N° 225, décembre 1985
Plus rocker dans la manière et la silhouette (et par son public !) que par sa musique, Renaud disperse les catégories, déchire les étiquettes et épuise le critique. Ma grand-mère aime Renaud. Mon petit neveu aime Renaud. Ma blonde a tous ses disques et mon boulanger, déjà, ses places pour le prochain Zénith. Depuis des mois mon disquaire s’épuise à calmer des hordes de gosses qui réclament un nouvel album pas encore disponible ! Bref, tout le monde aime Renaud et Renaud – pas chien – aime tout le monde. « Rock & Folk » se devait un jour de rencontrer cet anarcho-poulbot devenu poids-lourd des ventes de disques et fiancé d’une France qu’il n’a jamais épargnée. Lors de cette rencontre historique, les sujets les plus divers se devaient d’être abordés. En vrac : l’Ethiopie, Moscou, Springsteen et le PSG ! Suivez le guide.
INTERVIEW DU MOIS |
Rock & Folk – L’échec du concert de La Courneuve…
Renaud – Au niveau de la fréquentation, ça a été un échec total, c’est évident ! Par contre, pour ceux qui se sont déplacés, je peux t’affirmer que le concert n’a rien eu d’un échec…
R & F – De fait, le public n’est pas venu. Pourquoi ?
R. – D’une part, c’était trop cher. D’autre part, c’était trop tard ou trop tôt, il aurait fallu le faire le même jour que Wembley et Philadelphie. C’est dramatique à dire, mais les gens se mobilisent en fonction de mode, dans six mois l’Ethiopie sera dans la même merde et tout le monde s’en cognera ! Et puis on est arrivé après le concert SOS Racisme à la Concorde qui, lui, était gratuit, c’était foutu d’avance ! C’est facile à dire après et je vais avoir l’air de tirer sur l’ambulance, mais je le savais avant. Au départ, je ne voulais pas y aller ! Pas comme ça, pas dans ces conditions. J’étais aux Etats-Unis pour mon album, je n’ai suivi l’organisation que de loin, mais il y a eu des erreurs. L’affichage, par exemple, a démarré bien trop tard. Seulement, sachant comme beaucoup qu’on allait au casse-pipe, je ne pouvais décemment pas ne pas y aller. Ouvrir ma gueule alors que la machine était lancée aurait été suicidaire.
R & F – Et le plateau proposé ? Suppose qu’il y ait eu Springsteen, Dire Straits et Phil Collins ?
R. – Va savoir !
R & F – Cent vingt balles pour voir Carlos, Richard Berry, Jean-Luc Lahaye et Dorothée, c’est cher…
R. – Peut-être que pour cinquante les gens ne seraient pas venus non plus ! Et réduire le plateau, c’était prendre le risque de se faire taxer de sectarisme, c’était déclencher une nouvelle polémique. Sur le fond, proposer Lahaye et Lavilliers, Dorothée et Hallyday, ça me semblait être une bonne idée. Sortir des clivages réducteurs, pour une fois !
R & F – Les benefits, pour toi, c’est terminé ?
R. – Pour l’instant, les causes humanitaires, les galas de soutien, je flippe un peu avec tout ça. Ce genre de militantisme, c’est plus aussi clair dans ma tête. Je suis sollicité de partout et ça ne va plus ! Si on me demande d’aller rejouer à la prison de Melun, là, okay j’y retourne, mais je ne veux pas devenir l’indigné de service, j’ai ma vie. Si tu commences à donner dans ce truc, tu n’en sors plus, ça te bouffe tout ton temps.
R & F – Sur l’Ethiopie, tu as été en pointe, non ?
R. – Pas tant que ça… Quand Valérie Lagrange m’a demandé d’écrire la chanson, au début, je ne voulais pas. Je travaillais sur mon disque et l’Ethiopie, j’avoue, ça ne m’empêchait pas de dormir. Après, tout a été très vite : le disque, les polémiques autour et enfin le concert. Je n’ai pas contrôlé grand-chose pour à la fin me retrouver presque sur le banc des accusés ! J’en assume toutes les conséquences. Même si toute l’aide n’est pas arrivée, même s’il y a des enfoirés qui se sont sucrés au passage, même si Médecins Sans Frontières n’est pas exempt de tout reproche, même si on n’a sauvé qu’un gosse, j’assume ! Et je recommencerai ! De manière plus discrète, sans doute.
R & F – Les législatives approchant, on va sûrement te contacter pour ratisser le jeune électorat ?
R. – Ouais… sûrement. Mais j’irai pas à « Sept sur Sept » ! Je le jure ! Au bistrot, oui, je peux donner mon avis, pas devant Anne Sinclair. Pas le temps de répondre à la question qu’on t’en pose une autre…
R & F – Citoyen Renaud, vas-tu voter ?
R. – Je pense, oui… J’ai pas le choix, je veux pas qu’ils reviennent. Ce sera sans être dupe. Ils vont revenir, okay, mais ça ne sera pas grâce à moi.
L’usine Renaud

R & F – Tu as donné une série de concerts à Moscou…
R. – On m’a invité, j’y ai été ! C‘est tout. Si on m’avait invité, j’aurais aussi bien chanté à New York ou à Singapour…
R & F – Sur scène, tu attaques rarement le régime de Singapour.
R. – Attention, pas de malentendu, les cocos, ça fait partie de ma famille ! On a eu des moments difficiles, mais sur le fond ils me sont proches. Depuis mon passage, sans honte, à la fête de l’Humanité, nos rapports se sont réchauffés, on ne se tire plus dessus à boulets rouges. Et puis j’en avais marre de l’anti-communisme ambiant ! Moi, quand je pense « communistes », je ne pense pas aux dirigeants, je pense aux mecs en bleu de travail. On ne se refait pas, c’est dans mes tripes. Je savais qu’en allant à Moscou j’allais me faire allumer, mais comme je n’ai pas de racisme particulier envers les jeunes communistes, pourquoi pas ? En fait, comme les Jeunesses Communistes qui m’avaient invité, je me suis fait bel et bien couillonner.
R & F – De quelle manière ?
R. – On a été naïfs de croire que mes textes, libertaires dans l’esprit, pouvaient être jetés en pâtures à des gens pas spécialement préparés à une telle liberté de propos. Le second soir, quand au milieu de « Déserteur » un tiers de la salle s’est levé comme un seul homme pour sortir, on ne me fera jamais croire que ce n’était pas prévu à l’avance ! On avait traduit mes textes et cette humiliation était soigneusement préparée. Trois mille Komsomols (NDR : les Jeunesses Communistes Soviétiques) qui se lèvent d’un bond, un type qui dans l’après-midi m’interviewe avec comme seule préoccupation l’ordre de mes chansons, non, je me suis fait piéger ! Idem pour les jeunes communistes français… ce qui prouve que leurs rapports fraternels ne sont pas aussi clairs que ça. La prochaine fois on leur enverra Francesca Soleville !
(Coluche)
R & F – Virgin, Pathé et Polydor, ta maison de disques actuelle, se disputeraient tes faveurs… Exact ?
R. – Depuis deux ans que je les fais marner ! Non, leurs propositions étant similaires, tout va être une question d’hommes, de relations humaines. Il va falloir que je me décide… (NDLR : Renaud a choisi Virgin. Chiffre officieux : 2 milliards de centimes…)
R & F – Le transfert de Renaud, ça se chiffre à combien ?
R. – Je ne peux pas le dire… Disons qu’avec tous ces zéros le lecteur ne comprendrait pas… Ecoute, en dix albums j’ai touché entre 300 et 400 briques. Polydor entre 3 et 4 milliards ! Qui les mérite le plus ?
R & F – Tu as l’argent honteux ?
R. – Complètement. Je ne suis pas Coluche, je n’ai pas sa franchise. j’ai arrêté mes études à seize ans et après je n’ai jamais vraiment ramé, du moins dans le métier. Alors, quand je croise des mecs bourrés de talent qui en chient, j’ai un peu honte… Pour en revenir à mon contrat futur, disons qu’il sera basé sur des garanties pour quatre albums. Entre 300 et 400 briques pour moi par album, que j’en vende un ou un million.
(Telecaster)
R & F – Qu’est-ce que c’est que cette histoire de guitare offerte à Springsteen ?
R. – Springsteen, c’est mon idole, mon Dieu, je suis comme un fou, je suis malade de ce type ! Il y a un an j’avais même commencé à travailler sur un projet d’album « Renaud Chante Springsteen ». Ouais ! Sérieux. Si j’ai laissé tomber c’est uniquement pour ne pas me faire descendre par « Rock & Folk » !
R & F – Sage précaution.
R. – Non, je rigole ! En fait, l’entreprise s’est vite révélée casse-gueule. Traduire, adapter, changer les orchestrations, ça ne suffit pas. Pour conserver l’esprit, là, c’est coton ! Pour les ballades, ça passait, mais pour les rocks ! A la limite il te faut carrément le E Street Band derrière pour ne pas avoir l’air ridicule. Trop risqué, j’ai laissé tomber.
Springsteen, c’est mon idole ! Je suis malade de ce type !
R & F – Et cette guitare ?
R. – Oui, bon, la guitare… Le sachant à Paris, je décide de lui faire un cadeau. Comme ça. Par pur groupisme. Un truc bien. J’astique ma Telecaster 59, ma rouge, et je fonce la déposer à son hôtel avec un petit mot : « Voilà, je suis Renaud, je suis chanteur, je voudrais te filer ma gratte, ma favorite, ma préférée, pour ce que tu as fait pour les chômeurs à Saint-Etienne, pour les mineurs en Angleterre, pour tout ce que le rock’n’roll te doit. Je te laisse aussi notre cassette pour l’Ethiopie. Signé : Renaud.
PS : Dimanche je serai dans la foule, tu ne pourras pas me rater, j’ai des cheveux longs et un blue-jean. » Tout ça en anglais et suppliant le portier de l’hôtel pour qu’il lui remette en main propre, pas à un road ou au manager…
R & F – Et il a oublié.
R. – Non, attends ! Le dimanche, au concert, à l’entracte, il me fait demander en coulisse ! Pendant dix secondes, je refuse, sachant très bien que j’allais me retrouver comme quand les mômes me rencontrent moi. Planté. Et c’est exactement ce qui s’est passé ! Je l’ai vu à peine deux minutes. Il a serré la louche à Caroline de Monaco et à moi. Après, ça devient flou. J’étais planté comme un gosse devant son dieu. Il m’a fait un grand sourire et m’a remercié pour la guitare. J’ai bredouillé trois mots en anglais et il m’a dit qu’il devait retourner au boulot. J’ai répondu : « Okay, vas-y, tu le fais bien ». Tout con.
(Bolcho)
R & F – Si Chancel te propose « Le Grand Echiquier », tu acceptes ?
R. – Non. En touriste, oui, mais pas en invité central. C’est comme le « Jeu de la Vérité », jamais ! J’ai pas envie de me déboutonner devant des millions de gens.
R & F – Le PSG va-t-il être champion de France ?
R. – Malheureusement, j’en ai peur… Mon équipé préférée, c’est Lens. Et Laval.
Mais Laval, ils sont mal barrés !
R & F – Tu préfères Chantal Goya ou Dorothée ?
R. – Dorothée ! Non seulement je la préfère, mais j’adore Dorothée. Parce qu’elle est mignonne, parce qu’elle chante bien. Ce qu’elle fait pour les mômes, c’est jamais vulgaire, c’est jamais pute, c’est jamais odieux. Ma fille et moi, on a tous ses disques.
R & F – Combien de paquets par jour ?
R. – Entre deux et trois. Gitanes.
R & F – Que penses-tu de Renaud ?
R. – Renaud ? Le bolcho ?
– PHILIPPE LEBLOND.
Source : Rock & Folk