No 18, automne-hiver 1995
Spécial Renaud : 20 ans de chansons
« Ma démarche était plutôt généreuse, et je n’ai surtout pas voulu me mettre en avant. Je n’ai fait qu’une télé avec cette chanson, aux Victoires de la Musique, avec une chorale d’enfants. Je n’étais que l’auteur de le chanson, l’instigateur de l’entreprise étant Valérie Lagrange. Ils avaient besoin d’une locomotive pour promotionner cette initiative. J’ai écrit les paroles, Frank Langolff a fait la musique et Valérie Lagrange nous a tous motivés.
J’ai réuni dix copains qui en ont réuni cinq autres, qui eux- mêmes en ont réuni cinq autres et on s’est retrouvés à quarante interprètes. Avec les attachées de presse, les épouses et les copains, ça faisaient quatre-vingt-dix personnes dans un studio fait pour vingt, et j’ai trouvé que ça suffisait.
Effectivement, on avait oublié Gérard Lenorman, Enrico Macias, etc…, et on m’a accusé, moi, directeur de l’opération — ce que je n’étais absolument pas — d’avoir méprisé une partie du métier au profit d’une autre, la famille « branché » contre la famille « variété ».
C’est vrai qu’il y a des chapelles dans ce métier et que je me sens plus proche de Lavilliers que de Lenorman, plus proche de Cabrel que de Michel Fugain. Gainsbourg n’est pas venu et il s’est fait agonir d’injures par les médias. Du coup, il s’est culpabilisé et il a fait un chèque en direct à la télé. Certains artistes dont je tairai les noms ont dit : « Jamais je ne chanterai ça, c’est une merde / », pour ensuite se plaindre : « On ne m’a pas demandé, on ne m’a pas sollicité. »
Ensuite, des gens de la maison de disques, forte du succès et des deux millions de 45 tours vendus en quatre mois, se sont pris pour Bob Geldoff et se sont dit : « On va faire comme à Wembley. » On avait fait un succès inespéré avec ce disque et, pensant qu’on pouvait faire aussi un succès scénique, ils ont organisé très très vite, et à une mauvaise époque de l’année, un concert à la Courneuve. J’étais persuadé qu’on allait se ramasser… et on s’est ramassés.
C’était mal préparé, trop vite, sans promotion, les places étaient trop chères. Je me suis fâché avec des artistes qui m’ont tenu pour responsable de cet échec, alors que j’étais le plus farouche opposant à ce concert. Certains m’en ont voulu, par jalousie, de la réussite du disque, et d’autres, de l’échec du concert… Alors, j’ai dit : la prochaine fois, ce sera sans moi ! Quand Goldmann m’a appelé deux mois plus tard pour me demander de faire la chanson des Restos du cœur, j’ai refusé. Les opérations bénévoles du showbiz, je ne voulais plus en entendre parler.
Cette chanson a été assez dure à écrire : ce n’est pas évident d’écrire des phrases qui doivent être chantées par des gens aussi différents que Johnny Hallyday, Jean-Louis Aubert, moi, Lavilliers, Cabrel. Goldmann m’a fait revenir sur des paroles qu’il trouvait trop politiques, mon frère a « traficoté » le refrain sans me demander mon avis, pendant que j’étais en vacances… Cela dit, il n’avait pas tort. C’est vrai que le texte est un peu neutre, mais il fallait être le plus neutre possible et, en même temps, délivrer un message d’espoir et de générosité. ».
Propos recueillis par Raoul Bellaïche et Cécile Prévost-Thomas, le 31 mars 1995, à Paris
Source : Je chante !