Renaud : La fleur du bien

Intimité

N° 2146, du 26 décembre 1986 au 1er janvier 1987

LES RENDEZ-VOUS DE JEAN-CLAUDE BRIALY

Il est arrivé un soir, silhouette fragile, l’œil très clair, les traits réguliers, apparition apaisante et joyeuse, au milieu du tumulte d’un dîner organisé par Coluche, l’un de ces dîners qui rassemblaient parfois jusqu’à soixante personnes… C’est là que j’ai rencontré…

RENAUD

(…) Comme j’avais peur de les gêner ou de les mettre mal à l’aise en ayant l’air du vieil acteur qui veut s’encanailler et être dans le coup, j’étais resté un peu à distance. C’est lui, Renaud. qui est venu me voir : il m’a parlé de su femme, de sa fille qu’il adore ; il m’a raconté que lui aussi, à ses débuts, avait voulu être comédien. Tout cela avec une simplicité, une tranquillité, une sérénité qui là encore m’ont étonné.

Renaud ne cherche pas à cacher mi fragilité ; au contraire, il en userait plutôt comme d’une arme. Sur une scène aussi – sur la scène du Zénith par exemple, devant dix mille personnes -, quand on aperçoit de loin ce petit prince frêle et délicat, innocent chrétien descendu dans l’arène, on est presque surpris de le trouver aussi à l’aise, aussi décontracté C’est que Renaud, pendant ses dix ans de « rame » à la terrasse des cafés, a eu le temps de se faire les dents sur les auditoires les plus difficiles. Sur ce plan, rien ne peut plus le surprendre ni le désarçonner… Si la carrure n’impressionne pas, le bonhomme, lui, est solide. Et follement sympathique.

Dès les premières notes on la sent, cette sympathie entre lui et le public, un public complice et amical, souvent venu du fond de la banlieue mais visiblement ravi d’avoir payé sa place. Les briquets s’allument, c’est la fête : comme pour Gabin autrefois, comme pour Coluche hier, les gens se reconnaissent en lui.

Tous les gamins des H.L.M. de notre hexagone se reconnaissent on lui.

Fils naturel de Francis Carco et de Pasolini, il est le repré­sentant de tous les loubards du monde, de ces gamins poussés en graine sur le béton des cours d’H.L.M. ; il est leur voix et leur symbole. Qu’il parle de son « beauf », de sa fille (une superbe chanson s’appelle Morgane de toi) ou de Mme Thatcher, Renaud chante les mots et les situa­tions d’aujourd’hui. Avec, der­rière le clin d’œil, la tendresse. C’est ça qu’on aime chez lui : ce mélange de force et de fra­gilité, de gouaille et d’élégance naturelle, de franchise et de pudeur, de timidité aussi… Je l’ai revu le soir de la première de Lily Passion. le spectacle superbe de Barbara et Depar­dieu, au Zénith. Il m’avait ap­porté son livre, qui venait de paraître chez Seghers, une compilation des textes de ses chansons dont j’ai découvert qu’elles étaient aussi de fort beaux poèmes.

Il était là, devant moi, avec sa frange, sa petite moustache et ses yeux clairs, se balançant d’un pied sur l’autre, accroché au bras de sa charmante épouse comme à une bouée et en même temps la protégeant, visiblement fier d’elle, de sa beauté, de son intelligence… Il était là et je me disais, en les regardant tous les deux, que dans ce music-hall où on a tou­jours l’impression que les artis­tes vivent dans une solitude effrayante, passant sans arrêt d’un centre d’intérêt, d’un en­droit, d’un amour à un autre, pris entre la fatigue et les pa­radis artificiels, je me disais que l’équilibre et la sérénité de ce couple-là étaient bien réconfortants.

Je me disais que ce petit bon­homme, ce Gavroche, tout en étant un saltimbanque, un homme « aux semelles de vent », n’avait jamais rien cédé de son intégrité ni de sa di­gnité, ayant su garder dans la réussite – là où tant d’autres perdent leur âme – ses copains et ses idées ; ayant su rester contre vents et marées un être libre, simple, généreux, acces­sible à tous mais sans démons­trations, sans familiarités inu­tiles. Un être comme Arletty : au-dessus de la mêlée.

Renaud, si un jour quelqu’un vous dit du mal de lui, ne le croyez pas : quand on le voit vivre, quand on l’entend parler (et pas seulement parler : c’est lui, tout de même, qui a eu l’idée du disque pour l’Ethiopie), on ne se demande pas pourquoi il est si respecté, si aimé par tous les gens du mé­tier… C’est le contraire qui se­rait étonnant ! ■

  

Source : Intimité