JEUDI 19 NOVEMBRE 2015
par Pat Slade
Renaud un Rebel à l’Autorité
Je ne suis pas un inconditionnel de Renaud, le personnage ne m’a jamais vraiment emballé, mais comme il faut faire plaisir à tout le monde, je vais faire abstraction de mes goûts et répondre à la (forte !) demande d’un article sur le chanteur. La seule période qui me parle le plus me renvoie à ses débuts et à ses premiers albums à partir de 1975. Mais pour arriver à ce qu’il est devenu, il a quand même pas mal galéré. Une rumeur au début de ses succès (Moi-même j’y croyais) disait qu’il était issu d’une famille de la petite bourgeoisie et qu’il jouait le gamin de la zone en contradiction avec l’éducation parentale qu’il avait eue. Évidemment les jaloux qui avaient lâché cette info avaient tout faux. Il est né en 1952 (Il a eu 63 ans le 11 mai) dans le XIVème arrondissement de Paris (Pour les provinciaux, sur la rive gauche située entre Montparnasse et le parc Montsouris séparé par le périphérique de Montrouge, Malakoff et Gentilly) d’un père professeur d’Allemand et de Hollandais auteur de romans policiers et d’une mère descendante de mineurs du nord et femme au foyer. Pour ce qui est de la scolarité, ce n’est pas vraiment ça, dès l’école primaire il ne manifeste pas une forte envie de travailler et la situation ne s’arrangera pas en entrant en sixième. Il échoue au BEPC en 1965 et doit redoubler sa troisième, mais le lycée ne le garde pas. Il intègre le lycée Montaigne en 1967 mais ce ne sera pas mieux. Hormis le français et le dessin, il fait une aversion à toutes les autres matières.
Son père qui se définissait comme un «anarcho-socialiste» lui inculquera une certaine méfiance envers les forces de police et les militaires et l’ordre en général. Comme beaucoup, il découvre la vague Yéyé et les Beatles. Vers 14-15 ans, ce sera le protest song avec Hugues Aufray qui deviendra sa première idole, suivront Bob Dylan, Joan Baez, Léonard Cohen et Donovan. Renaud est plus attiré par la politique que les études. Dès 1966, il était militant au MCAA (Mouvement Contre L’arme Atomique) crée par Jean Rostand. Proche des mouvements Maoïstes et Trotskystes, il part souvent avec d’autres militants défier les étudiants de la faculté de droit d’Assas avec ses militants d’extrême-droite. En 1967, il crée un comité Viêt Nam pour protester contre la guerre du même nom et fréquente les «Amitiés Franco-chinoises». En 1968, il participe activement au mouvement étudiant. Comme beaucoup, il vit à la Sorbonne les lieux mythique de la révolte estudiantine. Il fêtera ses 16 ans le 11 mai sur une barricade du quartier latin. Il crée le groupe «Gavroche Révolutionnaire» qui n’aura pas le succès escompté, mais ce seront ses premier pas sur une scène avec au programme des sketches de Guy Bedos.
C’est à la Sorbonne qu’il croise un étudiant qui chantait ses chansons et s’accompagnait à la guitare, il décide de faire de même et il écrit sa première chanson «Crève Salope» (Clic) avec sa guitare pour seul accompagnement, un titre qui fera un gros succès auprès des autres étudiants. S’en suivra deux autres titres : «C.A.L en bourses» et «Ravachol».
En août de la même année, il fonde avec quelques potes une communauté anarchiste dans les Cévennes. Ils seront délogés par les gendarmes. Il sera ensuite inscrit par ses parents dans une seconde artistique à la porte d’Auteuil, un quartier qui n’est pas pour lui plaire vu le coté bourgeois qui s’en dégage. Après cette époque troublée, en avril 1969 il abandonne lâchement ses études. Ses parents le poussent à rentrer sur le marché du travail. Il sera magasinier et vendeur à la librairie 73 sur le boul ‘Mich pendant deux ans. Il en profite pour lire pendant ses temps libres tout ce qui lui tombe entre les mains : Vian, Prévert, Zola, Bruant, Céline… Il chante déjà, mais ce n’est seulement que pour s’amuser ou draguer. Son répertoire ? De lui, d’Hugues Aufray et de Bob Dylan. Renaud s’endurcit et commence à fréquenter des loubards des bandes d’Argenteuil, de la République et de la Bastoche. Il porte un cuir et fait quelques petits casses sans conséquence notoire.
Du Titi au Loubard
En vacances en 1971, il rencontre Patrick Dewaere qui le fera entrer au café de la gare en remplacement de Gérard Lefèvre (dit Gégé). Tout en restant libraire le jour, il joue le soir avec Coluche, Miou-Miou et toute la troupe de Romain Bouteille. Après avoir passé un certain temps avec cette bande de joyeux drilles, il rend sa place au retour de Gégé et pense avoir trouvé sa vocation : comédien. Pour retards successifs, il est licencié. Après un rapide passage dans le sud, il retourne dans la capitale où il effectue plusieurs petits boulots, de plongeur à représentant en livres pornos. Les années suivantes, il fréquente Montparnasse, chante dans les rues et dans les cours avec son pote Michel Pons à l’accordéon, il chante le Paris populo au travers des chansons de Bruant et du bal musette.
En 1974 alors que Coluche commence à percer en jouant son spectacle au nouveau café de la gare, il décide de jouer dans la cour devant la file d’attente, lui et ses compères (Michel Pons à l’accordéon et Bénédicte Coutler à la guitare) sont remarqués par Paul Lederman, il leur propose de jouer en première partie de son poulain au Caf’conc’. Engagé pour trois mois, le groupe ne durera que trois semaines pour cause d’obligation militaire de l’accordéoniste. Lederman encourage Renaud à continuer seul en interprétant ses propres textes comme «Hexagone» et «Camarade Bourgeois». En 1975, Jacqueline Herrenschmidt et François Bernheim lui proposent de faire un album, son premier 33 tours : «Amoureux de Paname» sort en mars. Première radio avec Jean-Louis Foulquier et première télé avec Daniele Gilbert. La même année, il partage l’affiche avec Yvan Dautin à la Pizza du Marais, le fief du barbu géant (Un genre d’Hagrid avant l’heure) Lucien Gibara. «Amoureux de Paname» : un premier essai qui se vendra difficilement mais remportera un succès d’estime. Il continue de jouer au Café-théâtre dans une pièce de Martin Lamotte, il y rencontre Dominique sa future femme et future mère de Lolita.
Laisse Béton
Deux ans plus tard, il sort «Laisse béton (ou place de ma mob)». Il abandonne son image de titi parisien pour endosser celle du loubard sympa. Avec des musiciens confirmés comme Alain le Douarin et Patrice Caratini (qui ont accompagné Maxime le Forestier), Joss Baselli à l’accordéon et Jean-Jacques Milteau l’harmoniciste, il va faire un album avec des titres très nostalgiques et réalistes comme «La chanson du loubard» ou «Les Charognards». Mais il va aussi faire pondre quelques titres que Bobby Lapointe n’aurait pas renié comme «Mélusine» avec des jeux de mots tirés par les cheveux. En passant par la java avec «Germaine». La diversité des genres ne feront pas s’envoler immédiatement les ventes, uniquement le 45 tours «Laisse béton» qui va se vendre à 450.000 exemplaires et faire connaitre Renaud au grand public. En avril 1978, le printemps de Bourges fera un triomphe à ce nouveau visage de la chanson française.
Ma Gonzesse
Et sa Gonzesse c’est Dominique avec qui il vivra pendant 25 ans. En 1979 il sort son troisième album avec pour titre «Ma Gonzesse», une déclaration d’amour à sa compagne. On retrouve le Renaud aux calembours de bas étage avec «Sans dec’», nostalgique avec «La Tire à Dédé», tendre dans «J’ai la vie qui m’pique les yeux». Il remet une petite couche de bal du samedi soir et d’accordéon avec «Le tango de Massy-Palaiseau» (Pour info, Massy et Palaiseau sont deux villes différentes, mais liées par la même gare). Et puis une perle apparait entre les sillons: «Chanson pour Pierrot». Renaud avait écrit cette chanson et l’avait chanté à Coluche, la chanson explique clairement ce que Renaud pourrait faire avec son futur fils. Coluche répondit «Elle est bien cette chanson, mais tu fais quoi si tu as une fille ?», un peu désarmé, le chanteur répond qu’il n’y avait pas pensé et qu’un garçon était comme une évidence. Quelques années plus tard, Lolita verra le jour et Renaud proposera à Coluche de devenir son parrain en raison de sa vision prémonitoire.
Le Renaud des années 80 ne me parlera pas, il ne m’attirera pas. Je reste avec le Renaud des débuts, le titi Rebel au langage fleuri et le jeune loubard aux paroles tendres.
Source : Le Deblocnot’