RENAUD : «LAISSE BÉTON» (1977)

Le Deblocnot’

MARDI 3 AOÛT 2021

par Pat Slade

Je vais encore me faire violence en parlant de Renaud, un personnage qui ne m’a jamais interpellé. J’avais déjà fait un portrait du chanteur rebelle il y a six ans et j’avais parlé de ses trois premiers albums, les seuls que j’avais à peu près aimés. Alors aujourd’hui je parlerai du second, celui qui sera le début de son succès.

 

 

LE VERLAN ? UN ARGOT DU MOYEN-ÂGE

 

 

Pour une meilleure compréhension du texte pour nos lecteurs de province, cette chronique ne sera pas écrite en argomuche, sinon ils n’entraveront que dalle à ce que je jacte et à mon histoire… pour traduire, vous ne comprendriez rien à ce que je dis, je repose donc mon dictionnaire d’argot écrit par Auguste Le Breton. Quand j’écris que le verlan est un langage du moyen-âge, cela ne veut pas dire que c’est un argot dépassé que l’on parlait dans les banlieues dans les années 80, non ! Le verlan est vraiment un argot d’autre fois, les formes de permutation en français les plus anciennes remontent au Moyen-âge et commencera à être utilisées par le peuple à partir du XVIe siècle, cela veut bien dire que la jeunesse banlieusarde des années 70-80 n’a rien inventée.

A la Pizza du Marais

Après une première galette «Amoureux de Paname» qui n’atteindra pas des sommets dans les ventes malgré certains titres qui auront du succès comme «Hexagone», «Société, tu m’auras pas !» et «Camarade Bourgeois», il reste l’un des albums le plus engagés du jeune Renaud de 23 ans qui commencera à faire des vagues avec un titre appelé «Monsieur Franco» que les producteurs refuseront, qu’à cela ne tienne, il rebaptisera la chanson «Petite fille des sombres rues». Il abandonne son image de titi parisien pour endosser celle du loubard sympa.

Son second album qui s’appelle «Laisse Béton» mais aussi «Place de ma Mob» bref, en réalité n’a pas de titre. Une pochette avec Renaud assis sur une vieille mobylette pourrie, la photo prise par son frère David au 18 avenue de Maine dans le 15e arrondissement de Paris. Ce second album sonnera plus chanson réaliste, des chansons qui racontent la rue ; mais aussi des titres plutôt comiques. L’histoire de la chanson phare «Laisse Béton» commence alors que Renaud est invité chez son producteur François Bernheim. Il arrivera très en retard et Bernheim est furieux car le repas est froid et le chanteur répliquera : «Hé, laisse béton !». Une réplique qui a marqué François Bernheim qui lui avait alors rétorqué : «Comment tu as dit, là ?». «J’ai dit : laisse béton. Laisse tomber, quoi… », avait expliqué Renaud avant que son producteur ne s’exclame : «Ah, ça, c’est un titre de chanson !». En 1975 Renaud passait à la Pizza du Marais et avant de passer sur scène, il eut l’idée d’une chanson, n’ayant pas de papier sous la main, il prit le paquet de Gitane qu’il avait dans sa poche et en trente minutes «Laisse Béton» naquit. Par-dessus un petit rock-blues un peu country à la Bob Dylan et hop, 300.000 exemplaires du 45 tours partiront comme des petits pains. 

Entouré du guitariste Alain Ledouarin et du contrebassiste Patrice Caratini (les accompagnateurs de Maxime le Forestier), de Joss Baselli à l’accordéon qui jouera avec les plus grands (Brel, Barbara, Ferré, Tachan, Reggiani…) et du meilleurs de nos harmoniciste Jean-Jacques Milteau, Renaud va pondre douze titres parfois tristes, parfois drôles, parfois nostalgiques. «Le Blues de la Porte d’Orléans» Sur un jolie blues il se considère comme l’autonomiste de la Porte d’Orléans (Quand tu connais l’endroit, tu lui en fais volontiers cadeau !) et puis ses petites phrases humoristiques sont…poilantes ! : «♫♪Je peux pas oublier qu’autrefois Vercingétorix s’est battu tout près du métro, Alésia…♪». «La Chanson du loubard» Un titre plutôt triste que j’aime beaucoup où Renaud joue sur l’image du loubard titi parisien. «Je suis une bande de jeunes» c’est adieu les copains, «Adieu Minette» c’est la relation entre deux personnes qui ne sont pas du même monde.

«Les Charognards», encore une superbe chanson avec l’accompagnement à l’accordéon. Une chanson que Renaud écrira après avoir assisté à un fait divers rue Pierre Charron dans le quartier des Champs-Élysées ; un braquage avec une prise d’otage qui se terminera par la mort d’un braqueur tué par la police. Cette chanson est un chef-d’œuvre, pourtant la construction de la chanson est très simple elle consiste à observer et décrire la foule de curieux qui viennent s’agglutiner autour du fait divers. «Jojo le Démago» Hé oui ! Renaud sait aussi faire du tango ! «Buffalo Débile» Une chanson où Renaud casse son image du loubard pur et dur, il se représente comme un looser. Aurait-il eu du succès s’il avait joué sur l’image du voyou violent ? «La Boum» Une chanson pour ceux qui ont connu les boums des années 60-70, un titre marrant qui fleure bon la nostalgie. 

 «Germaine» Après le tango, voici une petite java où Renaud nous parle d’une de ses histoires d’amours, une chanson entrainante, une chanson «à chanter» bras dessus bras dessous comme à une fête de la bière avec un accent titi parisien poussé à l’extrême. «Mélusine» Petite chanson très courte, un bouche-trou à la manière de Boby Lapointe. «La Bande à Lucien» Renaud nous parle d’une chose qui lui tient le plus à cœur l’amitié. Avec ce titre on retrouve toujours ce petit côté nostalgique. L’amitié que l’on pourra retrouver dans «Manu» sur l’album «Le retour de Gérard Lambert» en 1981.

«Laisse Béton» Du bon Renaud qui s’écoulera à 475.000 exemplaires, mais je ne suivrai sa discographie que jusqu’à «Marche à l’Ombre» en 1980 trouvant qu’ensuite il tombera dans le commercial. Mais, à ses débuts, je trouvais le personnage intéressant. Bah ! Je dirais quand même qu’avec Renaud, les loubards sont sympas !

  

Source : Le Deblocnot’