Journal inconnu
9 mai 1992
Casino de Paris
Pour sa rentrée parisienne à partir de lundi, il balance des refrains comme les cailloux du Petit Poucet.
Il a la mine chiffonnée d’un pauvre gosse frappé d’inquiétude et l’allure d’un Tintin qui sortirait du caniveau. Pathétique et bon enfant. La quarantaine souffletée par une juvénilité de Petit Poucet, trois poils blonds au-dessus du bec et sous le menton, et des mèches en broussaille autour d’un visage pâle en quête de paix, Renaud est le pur échantillon d’une jeunesse qui préfère la BD à Balzac et sème des myosotis sur le drapeau noir de la révolte.
« La colère, oui ; la haine, non ! dit-il. C’est un reste d’éducation sournoisement chrétienne. Je ne suis pas arrière-petit-fils de pasteur pour rien. Je suis incapable de me venger. J’ai une grande faculté de pardon. »
Coco, chrétien ? « Moi j’me fous de tous ces mots. J’veux être un vrai humain », répond-il dans une chanson qui donne le nom et le ton de son dernier album, Marchand de cailloux. Le public retrouvera deux tiers des titres de cet album : L’Aquarium, Dans Ion sac, Tant qu’il y aura des ombres, des inédites, Welcome Gorby, ou des anciennes, En cloque ou Morgane de toi dans son prochain spectacle. Renaud au Casino : banco !
L’ile aux fleurs
« Trois fois de suite, je suis passé au Zénith J’avais envie de changer de salle, de créer la surprise. Me retrouver dans ce music-hall légendaire où flotte le fantôme de la Miss, cela me plaît bien. Enfin, je propose un spectacle qui se prête à ce type de lieu. Je voulais que le public qui approche la quarantaine vienne écouter un tour de chant, assis dans de bonnes conditions, et ne se voie pas condamné à une salle de sports où les adolescents se pressent debout, près de la scène, et dont le plus grand plaisir n’est pas d’écouler chanter mais de chanter. Ils viennent pour cela. »
« Je rentre d’une tournée en Belgique. Le spectacle s’est déroulé pour moitié dans des vrais théâtres et pour moitié dans des gymnases aménagés en salle de concert. Dans le deuxième cas, deux mille jeunes se pressent contre la scène et chantent en même temps que toi, c’est hallucinant. Je suis toujours touché par ce phénomène. Le spectacle convient aux deux formules. Pas de décor ni de laser, pas d’éclairages sophistiqués.
Rouveyrollis a conçu des lumières pâles avec de vieux projos des années 50. J’ai voulu renouer avec la tradition du music-hall. Je propose même une première partie. J’ai choisi des courts métrages qui dénoncent la mort violente. Flash Back, ou la sauvagerie d’un monde où l’homme, animal intelligent de nature, réduit les gamins de Mexico ou de Bogota à survivre dans des décharges publiques : L’ile aux fleurs.
J’ai également été séduit par L’homme qui dessine des arbres de Frédéric Back, trente minutes de beauté, de poésie et d’intelligence. »
Un vrai tour de chant avec première partie et entracte comme au bon vieux temps : « Tout ce qui est passé n’est pas forcément dépassé. La preuve: Trenet. J’ai découvert l’auteur-compositeur il y a dix ans, et je ne me lasse pas d’écouter La Folle Complainte ou La Java du diable, par exemple. Il est avec Brassens une référence et ma préférence. Brassens était d’ailleurs le seul chanteur que mon père, féru de musique classique, acceptait d’écouter a la maison. »
Le rôle de Lantier
Brassens et ses « coups de gueule » contre les « braves gens » a bercé Renaud qui se reconnaît l’héritier de cette chanson française en colère. Pas étonnant que Claude Berri lui confie le rôle de Lantier dans Germinal. Lantier, le fils de Gervaise, le fils du peuple, d’une peuple qui voit rouge quand l’injustice noircit les corons : « J’aurais préféré jouer le rôle de Souvarine, l’anar russe prêt à tout faire sauter. Je me sens plus proche du nihilisme de Souvarine. Je suis pacifiste, c’est entendu, mais je ne milite pas pour un pacifisme bêlant. Comme tout rebelle, il m’arrive d’être fasciné par la violence. J’ai l’impression que, parfois, des actions désespérées et spectaculaires sont les seules réponses à des actes de barbarie. Souvarine est dans la lignée de Ravachol. C’est Laurent Terzieff qui le jouera. »
Lui, interprète Lantier, le gréviste, le meneur qui dressera les mineurs contre les patrons : « C’est un utopiste qui croit en l’avènement d’une société plus juste. » Mais vous-même, n’êtes-vous pas naïfs ? « Oui, c’est vrai. Je revendique le droit à la naïveté. C’est pourquoi Claude Berri trouve que je suis pile le personnage. Je lui fais confiance. Il veut faire de Germinal le contre-point d’Uranus. Uranus, c’était un film sur la trahison ; Germinal sera le film de l’espoir, une tentative de redonner une nouvelle jeunesse au drapeau rouge. »
Un petit sourire en coin, l’œil bleu sans un nuage, Renaud a choisi son camp : «Coco, chrétien, moi j’me fous de tous ces mots/je veux être un vrai humain. » ■
Source : Journal inconnu