Le Journal du Dimanche
04h11 , le 3 avril 2016, modifié à 10h48 , le 21 juin 2017
Par Alexis Campion
INTERVIEW – Le chanteur a décidé de renouer avec son public. Il nous parle de sa guérison, de ses chansons, de ses indignations…
Réapparu cet hiver dans les concerts de ses amis corses de I Muvrini, où il déclenche chaque fois des standing ovations, Renaud renaît. Affable et toujours en cours de sevrage alcoolique (« je ne compte plus les jours mais les mois, six déjà! »), le phénix de notre showbiz se livre chaleureusement à la veille de la sortie de son nouveau disque studio. Attendu depuis des lustres, il paraît enfin cette semaine sans titre mais fort d’une douzaine de nouvelles chansons émouvantes, simples et directes, entrelaçant tendresse, émotion à fleur de tatouage et indignation face aux attentats (Hyper Cacher). « J’avais pensé l’intituler Les Mots ou Rester debout, mais je trouvais ça prétentieux… » Rencontre.
Bruxelles, mars 2016
Le spectacle de I Muvrini était prévu de longue date mais voilà, on est tombés là, en Belgique, trois jours après les attentats barbares. J’ai voulu aller à l’hôpital près de Molenbeek voir des adolescents ou des enfants blessés. Les médecins militaires m’ont refoulé car je n’étais pas de la famille. Mais, putain! Les Belges sont mes petits frères, ils m’ont aimé avant la France.
Alcool
Avant, j’étais alcoolique au dernier degré. Je carburai à un litre de Ricard par jour. Je me perdais. Peut-être pas dans un désir de mort mais de laisser-aller et d’errance, sûrement. Bien sûr, je pensais à la mort. À peine levé, j’avais des vertiges, je ne marchais plus droit, je gerbais mon premier café du matin, puis mon premier verre… Je n’avais plus envie d’écrire, aucune idée, aucune imagination malgré les nombreux témoignages de fans.
Attente
Ben non, leurs encouragements ne m’ont pas relevé. Je me contentais de dire, noyé dans mon verre, que je ne voulais plus rien dire, ni écrire, ni surtout voir un micro ou une caméra sur ma gueule. Je leur disais de m’oublier. Et la phrase qui revenait vers moi le plus souvent, dans la bouche de toutes les générations, les enfants, les jeunes, les vieux, c’était « non, Renaud, on a besoin de toi. » J’ai entendu ça pendant des années que ce soit ici, à La Closerie ou à L’Isle-sur-la-Sorgue. Maintenant, j’ai repris un appart à 200 mètres de La Closerie et je suis bien content.
Colère
Je préfère mes chansons colère et coup de poing à celle-ci [La vie c’est moche et c’est trop court, NDLR], l’une des plus désespérées de tout mon répertoire! Belle peut-être, mais à se flinguer… Bizarrement, les chansons les plus tristes sont celles qui nous accompagnent le plus. Sans doute va-t-elle en bercer plus d’un!
Michaël Ohayon
J’ai une confiance aveugle en lui. Il a orchestré toutes mes chansons, réalisé le disque et, avant tout, composé des musiques qui m’ont fait chavirer, donné envie. Il y a un échange vertueux entre nous. Après vingt ans, j’en ai eu marre de Titi Bucolo et de ses slides de guitare années 80. Il est blessé de ne pas faire la tournée.
Culpabilité
Je suis toujours dans cette contradiction d’être célèbre, d’avoir de l’argent et de parler à ceux qui n’en ont pas. C’est pour ça que je distribue à tort et à travers, à toutes les bouteilles à la mer, les appels au secours de gens démunis, déshérités, à la rue. Ça vient peut-être de mon éducation protestante. Je ne suis pas à la recherche de causes à défendre mais, quand on me sollicite, je ne sais pas dire non. Après tout, je finance grâce à mon public. Chaque centime que je dépense m’a été offert par les disques, les concerts. Le problème, c’est que, quand je lâche un billet à un clodo dans ma rue, le lendemain y en a quatre.
Malone
Mon fils, ce Petit Bonhomme que je chante dans le disque, est un auteur. Il marche sur les traces de son père et de son grand-père! Je l’ai inscrit à la Sacem, il écrit sur des musiques de Romane, ma seconde ex-femme, il a un vrai talent. Je suis fier de lui, il ne se rend pas compte de ce que ça représente, mais auteur à 10 ans! Je suis passé à côté de son enfance pour raison d’alcoolémie mais maintenant il m’appelle papa, avant il m’appelait Renaud. Bien sûr, c’est aussi lui qui me donne envie d’être debout et présent dans le monde. Je le redécouvre. Je voudrais vivre son adolescence comme je n’ai pas vécu son enfance.
Tournée
La tournée qui va démarrer est, à l’origine, prévue sur 50 dates. Mais au final, il va y en avoir plus de 120 et on finira l’été 2017 au Québec, j’adore, ce sont mes petits Belges américains! Côté physique, mes dernières analyses, faites pour les assurances de la tournée, disent que je suis apte. J’ai fait un test d’effort et un électrocardiogramme en imaginant le pire à cause de mes deux paquets de clopes par jour, mais la cardiologue m’a dit que j’avais un cœur de jeune homme. D’après eux, je n’ai aucune séquelle. Ma voix fait des progrès.
Écolos
Petite Fille slave dépeint les petites putes qui envahissent les boulevards parisiens, c’est un peu une chanson sur l’environnement! À dire vrai, je suis désabusé par la politique ridicule des Verts. Ils crachent sur les socialistes mais ne pensent qu’à se placer dans les ministères.
Présidentielle en 2017
Bah… On aura Juppé ou Fillon contre Le Pen, forcément. Je ne vois pas de joker pour le moment. Même mon assistant, qui est communiste pur et dur, a du mal avec Mélenchon! Un qui est bien, c’est Hulot. Il ne se présente pas mais il m’aurait plu. Lui et Arthus-Bertrand me paraissent éblouissants d’intelligence, d’amour de la planète, de l’environnement, de la condition animale, minérale, végétale… Et ils paient leur taxe carbone.
Hommages
Les Mots est un texte écrit il y a huit ou dix ans, je suis retombé dessus par hasard en feuilletant Les Manuscrits de Renaud, paru chez Textuel. Je me suis dit « bordel, pourquoi je ne suis pas allé jusqu’au bout? » On en a fait une chanson où je cite Hugo, Léautaud, Nougaro. C’est important de rendre hommage à ceux qui vivent de leur plume et nous incitent à rêver, nous révolter, nous indigner.
Biker bar
Avec mon copain l’écrivain Henri Lœvenbruck, je vais louer un lieu à Arcueil pour créer un biker bar. Ouais. Y aura des bières pour les bikers et une option milk bar pour moi. Je serai peut-être pas derrière le bar mais jamais loin non plus. On pourrait faire jouer des groupes de rock et de blues. Y aura une cuisine et un coin pour les bouquins et les bandes dessinées…
Lepénisme
À L’Isle-sur-la-Sorgue, je connais un bistrot corse tenu par une femme fan de moi mais qui vote et qui aime Marine Le Pen. Je suis sûr que j’ai d’autres lepénistes dans mon public. Cela ne me dérange pas plus que ça, je me demande juste ce que je pourrais faire pour les faire évoluer. Mais c’est prêter bien du pouvoir aux chansonnettes.
Voter
Rien ou ce qui reste de la gauche? C’est compliqué quand même. Je vais peut-être voter pour un François Fillon que je pense être un parfait honnête homme, un vrai républicain. Mélenchon, c’est le gauchisme, l’aventurisme, un idéalisme désuet. Le Pen, c’est la peste brune. Ces politiciens pensent surtout à changer leur réalité avant celle du pays.
Différent
Dès 2002, au moment de Boucan d’enfer, j’avais commencé l’écriture d’un livre sur mes années d’errance à La Closerie. En fait, l’histoire se répète, quand je suis revenu avec Manhattan Kaboul, je sortais pareil d’une période de sept ans d’alcool avec Roda-Gil, Titi Bucolo… Les journaux parlaient déjà d’une renaissance, d’un retour gagnant, etc. Comme aujourd’hui. L’histoire est un éternel recommencement mais je ne suis plus le même. Quand je vois Hugues Aufray, toujours habillé en jeune homme, ou Charles Aznavour, je me dis que j’ai encore quelques années à pouvoir assurer et à porter de l’amour aux gens.
Source: JDD papier
Source : Le Journal du Dimanche