se rencontrer les deux.
C.L. La force d’un couple est de faire des mômes à eux.
R. Mais j’en ai fait un à moi : Lola a cinq ans. De toute façon, si on me donne un nourrisson de six mois dans les bras, en me disant : « C’est votre fils »’, au bout de cinq minutes, ce sera vrai. C’est pas une question de chromosomes et de gènes.
C.L. Ça fait quoi, que les Américains soient venus t’interviewer après ta chanson sur Margaret Thatcher ?
R. Pour une fois que ces mecs s’intéressent à nous. Je leur ai répondu que si je m’étais attendu à de telles réactions, j’aurais fait Miss Maggie, Miss Nancy Reagan, Miss Gorbatchev, Miss Kadhafi et Miss…
C.L. Tu les mets toutes dans le même sac ?
R. Non, quand même.
C.L. T’y crois, toi, au succès ?
R. Ça ne rend pas meilleur et ça abîme les rapports avec les gens. T’en as peur tu te méfies, tu ne sais pas si les gens t’aiment pour ce que tu es ou pour ce que tu chantes. Tu sais pas qui sont tes vrais amis et tu te coupes un peu du monde, de la vraie vie.
Par rapport aux études que j’ai, à l’éducation que j’ai, aujourd’hui je devrais être, dans le meilleur des cas, instit… Même pas puisque j’ai arrêté mes études à 16 ans, ou faire un petit boulot anonyme, de sans grade. Ou encore être en prison, à la rue ou au chômage…
C.L. Pourquoi en prison ?
R. Parce que j’aurais pu facilement, vu les fréquentations que j’ai eues à une certaine époque de ma vie glisser dans une sorte de délinquance qui me fascinait. Mais j’étais trop « bourge » dans ma tête.
J’avais toujours le recul suffisant pour me dire « Halte aux conneries ».
C.L. Ta fille, tu la laisses vivre ou tu essaies de lui expliquer des trucs ?
R. Quand elle revient de l’école en me chantant « J’suis la cousine à Bécassine », alors que, jusqu’à aujourd’hui, je faisais en sorte qu’elle n’ait jamais l’occasion de tomber là-dessus et que je lui faisais écouter Bobby Lapointe et Georges Brassens, qu’elle trouve ça extraordinaire et qu’elle m’en réclame, tu vois, le jour où elle me dit : « J’veux que tu m’achètes le disque de Chantal Goya », je ne sais pas si c’est elle ou moi qui a raison mais mol j’ai plus envie qu’elle me dise : « Achète-moi La gougoutte à son chat ».
J’l’empêche pas, j’la laisse, mais ça a été un de nos premiers conflits.
C.L. Et t’as cédé?
R. Je lui ai dit : « Si tu veux, tu vas l’acheter ».
C.L. Et elle y est allée ?
R. Ben, non.
C.L. Tu joues d’un instrument, toi ?
R. Je joue très mal de la guitare, mais avec ce « très mal », j’arrive à composer des musiques qui plaisent beaucoup.
C.L. Quand tu seras grand, tu feras quoi ?
R. Je ferai potier.
C.L. Tu vas arrêter quand ?
R. Dans trois ou quatre ans.
C.L. T’en as marre ou tu te dis que, dans quatre ans, avec tes cheveux jaunes, ton cuir machin…
R. Non. Ce n’est pas d’écrire des chansons et de les chanter qui m’énerve, c’est tout ce qui va autour.
C.L. Et tes rêves, ils sont où ?
R. Dans une poterie.
C.L. T’as pas de rêve dans le ciel ?
R. Non, je rêve de… de me lever le matin, de voir que je suis vivant. Déjà ça, tu vois, c’est Byzance. J’suis content de me foutre au soleil, dans les vignes, les oliviers, de prendre ma motte de terre glaise, de la foutre sur mon tour, puis cinq minutes après, avec mes petits doigts, d’avoir fait une assiette.
C.L. Ça s’appellera comment ? « Chez Renaud, le roi du pot » ?
R. Et être aussi sur un banc en pierre, tu vois, avec les cigales, dans un petit village de Provence, mes deux mains sur une canne, habillé en noir avec un chapeau et puis passer ma journée comme ça, à regarder gens et puis à faire quelques réflexions et, de temps en temps, un croche-pied avec ma canne à des petits jeunes qui passent…
C.L. Ça. c’est dans trente ans.
R. J’aurai 64 ans, j’en aurai encore au moins 102 à vivre…
C.L. Tu veux vivre jusqu’à 166 ans ?
R. Après, j’ai peur de m’ennuyer.
C.L. Et t’as peur de la mort ?
R. Non.
C.L. Alors, pourquoi tu veux vivre si vieux ?
R. Parce que j’ai peur de la mort. ■
Source : Paris Match