Renaud : le premier des punks

Le Quotidien de Paris

28 octobre 1977

VARIETES

23 ans, une silhouette de personnage de bande dessinée, pareille à celle rencontrée aux abords des manèges d’auto­-tamponneuses, devant les juke-boxes, ou aux comptoirs des buvettes des petits bals du samedi soir.

Renaud, cheveux blonds dégoulinant sous la casquette de gavroche, blouson de cuir noir, jean élimé, sa guitare sèche et son accordéon reviennent aux Blancs-Manteaux.

La démarche du personnage séduit d’entrée. Dédaignant résolument les modes musicales portées par les courants anglophones, Renaud préfère, lui, le tango et la java chers au Bal à Jo, entre autres compositions originales aux accents musettes, pour donner vie, avec les mots de la rue, ceux-là même qui se foutent du dictionnaire poussiéreux de l’Académie, écorchent l’oreille bien élevée, mais composent déjà le langage de demain, à ses héros : des paumés, des loulous, des zonards.

Frères de James Dean et fils de Kubrick, nés par hasard, ils jouent les preux chevaliers sur une mobylette trafiquée, boivent de la bière à la canette, se nourrissent de sexe et de violence, roulent des épaules dans tes couloirs du métro, intimident les bourgeois, et courtisent les vendeuses de Prisunic. L’unique fureur de vivre que la société leur accorde. Nous les délaissons, les évitons, les isolons. Renaud les connaît et les aime, aussi en brosse-t-il, avec une gouaille et une naïveté souvent attendrissantes, un portrait précis, plein de gentillesse et d’humilité.

Plus qu’un tour de chant, une étude de mœurs pour nous apprendre à regarder et à mieux comprendre.

Bernard MABILLE

Aux Blancs-Manteaux à 20 h 30

  

Source : Le Quotidien de Paris