Ajouté par Michel Kemper le 17 juin 2021.
Relancer l’expo Renaud, remettre deux sous dans la machine, nous vaut l’annonce de cette nouvelle (et jolie) compile dont l’un des arguments est d’ores-et-déjà la pièce de collection pour les « fans » du chanteur énervant : un puzzle, rien que ça ! (et un jeu de dominos à découper dans le livret, mais ce serait sacrilège, sauf à en acheter deux exemplaires, de prendre sa paire de ciseaux pour taillader dans le papier).
Selon votre bourse, la compile est déclinée en quatre produits (hormis les ringards et les économiquement faibles, les vrais fans qui ont Renaud tatoué sur leur peau achèteront les quatre…), le must étant la version deux vinyles colorés, trois cédés et une affiche pour 85 euros : une paille dans un budget !
Trois sections pour les versions CD : 1975-1985 (de Société tu m’auras pas à La pêche à la ligne), 1985-1994 (de Mistral gagnant à La médaille), 1994-2019, la dernière débutant par A la belle de mai (chanson-titre de ce qui est objectivement son dernier grand album) pour s’ébrouer sur Les animals… Soixante titres en tout, survol de fait rapide de quatre décennies et demie. Tant de précédentes compiles, d’intégrales aussi, existent sur Renaud, que celle-ci n’est qu’un objet, élégant, de plus. Dont la vedette est indiscutablement l’illustrateur et directeur artistique Gérard Lo Monaco, par ailleurs très impliqué dans l’expo Renaud. Car ce coffret est un superbe produit graphique : rien que pour ça, il peut susciter l’impérieuse envie d’achat. Notons que c’est Johanna Copans, co-commissaire de l’expo Renaud, qui en signe le texte du livret, texte qui se veut être déambulation parisienne, qui débute au 6 avenue Paul-Appell, « là qu’il a grandi et s’est construit », au Parc Montsouris, là où « Doisneau photographie Renaud ». MK
Renaud, Putain de best-of ! Parlophone 2021. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Putain d’expo !
Témoignage de notre collaborateur Vincent Capraro, un proche de Johanna Copans, co-commissaire de cette expo, publié le 31 octobre dernier sur NosEnchanteurs. Nous avions accordé à Vincent six mille signes pour tout nous raconter ; il doit en être à six cent mille. En bas de cette page, pensez à cliquer sur le lien « ici » pour poursuivre ce récit que tout amateur se doit de lire jusqu’au bout sous peine d’être radié de la horde.
Octobre 2019, mon amie Johanna Copans (photo ci-contre), auteure d’une thèse intitulée « Le paysage des chansons de Renaud : une dynamique identitaire » publiée chez l’Harmattan, m’appelle et m’annonce avec une joie non dissimulée, qu’elle va être « co-commissaire » avec David Séchan (le frère jumeau du Renard, le plus ressemblant des deux) d’une exposition sur la carrière du chanteur énervant qui se tiendra à la philharmonie de Paris à l’automne 2020. Une formidable aventure s’annonce pour toute une équipe, un an de travail de dingue. Ce genre d’événement se prépare en général deux ans à l’avance… Pour les décors et les conceptions graphiques, David et Johanna ont fait appel à un « troisième larron », Gérard Lo Monaco, peintre décorateur scénographe, passionné de l’art forain avec qui Renaud a souvent collaboré au cours de sa carrière, mais on en parlera plus avant.
Au cours de cette année, nous avons souvent échangé avec Johanna autour de cette passion commune, sur le choix de photos, de thèmes, jusqu’au nom de cette expo qui n’était pas gagné à l’avance. Ce sera, Victoire ! notre choix : Putain d’expo, clin d’œil au titre de l’album et de la chanson Putain d’camion, en hommage à Coluche.
Je vous emmène, non sans émotion, visiter cette exposition consacrée à Renaud de son vivant. Une exposition recentrée sur l’œuvre de l’artiste, sur son parcours, sur une carrière riche qui compte pour les amoureux de la chanson. Nous laisserons les vautours médiatiques avides de buzz malsain, spéculer sur son état de santé.
Dès le début de la visite nous sommes directement immergés dans l’enfance de Renaud à travers des photos de famille sépia et des films en Super 8 du Papa, Olivier Séchan. Des extraits du court métrage Le Ballon rouge d’Albert Lamorisse (1956) montrent Renaud et David à trois ans, un ballon à la main qui font leurs premiers pas de comédiens. C’est leur l’oncle, Edmond Séchan, qui travaille dans le cinéma, qui engagea ses neveux.
Cette enfance, on la perçoit douce comme le miel au sein d’une fratrie de six enfants. On comprend, là devant ces photos, combien cet univers familial a construit l’homme mais aussi l’artiste. La nostalgie de l‘enfance est omniprésente dans toute son œuvre. On voyage dans le temps, de l’avenue Paul-Appell du 14e arrondissement aux collines des vacances cévenoles de Vialas. « Où sont-elles mes cabanes en bois… où sont-ils mes châtaigniers et mes torrents des Cévennes de mon cœur » (Mon paradis perdu) ; « le seul vrai enfer qu’on avait sur terre il était dans le ciel de nos pauvres marelles » (Le sirop d’la rue). Renaud est issu du croisement de deux mondes, intellectuel protestant du côté paternel, populaire ouvrier du Nord du côté maternel. On y retrouve Olivier Séchan le père écrivain de romans policiers et de romans pour la jeunesse et Louis Séchan, le grand-père paternel, helléniste professeur à la Sorbonne. On restera longtemps en admiration devant la machine à écrire exposée du papa, la fameuse Underwood portable. On imagine le jeune Renaud fasciné par ce père dont le métier lui donnera sans doute à son tour l’envie de faire de l’écriture sa vie, son métier. Mais c’est Solange Mériaux, sa maman, qui lui donne le goût de la chanson populaire en écoutant à la maison Fréhel, Damia, Maurice Chevalier ou Brassens. Au-dessus des photos de famille, trône l’affiche militante pour les élections législatives de 1932 du candidat communiste Oscar Mériaux, le grand-père paternel mineur du Nord à qui Renaud rendra un vibrant hommage en chansons Oscar et Son bleu.
De cette famille de milieu modeste, dont la richesse est plus intellectuelle que financière, Renaud héritera le goût pour les lettres et la chanson populaire, et se forgera un esprit social contestataire.
Toute l’exposition regorge de manuscrits et documents rares, photographies inédites choisies par David et Johanna parmi les quinze classeurs prêtés par Renaud. Renaud conserve tout, mais tout n’est pas forcément rangé, l’expo aurait pu compter encore bien d’autres documents… Concernant l’enfance, on découvrira un cahier dans lequel Renaud écrira son premier « roman policier » à seulement neuf ans. Des dessins, mais aussi le manuscrit de la chanson Crève salope datée du 20 mai 1968, le premier brûlot de Renaud à seize ans contre tous les autoritarismes, des parents, des profs, de la police, de la justice, de la religion. En Mai 68, Renaud redouble sa troisième. À en croire son relevé de notes que l’on découvre en vitrine, il est plus séduit par la révolte ambiante que par les études. Appréciation en sciences : « travail nul, aucun intérêt en cours qu’il perturbe fréquemment… ». Rien d’étonnant donc de le retrouver actif au sein du Comité Gavroche révolutionnaire à la Sorbonne, un film court nous le présente à l’époque dans une imitation de Guy Bedos : « Moi, je dis, le pognon, la famille, le pognon, la patrie, le pognon, y a que ça de vrai… Rien dans les mains, tout dans les poches… » On retrouvera d’ailleurs un manuscrit exceptionnel, son petit manuel du parfait manifestant dans lequel il explique comment éviter et se protéger des CRS, comment batailler dans les rues, et donne la recette du cocktail Molotov avec le chiffon imbibé d’essence. Cinquante ans plus tard, on aurait parfois bien envie de s’en servir encore… Quelle merveilleuse idée d’avoir consacré un espace à Mai 68, c’est sans doute un des éléments fondamentaux de la construction de l’esprit mutin de notre Renard…
On poursuit la visite de l’expo CLIQUEZ ICI avec, en sus, la préface de Renaud lui-même.
Source : NosEnchanteurs