FORCES PARALLÈLES
CHRONIQUES ÉLECTRIQUES
Par GEGERS le 5 Décembre 2019
Me revient en tête cet album de bande dessinée, L’Enfer des concerts, du dessinateur Zep (sorti chez Dupuis en 1999, indispensable !). Au détour d’un gag, l’auteur insiste sur l’importance du visuel dans un concert. Et prend pour exemple un des concerts auxquels il a assisté, vantant le soin apporté à la chorégraphie, le light-show, la beauté des costumes, mais ne comprenant pas vraiment pourquoi avoir mis ce vilain bonhomme plein de tics au milieu de la scène, dessinant le regretté (ou pas) Joe COCKER.
C’est Zep, justement, qui se charge des sympathiques illustrations du 17ème album de RENAUD (ou de ce qu’il en reste), Les mômes et les enfants d’abord. En croquant l’éternel interprète de si nombreux immenses standards de la chanson française, le dessinateur de Titeuf a-t-il eu l’impression de tenter d’insuffler de la vie dans une coquille vide, de participer à l’énième retour (sobre, juré craché) d’un artiste encore certainement vif d’esprit mais, par ailleurs, complètement à la dérive et dont chaque apparition publique génère le même malaise ressenti lorsqu’on dépasse au pas une scène d’accident sur l’autoroute ?
Débarrassons-nous d’entrée du sujet de la voix. Alors que sur l’album de 2016 elle avait été trafiquée à l’extrême, pour un résultat à la fois malhonnête et inaudible, elle est ici, c’est ce que les communiquants du chanteur prétendent, ‘simplement’ corrigée pour sonner juste et donner l’impression que RENAUD est encore capable de gérer des changements de ton. La voix du bonhomme est cramée par trop d’années d’alcool, elle est parfois trop rugueuse pour ne pas provoquer de gêne, mais il faut bien reconnaître qu’elle sonne plus authentique que n’importe quelle des notes chantées par le plus célèbre porteur de bandana rouge sur son précédent album sans titre et sans qualités. Rien que pour cela, Les Mômes et les enfants d’abord se fait plus recommandable que l’album éponyme présenté comme celui du grand retour. Bien entendu, pour aller plus loin, l’auditeur doit faire semblant d’accepter ce jeu de dupes et se convaincre que le chanteur, dont l’élocution a énormément morflé (même les interviews promotionnelles réalisées par la maison de disques montrent un artiste tristement incapable d’enchaîner deux syllabes), reste à même de chanter. Allez, un peu d’empathie.
Les mômes et les enfants d’abord se veut l’accomplissement d’un rêve, d’un projet que caressait RENAUD depuis 20 ans. La nostalgie de l’enfance n’est pas heureuse pour celui qui a titré son autobiographie publiée en 2016 Comme un Enfant perdu. La nostalgie est une douleur et l’enjeu de ces douze titres est de porter l’enfance en bandoulière comme une fierté, comme une parenthèse enchantée dans une vie qui fait rapidement montre de sa dureté. Ce nouvel album est un album où l’enfance est omniprésente, dans les mélodies, dans les textes, dans les phrasés. Mais ce n’est en aucun cas un album destiné aux enfants.
Ecrit rapidement, en trois semaines à peine (seuls deux des douze textes sont des vieilleries exhumées pour l’occasion), ce nouvel album est mis en musique avec brio par les proches de RENAUD. Renan Luce, Romane Serda et Michaël Ohayon, notamment, ont participé aux orchestrations qui donnent à l’album une saveur folk/rock prononcée. Leur connaissance de l’univers de RENAUD leur a permis sans aucun doute d’effectuer les bons choix, et le mélange réussi entre guitares, cuivres, piano et accordéon donne à l’album une saveur qui n’est parfois pas éloignée de celle du début de carrière. « On va pas s’laisser pourrir », par exemple, est avant tout et surtout un titre aux rimes un poil moralisatrices, sorte de mea culpa du chanteur qui évoque ses années d’addiction : J’connais un pote chanteur / Qu’a paumé dix ans d’sa vie / Dix ans d’errance, de malheur / Dépression, hypocondrie. Mais c’est aussi un morceau rythmé, rock énergique agrémenté de chœurs ‘western’, et dont l’ensemble sonne comme « Les aventures de Gérard Lambert ». Et ça, c’est un bonheur, un vrai.
Les bonheurs de ce genre ont peu nombreux sur un album qui voit RENAUD proposer fables anodines et hommages presque posthumes à sa personne. On apprécie l’innocence grivoise de « Pinpon », inoffensive valse hispanisante dont les paroles ont 20 ans. Mais en contrepartie, le même RENAUD nous inflige « Parc Montsouris », véritable purge tant au niveau de la musique que des paroles, qui nous donne l’impression d’écouter le pensionnaire d’un EHPAD nous raconter son activité de la journée sur fond d’harmonica. Le résultat en est presque dérangeant.
Des chansons qui font en effet de l’enfance un thème central, on en retient surtout deux de très grande qualité, en sus de « On va pas s’laisser pourrir » cité plus haut : « L.O.L.I.T.A » voit le chanteur faire une déclaration d’amour étymologique à sa fille Lola et ce morceau, qui pourrait être envisagé comme une suite naturelle à « Morgane de toi », témoigne d’un sens de la poésie intacte entre les doigts d’un auteur qui reste capable de grandes choses dans les bons jours. Plus loin « Mes copains » offre sans doute la plus belle mélodie de l’album, le refrain se faisant particulièrement inspiré. C’est sur ce morceau que la nostalgie se fait la plus piquante et mordante. Il s’en dégage une émotion sincère qui nous rappelle pourquoi RENAUD a peut-être raison de ne pas se taire.
Les autres titres ne génèrent qu’une indifférence polie. « Les animals », c’est le titre-rock passe-partout que le bonhomme propose habituellement dans ses albums, une version low-cost de « Toujours debout » qui était déjà un sous « Docteur Renaud, Mister Renard ». Les paroles ? Entre auto-satisfaction et poésie de bas-étages, elles ne provoquent rien chez l’auditeur. « J’aime rien » n’est pas si mauvaise, les paroles pouvant vaguement rappeler « Ma chanson leur a pas plu » : J’aime pas les fachos, ni les socialos / ces pauvres écolos qui roulent à vélo / pis surtout j’aime pas ma chanson / c’est pas Ferrat, pas Aragon. Citons « Le petit crabe et la langoustine », reprise aux intonations sud-américaines d’un morceau de Jacques Mahieux. « Y zon mis le feu à l’école », ballade au piano qui prévaut grâce à sa sympathique mélodie, se fait également agréable, mais semble avoir une portée résolument nulle. Alors que les titres de RENAUD sont souvent des morceaux-univers, dans lesquels l’auditeur peut se projeter, s’imaginer se prenant une raclée pour un jambon-beurre, caressant le chien Baltique devant l’Eglise pendant les funérailles de François Mitterrand, l’artiste ici ne projette rien. Et si l’écoute de « Y’a un monstre sous mon lit » et « C’est la récré », deux morceaux de cet album qui pour leur part s’adressent véritablement aux marmots, est agréable sur le moment, le plaisir est de courte durée.
On en ressort épuisé. Ecouter RENAUD chanter en 2019 est une véritable épreuve physique qui, nécessairement, amoindrit le plaisir de découvrir les (rares) bonnes trouvailles de l’auteur à la verve plus si vive. Les mômes et les enfants d’abord est tout de même (n’exagérons pas), plus appréciable que les deux précédents albums dits ‘de la déchéance’, à savoir Molly Malone et l’album de 2016. Néanmoins, parfois lourdaud ou moralisateur, forçant le trait et l’autodérision, portant sur ses épaules des mélodies dénuées d’intérêt, RENAUD réalise un plaisir personnel dont l’écoute ne satisfera que les amateurs les moins regardants de la musique d’un artiste que quelques sursauts d’orgueil parviennent à extirper de sa torpeur. La morale de cette aventure peut se lire, griffonnée sur un bout de papier placé près du chanteur sur une des interviews accompagnant le press-kit : Ne grandissez pas, c’est une arnaque.
LINE-UP
Non disponible
TRACK LIST
1. Les Animals
2. Pinpon
3. L.o.l.i.t.a
4. J’aime Rien
5. Mes Copains
6. On Va Pas S’laisser Pourrir
7. Y Z’ont Mis L’feu À L’école
8. Le Petit Crabe Et La Langoustine
9. Y’a Un Monstre Sous Mon Lit
10. Ça Va Gueuler
11. C’est La Récré
12. Parc Montsouris
Source : Nightfall