N° 1673, 20 au 26 juin 1992
Pour la première fois, il entrouvre les portes de son jardin secret, à L’Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse. Là-bas, il a repris une maison de famille et, au fil des années, la transforme à son goût. Grand pêcheur devant l’éternel, if passe des heures à lancer la mouche. Sa femme et sa fille ne sont jamais loin. Retour à l’enfance quand il se balade le long des rives avec le chien de ses rêves, Toto (le héros !). Quatre mois par an, il oublie ainsi qu’il est un chanteur à succès. Cet été, pas question de s’évader vers son paradis. Berri l’attend pour le rôle principal de son film « Germinal ». Après. il y aura un nouvel album où, loin des polémiques politico-culturelles qu’il juge stériles, il évoquera les relations entre les femmes, les hommes et les enfants En revendiquant son droit à l’émotion.
Renaud et Toto ! Pourquoi pas, après « Tintin et Milou » et « Boule et Bill ». Dans les rues de l’Isle-sur-la-Sorgue, difficile de rencontrer l’un sans l’autre. Toto est le chien de Renaud. Ce golden retriever d’un an et demi ne le quitte jamais.
« Je l’ai acheté l’année dernière en Angleterre, quand j’enregistrais l’album « Marchand de cailloux ». Ma femme et ma fille étaient restées à Paris. Je me trouvais un peu seul à Londres. Avoir un chien est un vieux rêve. J’en ai eu un, Pirate, il y a huit ans, sur mon voilier. Un jour, je l’ai emmené avec moi en Hollande, chez des amis qui avaient une très grande maison. Ils sont tombés amoureux du chien et le jardin avait l’air de lui plaire. Je n’ai pas eu le courage, ni le coeur de le ramener à Paris, dans le grenier où je vivais à l’époque. J’ai eu de la peine pendant sept ans. La présence d’un chien me manquait. Toto est venu combler le vide, nous sommes inséparables. »
Quand ils se promènent, la vraie vedette, c’est Toto. « Avant, on m’abordait pour me parler de mes chansons. Depuis que j’ai mon chien, plus personne ne s’intéresse à moi. Je suis tr6è jaloux ! ». A quelques kilomètres de la bourgade, Renaud possède sa maison provençale au milieu d’un grand jardin, forêt miniature d’oliviers et de cyprès. Un héritage familial où il n’avait convié aucun journaliste jusqu’alors. « La maison appartenait à un vieil oncle médecin. II soignait les pauvres. C’était sa maison de week-end. A 65 ans, il a pris sa retraite et s’y est installé. A sa mort, il y a huit ans, ma tante, plutôt que de la vendre, m’a proposé de la reprendre. A l’époque, je rêvais d’acheter une maison au soleil. Ça tombait bien. En plus, ma tante était ravie. » Sa maison abrite des souvenirs d’enfance. « J’y ai fait de nombreux séjours. Avec mes parents, nous allions passer nos vacances en Lozère, mais nous faisions toujours une escale à L’Isle-sur-la-Sorgue pour rendre visite à mes cousins. » Renaud a aussi des racines dans la région. « Du côté paternel. Mon arrière-grand-père est du midi de la France, mon grand-père d’Auch, mon père de Montpellier. »
La maison a beaucoup changé depuis que Renaud et sa femme, Dominique, l’habitent. « Nous avons entièrement refait l’intérieur. Nous l’avons repeinte, couvert les murs de crépi, installé le confort, construit une chambre et une petite tonnelle. A l’intérieur, la maison est bien plus rustique qu’elle ne l’était autrefois. Les meubles sont en bois très sombre. » Les murs clairs et la décoration d’inspiration provençale ajoutent une note de fraîcheur et de confort. Au milieu du salon, une table massive en bois accueille les jeux de société l’après-midi et le soir, les grands repas. « En famille ou entre amis. La maison est toujours pleine. Certains sont de passage. D’autres restent tout l’été. » Renaud y vit, lui, quatre mois par an, le temps des vacances scolaires. « J’en passerais volontiers le double, d’avril à octobre, la belle saison. Ma fille, Lolita, ne veut pas entendre parler d’un déménagement. Elie a tous ses copains, copines et cousins à Paris. Nous venons pour les vacances. Quand Lolita sera plus grande, je viendrai sans doute m’installer par ici ! »
« EMMANUELLE BÉART M’A DEMANDÉ DES CHANSONS »
A L’Isle-sur-la-Sorgue, Renaud est un grand pêcheur devant l’éternel, la mouche exclusivement. Lolita l’accompagne rarement au bord de l’eau. « Ma fille aime être avec moi mais ne s’intéresse pas beaucoup à la pêche. Elie souffre pour le poisson, même si je le relâche. C’est pourtant à cause d’elle que j’ai rapports le premier. Elie pleurait de me voir rentrer bredouille. La Sorgue est l’une des plus belles rivières de France pour pêcher la truite. Les saules, sur les berges, forment au-dessus de l’eau une voûte ombragée. L’eau est bien verte et sombre, juste assez pour que je puisse râler un peu en pêchant. »
Renaud apprécie la vie au bord de l’eau mais aussi sur l’eau, à bord d’une petite barque à fond plat : un « nego chin ». « La traduction de « chien noyé » en patois. On dit que ce bateau est si peu stable sur l’eau que même les chiens en tombent et se noient. Mais aucune autre embarcation ne pourrait naviguer sur la Sorgue. »
Toto le chien de Renaud, n’hésite pourtant pas à y grimper. « Toto est un chien d’eau qui va chercher le gibier. C’est l’une de ses premières sorties dans l’eau. L’an dernier, il était chiot et en avait peur. Cet hiver, il a fait trop froid. » Debout à l’arrière du bateau, Renaud manie la perche du « nego chin » avec adresse. Sa première tentative de navigation lui laisse un souvenir ému. «Je n’osais pas me mettre debout de peur de tomber. Puis un jour, j’ai voulu m’en faire construire un. En adoptant les traditions de la région, j’ai eu l’impression de mieux m’y intégrer. L’artisan qui me l’a construit m’en a fait cadeau et l’a gravé à mon surnom, « Renard ». » Renaud doit cette appellation familière à son air rusé. Peu de personnes ont le privilège de l’employer. « II est réservé à mes proches. Le nom de Renaud appartient un peu à tout le monde, Renard est celui de ceux qui m’aiment. » Michel, patron du « Nego Chin », un restaurant de L’Isle-sur-la-Sorgue, au bord de la rivière, en fait partie. « Je l’ai rencontré il y a une dizaine d’années, un soir de 14 juillet. J’étais parti boire un dernier verre dans un bar qui fermait. Michel était là. C’est une figure locale, un modèle d’honnêteté, de joie de vivre et de générosité sincère. II manque des hommes comme lui à Paris. Michel est un bon vivant avec un talent fou pour raconter les histoires d’anciens pêcheurs d’écrevisses. Je reste des heures à l’écouter. Dans la vie, je ne suis pas expansif. Je me régale du spectacle des autres. »
Michel l’a invité au « Nego Chin ». « Grâce à lui, j’ai appris à comprendre la rivière. II aime la nature et connaît les problèmes liés à l’environnement. »
Renaud retrouve ses amis le soir. « On discute, on refait le monde et parfois on chante du Brassens, du Cabrel, du Hugues Aufray ou des chansons à boire. Si on m’y pousse très fort, je fais des trucs à moi »
Renaud s’accompagne à la guitare. « J’en ai toujours une au cas où. »
Cette ambiance, Renaud a su la recréer au Casino de Paris. Le triomphe a été au rendez-vous puisqu’il a fallu prolonger les représentations. Au même moment, son album « Marchand de cailloux » dépassait déjà les 300 000 exemplaires vendus et le deuxième 45 tours, « P’tit voleur », devenait aussi un succès. Le disque de la maturité. Le soir de la première au Casino de Paris, Renaud célébrait ses 40 ans, symbole de l’« année Renaud ». Mais dès juillet. plus question de filer vers la Sorgue. II tourne le film de Claude Berri, « Germinal », d’après Émile Zola. II sera Étienne Lantier, syndicaliste dans les mines du Nord. « Je ne me croyais pas capable de tenir un rôle aussi fort. Berri m’a assuré du contraire, surtout quand je lui ai avoué être petit-fils de mineur. » Renaud puise la moitié de ses origines, du côté de sa mère, dans le Nord. « Le Nord est une terre dure, les conditions de travail sont difficiles et les familles sont socialement défavorisées. Mais ses habitants ont du cœur. Mon grand-père a été mineur de 13 à 25 ans. Puis, il est parti à la guerre de 14. » En repérages pour le film, Renaud a passé quelques jours dans les corons. « J’ai croisé des hommes de 70 ans qui avaient passé près de quarante ans de leur vie dans la mine. Quand j’ai vu ces vieux, j’ai eu la larme à l’œil. Eux sont ravis du projet de ce film car on s’intéresse enfin à eux. Le film va également faire travailler du monde, ce qui n’est pas négligeable dans une région au taux de chômage aussi fort. » Renaud, lui, travaille déjà sur de nouvelles chansons. « J’en ai assez des polémiques, d’avoir à me justifier de mes textes. Mon prochain album sera consacré à l’amour, aux relations entre hommes et femmes, adultes et enfants. Je revendique aussi de savoir faire des chansons tendres ou émouvantes. » Renaud sera aussi bientôt auteur, mais par pour lui. « II y a trois ans, j’ai failli écrire l’album de Vanessa Paradis, à la demande de Didier Pain, son oncle. J’aurais adoré me transporter ainsi dans l’esprit d’une fille. » II va en avoir l’occasion.
« Emmanuelle Béart voulait des chansons. Par manque de temps, je ne peux lui en écrire que deux. L’album viendra plus tard. Le challenge est passionnant. Et puis, Emmanuelle est si mignonne ! »
Cécile TESSEYRE
Photos J.J. Descamps
IL EST L’UN DES 27 ARTISTES D’ « URGENCE » Renaud a choisi «Toute seule à une table », une chanson inédite, pour le double CD (et K7) « Urgence ». Ils sont en tout 27 chanteurs à avoir ainsi participé à cette initiative, née dans l’esprit d’Étienne Daho mais qui n’aurait pu voir le jour sans ces 27 qui ont offert leurs chansons et la détermination de Fabrice Nataf, P-DG de Virgin France (notre photo). « Depuis longtemps, nous voulions participer à la lutte contre le sida. Tous les bénéfices d’« Urgence » iront à l’Institut Pasteur et notamment au service du professeur Montagnier. Tout le monde a bien sûr travaillé gratuitement, des techniciens aux patrons de studios, et la fabrication des disques est au prix coûtant. Pour plus de transparence dans les comptes, nous avons limité le tirage à 500 000 exemplaires et nous espérons obtenir ainsi 35 millions de francs. » De nombreux médias dont « Télé 7 Jours » (numéro de la semaine dernière) ont offert à « Urgence » des pages de publicité gratuites. C’est donc un disque qu’il faut acheter, et vite, car en plus, II est d’une très grande qualité artistique. On y découvre, outre Renaud, des chansons inédites des Garçons Bouchers, de Françoise Hardy, et des reprises par Bashung (« Les Mots bleus », de Christophe), Julien Clerc (« On n’est pas heureux quand on a 17 ans », de Léo Ferré), Patricia Kaas (« La Vie en rose », d’Édith Piaf) et plusieurs autres surprises à découvrir. |
Source : Télé 7 jours