N° 1773, 7 au 13 janvier 1984
MUSIQUE
Grand gosse, petit loup, et la trentaine l’air de rien, Renaud met pied à terre dans la nouvelle salle de la Villette, le 17 janvier. Avec de nouveaux portraits dans son sac de marin.
Même à cette heure, plutôt celle de l’apéro, Paris a un air de petit matin, pâle et frileux. Le « Café des amis » se dégourdit à peine. Renaud tient compagnie au comptoir désert. Pâle aussi, maigre toujours, les cheveux blonds délavés par l’est de mer (« heu… pas seulement ! »), le sourire blotti en creux des joues pas rasées. Renaud tel qu’en lui-même, grand gosse, petit loup. Son premier geste, c’est de déployer des photos de sa fille, son adorée : lutin rond et doré, diablesse à croquer.
Lolita. Son chanteur de père lui a dédié son dernier album, Morgane de toi, ça feux dire qu’il est amoureux fou de ce petit bout de sucre d’orge. C’est en partie à cause d’elle qu’on ne voit plus l’artiste que six mois par an à Paris, France : le reste du temps, il arpente les mers sur son beau bateau au nom imprononçable. Trente ans, l’air de rien, Renaud s’est fait une vie bonne à vivre, entre les planches et l’horizon.
Celui qui chroniquait les vies souffreteuses et rapides d’un Gérard Lambert ou d’un manu aime toujours à tirer les portraits. Pepette, Loulou son pote, Doudou l’Antillaise, Slimane à La Courneuve. « Des Slimanes j’en ai vue, j’ai discuté avec eux, à la fin de mes concerts où ils ne viennent pas parce qu’ils n’ont pas les moyeux… Renaud, ils n’en ont rien à foutre. Et personne n’en a rien à foutre d’eux. Moi je ne fais pas dans la chanson engagée – engagée dans la bonne conscience… Je dis ce qui est, c’est tout ».
Ces gros plans sur la foule anonyme ont fait le succès de Renaud. Pas ses musiques : Renaud n’est pas un musicien, il le reconnaît sans fard. Même s’il a enregistré ce disque aux Etats-Unis avec des « pointures », (des musiciens réputés) même s’il a engagé un quatuor à cordes pour son nouveau spectacle – où il mettra lui-même, pour quelques titres, la main à l’accordéon…
Ça ira bien avec sa gouaille, sa voix menue et son cœur gros. Ça ira bien avec la tendresse qu’il laisse de plus en plus affleurer. Le faux dur chante qu’il aimerait bien, lui aussi, être « en cloque » ; il osera peut-être mettre ce nouveau titre en premier dans son tour de chant… ça désarme, ça rend complice. Il ne s’enferme pas dans son image, Renaud. Il a la droiture des timides.
-
- DES QUE LE VENT SOUFFLERA, JE REPARTIRA
Ce qui n’empêche pas la rigolade. Dès que le vent soufflera, hommage approximatif à C’est un fameux trois-mâts de Hugues Aufray et autres refrains martiaux de marins intrépides, est un régal pour les amateurs de jeux de mots vaseux et de rimes imprévues. « Dès que le vent soufflera je repartira, dès que les vents tourneront nous nous en allerons (de requin) »… Ouf, notre titi a évité ce piège là aussi, du lyrisme océanique si facile aux citadins.
Pour l’instant, et pour quelques temps, Renaud a mis sac à terre, et se ronge d’anxiété. Le 17 janvier, il essuie les plâtres de la salle Zénith, le tout nouveau lieu de spectacles de la Villette. Il sera bien entouré : Rouveyrollis, un des très grands éclairagistes français, jouera sur des lumières de réverbères et de néons – le décor s’annonce résolument urbain… Musiciens costauds, nouveaux refrains, grande salle : le défi valait d’être relevé. Même si Renaud, comme la plupart de ses collègues chanteurs, avoue sa préférence pour les lieux plus intimes, les théâtres à l’italienne…
Après La Villette, le prochain rendez-vous avec lui nous mènera peut-être à Bobino. Entretemps « Dès que le vent soufflera, je repartira ».
Anne-Marie Paquette
-
- Renaud à la Salle Zénith de La Villette, du 17 janvier au 5 février. Dernier album : Morgane de toi (Polydor).
Source : Télérama