Renaud, le tendre bagarreur

Le Soleil

Québec, samedi 14 janvier 1989

LES ARTS ET SPECTACLES

Entre utopie et réalisme

« On peut se prendre pour un grand quand on a vendu un million de disques… quand on s’est moqué avec succès d’une première ministre de Grande-Bretagne. Et pourtant Renaud Séchan reste simple et marginal. »


par LOUIS TANGUAY
Le SOLEIL


L’auteur de ces lignes n’est évidemment pas Renaud, qu’on a commencé à découvrir à Québec en 1984 alors qu’il était déjà une grande vedette en France. C’est plutôt Pierre Saka, l’auteur du Larousse « références » de La chanson française à travers ses succès, une anthologie qui couvre six siècles et compte parmi ses 300 textes Mistral gagnant (1985) et Laisse béton (1976).

L’utopie

Le « chanteur énervant » (il ne déteste pas se faire appeler ainsi) n’est pas insensible à ce genre de reconnaissance: « ça me touche un peu et ça me flatte beaucoup », avouait-il cette semaine en entrevue au SOLEIL, juste après la conférence de presse qu’il donnait à Montréal. Il trouve aussi à la fois flatteur et scandaleux que certaines de ses chansons aient été interdites sur les ondes françaises mais reste convaincu que la seule vraie reconnaissance vient du public.

Pour Renaud Séchan, la chanson reste un moyen de faire prendre conscience aux gens (aux jeunes surtout) des problèmes de la planète, comme Bob Dylan l’a fait pour le racisme et la guerre du Vietnam: « les mots dérangent le pouvoir et croire que la chanson influence l’état d’esprit de ceux qui seront bientôt les dirigeants fait partie de mon utopie ».

Le chanteur ne rêve pas d’un monde meilleur. Il espère seulement que, dans 20 ans, le monde ne sera pas pire que maintenant avec encore de la nature propre et des gens libres: « pour cela il faut apprendre aux enfants à être moins cons que nous. Moins mesquins, moins intolérants. Moins mercantiles car le profit ne donne pas le bonheur ».

Les enfants

L’enfance (sa fille Lolita a maintenant huit ans et demi) reste la chose la plus importante dans sa vie comme dans son oeuvre, parce que seule source de vraie innocence, loin des préoccupations des grands.

Renaud sera sur la scène du Grand Théâtre jeudi et vendredi prochains.

Ses chansons préférées sont d’ailleurs En cloque, Morgane de toi et Mistral Gagnant.

Il croit, à 36 ans, qu’une chanson sur la relation entre un père et son enfant peut davantage faire avancer une idée qu’une chanson de révolte.

Lui qui avait d’abord chanté sur un ton provocateur le côté sordide de la vie de banlieue, la zone, les mobilettes, a commencé à changer de propos avec le microsillon Morgane de toi, et a continué de s’ouvrir sur la fraternité et l’amour avec Mistral gagnant et Putain de camion.

Renaud reconnaît qu’il hurle moins fort qu’il y quinze ans. Il ne se cache pas d’être un peu désabusé, à force de crier dans le désert. On vend, dit-il avec un cynisme qui doit faire grincer des dents ses producteurs, « des disques et des spectacles comme de la lessive ».

« Parfois j’ai envie de tout plaquer là. Mais certains soirs, sur scène, je trouve que je fais le plus beau métier du monde ».

L’argot

L’auteur écrit encore ses textes avec des expressions en argot, parce que « l’argot c’est de la langue française et une fois démocratisé, il entre dans les dictionnaires et enrichit la langue ».

Si on lui rappelle que, à sa première visite au Québec, quelqu’un avait jugé bon d’ajouter à l’intérieur de la pochette de son plus récent disque une traduction de certaines paroles, il se demande si c’était bien nécessaire.

Qu’on lui parle de sa participation au succès du groupe breton Soldat Louis ou à celui de Johnny Clegg, il trouve toujours le moyen de mitiger l’importance de ses interventions.

A cause de cela comme du contenu de ses chansons, on peut dire que Renaud Séchan sait rester un chanteur « simple et marginal ».

 

Source : Le Soleil