N° 1506, du 15 au 21 septembre 1984
VENDREDI | 21 septembre |
TF1 | 20.35 |
RENAUD AU ZÉNITH
Emission réalisée par Jean-Louis Cap.
Un enregistrement du concert donné par Renaud au Zénith le 2 février 1984 entrecoupé d’interviews du chanteur et des réactions de son public.
Renaud interprète : « Dès que le vent soufflera », « Hexagone », « Etudiants poils aux dents », « Chanson pour Pierrot », « En cloque », « Mon beauf », « Le déserteur », « 2e génération », « J’ai raté télé foot », « Banlieue rouge », « Baston », « Manu », « Morgane de toi », « Dans mon H.L.M. ».
Renaud a vendu trois millions d’albums, il a découvert la mer et l’a trouvé moins polluée que la tête des hommes politiques, il a tourné récemment son premier clip signé Gainsbourg que TF1 diffusera bientôt en première exclusivité. Pour Renaud un clip de plus à sa boutonnière
TF1 ⬤ 20.35 ⬤ Renaud au Zénith |
Graine d’anar des années 68 récupérée par le show-biz ? Loubard, bidon, provo frimeur du genre : « J’veux vous remuer dans vos fauteuils. Rien à foutre de la lutte de crasses. Tous les systèmes sont dégueulasses »… ? Ses détracteurs vous diront que s’il a flirté avec les zonards au temps d’une adolescence, malgré tout, protégée, que s’il a commis un petit vol, un seul, minable il l’avoue et suivi de repentir… il est en fait le fils très convenable d’un professeur de famille protestante et ses ancêtres, pour la plupart pasteurs, n’ont pas à rougir de lui. D’ailleurs il n’aurait jamais voulu faire pleurer sa mère en risquant d’aller en prison…
Mais Renaud, lui, n’a rien fait ni pour créer, ni pour entretenir une image en toc. Renaud, comme dans ses chansons, s’en tient toujours au réel : « Les gens se font une idée de moi : voyou, paumé. Et c’est vrai que mon univers chanté mêle la violence, l’humour et je suis un peu tout ça : quelquefois teigne, quelquefois fleur bleue, clown… ». Son enfance ? « Non, je n’étais pas un voyou, simplement un môme qui traînait dans les rues… Je suis né dans une famille où se mélangeaient l’intellectuel et le populaire. Mon père était écrivain et puis, avec ses six gosses, ses droits d’auteur sont devenus insuffisants, alors il s’est fait prof au lycée. Ma mère, elle venait d’une famille de prolétaire du Nord. Mon père écoutait Vivaldi et Brassens… c’est à travers Brassens que j’ai appris la haine des curés et des flics ».
La famille vit dans une H.L.M. du 14e, mais Renaud fréquente moins les cours d’allemand de son père que les terrains vagues de la porte d’Orléans. C’est son université personnelle. Il s’y branche sur le verlan, heureux choix auquel il devra plus tard sa réussite. Mai 68 : « Ce fut le plus beau mois de ma vie d’étudiant, l’occasion de remettre en cause les parents, les lycées, la société. Alors que je n’avais pas le droit de sortir après minuit, j’ai pu habiter la Sorbonne pendant trois semaines. J’étais devenu un gauchiste professionnel. Il y avait une bonne ambiance ». Après pas question de rentrer dans les rangs… c’est « la galère », de l’Odéon à Maubert, le coup de foudre pour les voyous d’Argenteuil, à Montparnasse. A leur école, il peaufine sa langue, trouve son look : blouson de cuir noir, foulard rouge, santiags, anneau à l’oreille, tatouages… Et, comme il garde au fond de son cœur de poulbot moderne, l’image de sa mère, il la revoit chantant « c’est la java bleue », « le dénicheur », ce qui lui permet de se constituer un petit répertoire rémunérateur : il fait la manche dans les cours, à l’heure où les ménagères soupirent, coincées entre leurs mômes et leurs casseroles…
C’est aussi l’époque des copains de bistrot : « Ça, c’est essentiel. Passer des nuits entières à se saouler la gueule, ça permet d’oublier le vrai malaise, un profond mal de vivre ».
On chante aussi devant les café-théâtres. Et, un soir, passant par là, l’imprésario Paul Ledermann s’attendrit sur ces « petits loulous » et les engage, flairant la bonne affaire. Ensuite, ce sera « Laisse béton »… et puis, tous les succès qui ont créé le « phénomène Renaud » : un talent incontestable fait d’un instinct populaire, un goût du simple et du réel. « Une simplicité et une réalité qu’il transcende avec un anarchisme naïf mais qu’il compense toujours par une tendresse, un amour des hommes et un lyrisme qui sont bien ceux d’un poète », selon l’avis général de la critique. Un véritable chansonnier, dans la lignée de Borel, Béranger, mais c’est aussi Gérard Lambert, le méchant voyou sur sa mob… et c’est, avec le (…). Mais Renaud ne se laisse pas abuser : « Je ne me considère pas comme une star, une idole, pas même comme un chanteur, mais juste comme mes potes ».
Il a changé, pourtant, mais pas à cause du succès ni de l’argent. Non, c’est autre chose. Le désespoir glauque, il y a une force qui peut le tenir à distance, il le sait maintenant, depuis qu’il a rencontré Dominique. « L’essentiel dans la vie, c’est l’amour. Moi je suis amoureux à mort de « ma gonzesse ». Même si je me sens encore totalement concerné par tous les problèmes, si j’emmagasine tout, quand je réfléchis bien, je réalise que mon seul vrai problème, c’est ma peau et que ma peau est liée à elle. C’est aussi grâce à elle que ça marche ». Dominique, et depuis 4 ans, Lolita : « Morgane de toi », c’est pour elle, sa fille, sa merveille.,. Mais l’amour, la famille ça n’est pas forcément la vie bourgeoise. Non, Renaud ne s’est pas acheté un appartement dans le 16e, ni une résidence à la campagne ; d’ailleurs, la campagne, il déteste. Dans son quartier du Marais, à deux pas du « Rendez-vous des amis » où il a rencontré Dominique et où il a son quartier général avec les copains de toujours, il a aménagé un grenier. Il y vit en apap papa-gâteau, se levant chaque matin quelles que soient les circonstances pour faire le ptit déjeuner… Sa résidence secondaire à lui, c’est la mer. Emule d’Antoine, il a construit un voilier sur lequel il embarque, seul avec « ses deux femmes », libre, entre l’eau et le ciel… « ni aéroports ni hôtels. Et la mer, ça n’est pas forcément pas plus dangereux que le samedi soir en banlieue ».
Le clip « Morgane de toi » qu’il a tourné avec Gainsbourg, cet été, c’est aussi la mer… et les petites filles. Nous allons le découvrir cette saison. Ensuite… Peut-être le film qu’il rêve depuis longtemps de réaliser. A moins que souffle le vent du large, car, « dès que le vent soufflera, je repartira »…
Rosine GUEUGNIAUD
Source : Télé Magazine