N° 43, 23 octobre 1991
Tiens, tiens, ça faisait un p’tit bout d’temps qu’on s’demandait c’qu’il nous mijotait, lui là, avec son air canaille. Alors voilà, comme vous étiez nombreux à nous demander de ses nouvelles, nous sommes allés à sa rencontre à Paris. Lui parler de « Marchand De Cailloux », son nouvel album à paraître bientôt, de son côté « voyou », de ses passions, et de tas d’autres choses…
Lui, un voyou?
– 7 Extra: Dans beaucoup de tes chansons, tu attaques certaines personnes, de manière assez virulente. Il y a eu Miss Maggy et aujourd’hui, dans ce nouvel album, avec Olé et 500 Connards Sur La Ligne De Départ, tu te révoltes contre les corridas, le Paris-Dakar… Acceptes-tu, toi, d’être critiqué?
– Renaud: « Etant critique moi-même, je ne peux pas me plaindre quand je suis critiqué! Quand j’attaque dans mes chansons, il y a de la musique et c’est en rimes. J’accepte la critique mais je constate qu’on attaque plus souvent ce que je suis, et comment j’agis par rapport au métier et aux médias, que mes chansons. Dans un sens, c’est flatteur, je me dis que mon œuvre est intouchable! Moi, je suis plein de contradictions! Je tends le bâton pour me faire battre! »
– Quelles contractions?
– « Des contradictions, des incohérences. Avec « Marchand De Cailloux », on m’a « reproché » d’avoir fait un album sans surprise. Les gens ont l’impression que j’ai cherché à tout prix de nouvelles cibles, que j’ai trouvé le Paris-Dakar et la corrida parce qu’ils sont souvent l’objet de débats à la télévision et que j’ai voulu apporter ma pierre… Mon incohérence par rapport aux médias, c’est que je refuse et critique, mais que d’un autre côté, on peut aussi me voir à la télé…».
– C’est comme pour ta réputation de « loubard »: tu as le look du loubard, le vocabulaire du loubard, mais tu n’es pas un loubard!
– « Ça fait 15 ans qu’on me fait ce procès et je le trainerai toute ma vie. Les gens se disent que je suis un faux loubard donc, que je suis un bourgeois! Je n’ai jamais proclamé ni l’un, ni l’autre. En fait, si on entend « bourgeois » comme étant lié à la famille, l’éducation, les revenus financiers, les parents, le train de vie, ce n’est pas moi! Si on entend « bourgeois » comme étant un certain état d’esprit, une certaine mentalité, je ne suis pas un bourgeois non plus. « Renaud, le faux loubard ». Qui, aujourd’hui, n’a pas son blouson de cuir et ses santiags? Les vrais loubards d’aujourd’hui, ils sont en survêtements et en baskets! ».
Olé!
– Revenons-en à la musique. Tu as déjà eu envie de faire un rap?
– « Oui, mais on m’aurait probablement encore attaqué et reproché d’avoir récupéré un phénomène social. Ceci dit, c’est un phénomène intéressant, le rap! Techniquement, musicalement et puis, ça donne la possibilité au public de retenir la chanson par cœur ».
– Dans tes dernières chansons, tu attaques la corrida et le Paris-Dakar! Pourquoi? Peut-être qu’en connaissant personnellement ces deux événements, tu en parlerais autrement?
– « C’est justement parce que je ne suis pas radicalement contre que je les ai traité sous un angle inhabituel: a-t-on le droit de tuer les animaux et d’applaudir un spectacle où l’on donne la mort à un animal, avec toute cette souffrance… Je n’ai pas voulu traiter ce débat-là puisqu’il est assez analysé ailleurs, mais j’ai voulu montrer le snobisme des amateurs de corrida. Je suis choqué, dérouté par la corrida mais surtout par le fait que ça puisse plaire à des femmes! C’est probablement dû à mon éducation puritaine protestante…
Malgré la chanson, je refuse de prendre parti pour ou contre la corrida. J’en ai assez qu’on me demande de choisir mon camp. Je lui reconnais une certaine légitimité mais, il y a quelque chose qui me dérange, et qui dérange tous les adversaires de la corrida, à savoir: la mise à mort d’un animal sous les applaudissements! Il est vrai que c’est une culture, une tradition d’une noblesse, d’une beauté rare… Je ne suis pas « totalement » contre. En cas de référendum contre la corrida, je m’abstiendrai. Je ne trouve pas que la corrida soit plus ignoble que les informations télévisées. Il est presque normal que des hommes prennent du plaisir à participer à un spectacle ignoble, mais les femmes…
C’est peut-être un peu macho, mais la femme doit être plus sensible, humaine et donc dégoûtée par la violence et la vue du sang. Enfin, je ne me rangerai dans aucun camp. Les adversaires de la corrida ne parviennent pas à défendre, aussi bonne soit-elle, car ils manquent d’arguments valables, excepté pour les souffrances.
– Concernant le Paris-Dakar, ne penses-tu pas que les propos de la chanson soient trop brusques, trop dérangeants?
– « J’ai eu envie d’exprimer exactement ce que je ressentais pour ce spectacle et le battage qu’on fait autour. Je n’ai pas pris de gants. C’est d’une violence métallique et je suis catégorique, mais je peux bien l’être parfois. Je ne suis pas là pour faire une analyse sociologique de ces cons! ».
– On a qualifié ton album de « sans surprise ». Qu’en penses-tu?
– « Je fais de la chanson, je la fais de façon traditionnelle: quelques couplets, un refrain et puis ce qui m’importe est d’avoir une belle mélodie, un bel habillage musical, une petite évolution par rapport aux albums précédents, et je pense qu’il y en as une, une unité musicale pour l’ensemble des chansons et que le message passe. Mon public aime mon style et je lui reste fidèle. Les thèmes aussi sont importants. J’étais déçu par l’accueil réservé au dernier album qui s’est moins bien vendu que les autres. Il y en a 600.000 qui sont partis, et ma meilleure vente est de 1.300.000. Surtout que j’ai pris un an pour l’écrire et que je me suis fait désirer un peu. Je suis responsable du manque de promo, de ma presqu’absence à la télévision. Pour ce disque-ci, je mets un peu plus d’eau dans mon vin et je répondrai à la demande du public de me vois plus souvent sur le petit écran, dans certaines émissions que je choisirai consciencieusement! ».
Ballade
– Pour revenir à l’album, pourquoi l’Irlande?
– « Depuis plusieurs années, j’avais envie d’écrire un album de chansons acoustiques. Au fur et à mesure que les chansons avancent en studio, elles le sont de moins en moins. J’aime les musiques irlandaises. Il y a des vrais instruments, guitares sèches, violons… J’ai cherché plusieurs producteurs sans idées précises et puis, après en avoir rencontrée plusieurs, et écouté beaucoup de disques, j’ai répété pendant dix jours avec des musiciens irlandais. Et voilà! ».
– Tu les prendras en tournée avec toi?
– « J’aimerais bien mais ce ne serait pas sympa pour mes musiciens habituels. J’ai déjà engagé un gars qui joue tous ces instruments traditionnels: guitare sèche, violon, alto, yukulélé… Il a amené un grand plus sur scène pendant ma tournée au Québec ».
– Crois-tu que ton public adhère à tes chansons, à tes messages?
– « Bien sûr, dans mon public populaire, il y en a qui aiment ma dégaine, mon côté « rentre dedans », ma provocation. Il y a certainement des gens qui m’aiment pout tout ça, et d’autres qui aiment mes chansons pour leur musique. Je pense néanmoins qu’une grande partie de mon public adhère à mes idées. J’espère en tout cas! ».
– Qui fréquentes-tu dans le milieu du spectacle?
– « Mes deux vrais potes étaient Desproges et Coluche. Sinon, j’ai quelques copains que je rencontre de temps en temps, rarement, comme Cabrel… J’ai des vrais amis, mais ceux-là ne sont pas chanteurs… ».
– Tes fans sont souvent des fans de hard-rock. Et toi?
– « Non, je ne suis pas un fan mais j’aime bien Scorpions qui ont des slows extra! ».
– Et au niveau BD? Je sois que tu es assez branché. Quelles sont tes préférences?
– « Les Belges, tous ceux des années 30 à 60, Hergé et Franquin… Mais aussi Tibet, Dany, qui sont devenus des potes. Il y a d’ailleurs eu La Bande A Renaud dans laquelle mes chansons étaient illustrées par des dessinateurs. C’était sympa, un bel hommage rendu à la BD par une amoureux de la BD!
J’ai une belle collection, très chère d’ailleurs, de tout ce qui se rapporte à Tintin et à Hergé… Je suis un frai fan! ».
Nous aussi! De Tintin et de Renaud, bien sûr!
B. N.
Source : 7 Extra