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La Dépêche du Midi
On dirait presque qu’il nous parle de l’au-delà. Avec un détachement plein d’élégance. Avec l’émotion dosée qui suit les larmes.
Et il nous prévient d’entrée: « C’est l’histoire d’un mec de 50 balais, qui est revenu de tout… »
Blessé, brisé, mais digne et debout. Il serait pathétique s’il n’avait en lui l’étincelle malicieuse de l’humour qui lui redonne ses allures de titi-farfadet, de Gavroche qui le moment venu saura faire un croche-patte à la Camarde.
Et pourtant, Renaud, c’est une vraie succes-story. Une histoire qui se conjugue avec le nôtre, celle des mômes du baby-boom, qui ont connu les barboteuses et les sandalettes de l’après-guerre.
Le documentaire de Didier Varrod laisse la place aux images 8 mm tournées par le papa de Renaud, dans les années 50. Chronique qu’une famille comme il faut, bourgeoise, mais militante, aisée mais généreuse, où le petit garçon s’imprégnera des idées de justice et de solidarité.
Renaud? Cela fait un quart de siècle qu’il nous accompagne. On le retrouve à ses tout débuts, avec la bande à Coluche: Patrick Dewaere, Henri Guybet, Miou-Miou. Et puis on le suit, d’expéditions maritimes en coup de gueule à Moscou. En passant par l’aventure Germinal: bien plus qu’un film, une plongée dans ses racines ch’timies, au fond d’une mine d’émotion et d’une galerie de grandes gueules.
Renaud? Tout semble lui réussir. Ses concerts attirent des milliers de fans, il est une star respectée, il vendra 12 millions d’albums!
L’ADIEU AUX COPAINS
Pourtant, rien ne va. Comme dans la chanson, ce Roi Renaud porte ses tripes dans ses mains. Tout au long de sa carrière, il a gueulé ou murmuré ses émotions les plus intimes à travers ses chansons. Les émois de la paternité, avec « En Cloque » ou « Morgane de toi », ses doutes face à l’enfance dans « Mistral gagnant », ses révoltes dans « Mort les enfants », et par-dessus tout son amour pour son éternelle compagne (même si elle est partie), Dominique, « Sa Gonzesse ».
Sa carrière, ses albums semblent être le séismographe de cet amour-là, qui entrera sans doute un jour dans la légende, comme celui d’Aragon pour Elsa, de Dali pour Gala.
Car c’est à l’aune de ce baromètre que le chanteur se pochtronne, que Renaud devient Renard. Il ne cache rien de son enfer. De ses déprimes abyssales, de ses noyades dans l’alcool, de sa paranoïa. Même si en même temps, il sait qu’il a avec son public « des millions d’épaules pour pleurer ».
Renaud? Il crève d’amour, mais aussi de nostalgie. De ce temps qui s’enfuit, pour ne laisser que les images muettes en 8 mm d’une maman qui gave de mûres une couvée de bambins gourmands dans un chemin creux gorgé de chaleur. De cette enfance où pétillaient les « Mistral Gagnant » et les Coco Bauer…
Une femme partie, une enfant qui grandit, et des copains disparus: Dewaere, Coluche, Gainsbourg, Renaud les cherche à tâtons, dans le crépuscule où il s’égare si souvent. Même François Mitterrand, le Tonton « machiavélique », lui manque. Le moineau aux épaules de velours à mal à ses ailes. « Fatigué », ce mécréant semble ne pas rechigner à cheminer vers le paradis des enfoirés où il retrouverait ses potes. On a envie de lui gueuler de ne pas laisser béton.
« J’ai du mal à imaginer le reste de ma vie sans alcool », confie-t-il. Sachant que le delirium est planqué derrière son blouson de cuir, prêt à le vampiriser au moindre godet…
Eh, déconne pas Renaud, c’est à nous que tu fais de la peine…
Dominique DELPIROUX.
Sources : La Dépêche et Le HLM des fans de Renaud