RENAUD : La Putain d’expo !

Je Suis Musique

24 octobre 2020

Alors que la compilation « La Bande à Renaud » vient de paraitre, élargie à 5 nouvelles recrues (Tryo, Gaëtan Roussel, Gauvain Sers, Vincent Delerm et Boulevard des Airs), la Philharmonie de Paris consacre la première grande rétrospective entièrement dédiée à la vie et à l’œuvre du chanteur énervé et énervant, en coproduction avec Universal Music France. Une « putain d’expo ! » comme son nom l’indique, et qui s’annonce comme le grand succès de la saison culturelle parisienne 2020-2021…

Annoncée depuis plusieurs semaines sur les murs de Paris par une affiche très réussie signée de son copain le dessinateur Margerin, lequel a su capter toute la quintessence de l’univers poétique et pictural de Renaud, la « Putain d’expo ! » est enfin ouverte au public à la Philharmonie de Paris depuis le 16 octobre dernier et ce jusqu’au 2 mai prochain : de quoi ravir les fans purs et durs (et ils sont très nombreux !), mais aussi rappeler aux moins avertis, la richesse du répertoire du poète, toujours associée à une iconographie foisonnante, tout en prenant la mesure de la complexité du personnage Renaud …

   

A l’origine de cette heureuse initiative, et à la barre du projet, trois commissaires d’exposition : tout d’abord, David Séchan, frère jumeau de Renaud, directeur de la société d’édition musicale Encore Merci, vice-président de la SACEM et photographe historique de l’artiste. On lui doit les plus emblématiques clichés et pochettes de disques de Renaud : de « Place de ma mob » (1977), à « Morgane de toi » (1983), ou « Mistral Gagnant » (1985), mais aussi de nombreux ouvrages illustrés dont le dernier « Dans l’intimité de Renaud » (2018). Possédant une monumentale collection de clichés de son jumeau, dont il est resté très proche et complice, et alors qu’il s’apprêtait à publier un nouvel ouvrage de photos, a germé l’idée d’aller plus loin dans sa démarche, et de lui consacrer toute une rétrospective, quand bien même Renaud lui-même lui a d’abord rétorqué : « Une expo ? mais je ne suis pas mort ! ». Une première réaction à chaud, qui a vite laissé place à une véritable implication du chanteur au bandana rouge, qui s’est mis à fouiller dans ses archives et ses souvenirs personnels, en grand collectionneur et historien de sa propre carrière qu’il est…

 

Dans sa démarche, David a pu compter sur l’aide de Johanna Copans, agrégée de lettres modernes et normalienne, et férue de Renaud depuis son enfance, au point de lui consacrer une thèse « Le paysage des chansons de Renaud : une dynamique identitaire » (2014), définissant le langage de Renaud comme une poétique de la banlieue, teintée d’argot, et mettant en exergue la double culture de Renaud, tiraillé entre Brassens et Dylan, entre milieu bourgeois et ouvrier, deux influences ayant construit l’artiste dans toute sa richesse, ses multiples facettes et ses contradictions aussi parfois.

Enfin, l’expo n’aurait pas été aussi réussie, sans l’aide précieuse de Gérard Lo Monaco, scénographe, connu pour son goût du Pop Art et son travail avec le Grand Magic Circus, ou l’Opéra de Paris, en parallèle de ses collaborations avec Renaud, entre décors de scène, pochettes de disques et autres produits dérivés, toujours aussi inventifs, naïfs et un brin nostalgiques d’une époque révolue, celle de l’enfance du petit Séchan, dont celui-ci ne s’est jamais totalement remis. Il a spécialement conçu pour l’expo une scénographie d’une grande poésie et immersive, toute en couleurs vives et en généreux volumes.  

Tous trois se sont entendus sur un point : l’artiste et l’homme sont beaucoup trop complexes et multi-facettes pour se contenter de présenter sa carrière de façon chronologique et hagiographique… Le parti-pris a été plutôt de mettre en scène les différents visages de Renaud, le révolté, le poète-portraitiste, l’homme engagé ou encore le nostalgique de l’enfance, à travers une série de décors réalisés par Gérard Lo Monaco pour l’occasion, autour d’objets renvoyant à la mémoire collective (affiches, pochettes de disques, extraits vidéos, photos de presse, couvertures de magazines…), mais aussi et surtout à d’autres issus de la collection personnelle de l’artiste. Et c’est là la grande surprise et la dimension la plus touchante de l’expo : entre photos familiales, objets personnels dont sa mob et sa première guitare, dessins, planches de bandes dessinées, lettres, manuscrits, c’est un Renaud intime, talentueux et touchant, que l’on redécouvre… Le chanteur, certes, mais également le poète, le dessinateur, le caricaturiste, ou encore l’écrivain, celui-ci s’étant même essayé à l’écriture d’un désopilant roman policier à l’âge de 10 ans sur un cahier d’écolier …

  

Salle après salle, on se laisse envoûter par le charme, la gouaille et le charisme de l’ex Gavroche de la Porte d’Orléans, né à Paris en 1952, au carrefour de deux univers étanches, sa mère étant issue d’un milieu ouvrier du Nord, et son père d’une famille d’intellectuels, d’artistes et de pasteurs protestants du Sud. Le Poulbot devient vite un rebelle ayant forgé sa conscience politique en mai 1968, sous les barricades, alors qu’il est élève du Lycée Montaigne en classe de 3ème, et cristallisée dans la mythique chanson « Crève salope ». C’est là que tout commence, et qu’il prend goût à l’écriture de chansons qu’il défend dans les rues, à l’ancienne, dans la tradition des chanteurs de faubourgs…

C’est à une véritable fiction musicale multi-sensorielle que le visiteur est invité, tant Renaud affiche une dégaine infiniment graphique, inspirée des héros de bande dessinées de son enfance, entre titi parisien et petit loubard de la zone, avec son fameux bandana rouge, ses santiags et son Perfecto. Au-delà du personnage si précisément dessiné, c’est aussi tout un langage qu’il instaure au fil de ses chansons, mêlant poésie, argot et verlan. Et entre nos oreilles, lorsqu’il ne conte pas ses mésaventures de voyou raté ou ses coups de gueule, naissent des personnages issus de son imagination débordante et si finement ciselés qu’on croirait les voir prendre vie devant nous, de Gérard Lambert à son pote Manu, de la Pépette au P’tit pédé ou encore La mère à Titi. Quelques dessins laissent d’ailleurs présumer du caricaturiste (notamment chez ses amis de Charlie Hebdo, qu’il contribue à relancer en 1992), de dessinateur ou d’auteur de BD, qu’il aurait pu être, si la chanson et accessoirement le cinéma (avec « Germinal », de Claude Berri, lui permettant de renouer avec ses racines ch’ti et de saluer la mémoire de ses ancêtres mineurs), ne l’avaient happé jusqu’à le consumer…

Enfin, difficile de consacrer une rétrospective à Renaud, sans revenir sur le citoyen du monde qu’il est : toutes ses chansons sont politiques, au sens noble du terme, et constituent un inventaire des maux et des combats de la fin du 20ème siècle. A l’instar d’un Johnny Clegg ou d’un Bob Geldof, fidèle à ses convictions de gauche, il est rapidement de tous les combats, et ses engagements humanistes se traduisent en chansons, en tribunes et prises de positions, au point d’être rapidement qualifié de chanteur énervé certes, mais aussi énervant pour ses détracteurs. On le voit soutenir les Restos du cœur, s’impliquer avec « Chanteurs sans frontière », lutter pour la libération d’Ingrid Betancourt retenue en otage en Colombie, dénoncer l’Apartheid, la politique de Margaret Thatcher (« Miss Maggie ») ou encore la mondialisation. Il est un artiste en-ga-gé ! C’est l’époque qui veut ça, mais à ce jeu-là, Renaud s’épuise et perd ses illusions comme il le chante sur « Fatigué »…

 

Alors reste le refuge de l’enfance. La sienne bien sûr, entouré de héros comme Tintin, véritable paradis auquel son regard, son phrasé de sale gosse et sa malice le rappellent inexorablement, mais aussi celle de ses enfants Lolita et Malone auxquels il voue un amour et une admiration illimités : un thème inépuisable lui ayant inspiré quelques unes des plus belles chansons du répertoire français, comme « Chanson pour Pierrot », « En cloque », « Morgane de toi », « Adieu l’enfance », « C’est quand qu’on va où », « Malone », et évidemment le chef d’œuvre « Mistral gagnant »…

Au final, à l’issue de la visite de ce manège enchanté, peuplé de personnages plus ou moins fictifs, on réalise combien les chansons de Renaud ont photographié un demi-siècle d’histoire de France, tout autant qu’elles se sont adressées à ce que nous avons de plus intime en nous : le cœur…

Eric Chemouny  

Crédit photos: La Philharmonie (DR) / David Séchan à La Philharmonie par Eric Chemouny (DR/JSM)

RENAUD

Visite privée…

 

Photos de Eric Chemouny (DR/JSM) – avec l’aimable autorisation de la Philharmonie de Paris.


 

Source : Je Suis Musique