RENAUD : « Ma tournée c’est ma thérapie »

VSD

No 1182, du 20 au 26 avril 2000

Interview exclusive

Il avait disparu. Déprimé, séparé de la femme de sa vie et en panne d’inspiration, il retrouve le goût de vivre grâce à une tournée, sans pub ni médias. Pour « VSD », il s’est confié à son frère, l’écrivain Thierry Séchan.

REPORTAGE PHOTO : J. PREBOIS

Plus de 200 dates « confidentielles »

Le 12 avril dernier à Cluzes, en répétition. Depuis trois ans, il ne donnait plus signe de vie. Sans doute pour mieux se livrer à son public. Entre deux chansons, Renaud parle de tout. De politique, de sa fille, de ses amis, des médias, mais aussi de ses tourments amoureux.

Depuis six mois, Renaud chante partout en France. Sans promo et, surtout, sans nouvel album, il remplit les salles et refuse toute interview. Je l’ai suivi quelques jours en tournée et il a accepté de se confier à moi, son grand frère (écrivain et parolier, NDLR). Si tous les chanteurs pouvaient pratiquer le même « parler vrai »…

REPORTAGE PHOTO : J. PREBOIS

UN PUBLIC D’INCONDITIONNELS

L’affection est grande pour celui qui a fui les plateaux de télé.

REPORTAGE PHOTO : J. PREBOIS

Thierry Séchan : On ne te voyait plus beaucoup depuis trois ans. Où étais-tu ?

Renaud. Dans une brasserie parisienne, à m’étioler entre dix-neuf Ricard, douze antidépresseurs et quatorze anxiolytiques…

Depuis octobre 1999, ton interminable tournée, c’est une thérapie ?

R. Bien sûr que c’est une thérapie. J’étais au fond du trou, en mal d’amour, en mal de vivre, et mon ami Buccolo m’ a dit : « Tu veux de l’amour, tu veux de la vie ? Va en chercher auprès de ton public ! Il est là, toujours là ! Faisons une trentaine de concerts, ça te fera du bien ». Ça m’a fait du bien. Et on a décidé de continuer, encore et encore…

Et la famille, comment ça va ?

R. Ça va impec. Ma fille Lolita a bientôt 20 ans, elle est magnifique et tout ce qu’elle fait me rend fière d’elle. C’est le plus grand bonheur de ma vie, l’être que j’aime le plus au monde avec sa mère. Malheureusement, nous nous voyons moins souvent ces temps-ci, puisque je vis tout seul.

« Boucan d’enfer », cette nouvelle chanson belle et brutale où tu évoques ta séparation d’avec Dominique, la femme de ta vie, tu ne la chantes plus sur scène. Pourquoi ?

R. Parce qu’elle était trop impudique, que je m’y livrais trop. Je prêtais le flanc aux délires des journalistes sur ma vie privée, à leurs discours sur mes « déboires sentimentaux », toutes choses vraies ou fausses que je n’ai pas envie de voir étalées dans les journaux. Et puis c’était une chanson foncièrement injuste, égoïste, puisque je ne parlais que de mon chagrin, sans évoquer la tristesse de mon épouse, pour qui cette séparation fut aussi une grande blessure. Elle m’a dit ces mots si justes : « Toi, tu as le pouvoir de chanter ta douleur, de la voir apaisée par les applaudissements des gens qui t’aiment. Et moi, qu’est-ce que j’ai comme droit de réponse ? Et sur quelle épaule je m’appuie pour pleurer ? »

Tu chantes depuis vingt-cinq ans. Tu en auras 48 le 11 mai prochain. Tu comptes chanter jusqu’à 100 ans ?

R. Ben, oui… Parce que je ne sais pas faire grand-chose d’autre. Et puis, il faudrait que je sois un peu maso pour décider de me priver de cet amour démesuré que les gens me donnent chaque jour en échange de mes chansonnettes. Quand on ne s’aime pas beaucoup soi-même, c’est une façon de se supporter, ça aide à vivre.

REPORTAGE PHOTO : J. PREBOIS

Les Victoires de la musique, qu’est-ce que tu en penses, toi qui fus si souvent nominé et une seule fois récompensé, pour un disque en ch’timi, « Renaud cante El’Nord » ?

R. Eh oui ! J’ai été neuf fois nominé depuis 1986, et récompensé pour un album d’interprète alors que je suis avant tout un auteur–compositeur. Je me marre, mais c’est pas grave, puisque je considère que de tous les concours artistiques qui organisent des remises de trophées, la cérémonie des Victoires est la plus pitoyable. C’est crétin, prétentieux, mal foutu, parfois bidonné et toujours conformiste. En un mot, nul.

Est-ce que tu as de vrais amis dans le show-business ?

R. C’est un métier où on a plus de copains que d’amis. Je vois beaucoup David McNeil, Robert Charlebois, Julien Clerc… Ouais, ceux-là sont quasiment mes amis. Mais oserais-je leur téléphoner à 4 heures du matin en cas de problème, comme on le fais avec un véritable ami ? Je ne sais pas. Ah, j’allais oublier l’écrivain et parolier Etienne Roda-Gil, mon camarade de cantine, et puis mon guitariste Jean-Pierre Buccolo, bien sûr, le fidèle d’entre les fidèles.

Le cinéma, c’est vraiment fini pour toi ? « Germinal », c’était pas si mal, et le film a été un succès. Alors ?

R. Je n’ai jamais eu la moindre envie de continuer dans cette discipline qui n’est pas la mienne. D’abord parce que je ne pense pas avoir le talent nécessaire, et encore moins le feu sacré pour bien faire ce métier. Et puis, je dois avouer que, professionnellement et artistiquement, cette première expérience (la dernière aussi, je pense !) ne m’a rien apporté de satisfaisant. Un tournage, c’est une aventure collective dans laquelle, en tant qu’acteur, tu n’es qu’un maillon. Tout le monde bosse, et toi tu attends, tu glandes pendant des heures. Quand c’est ton tour d’y aller, que tu peux enfin te réaliser dans ce que tu crois savoir faire, c’est-à-dire exprimer des émotions, on te dit : « Fais pas comme ci, fais comme ça ! » Non, franchement, je préfère mille fois la chanson.

REPORTAGE PHOTO : J. PREBOIS
TOUJOURS LE MÊME TRAC.
Après vingt-cinq ans de carrière, derrière les rideaux, l’inquiétude.

L’humanitaire, le caritatif, comment vois-tu ça à l’aube du IIIe millénaire ? Encore cent ans de Restos du cœur ?

R. La charité, c’est le contraire de la justice. Mais souvent, t’as pas le choix. Il y a des situations d’urgence où il faut agir, et donc passer par le « charity business » et son idéologie gluante de bons sentiments. Pour ma part, j’ai tellement donné, tellement participé à tellement de « bonnes causes » qu’aujourd’hui je suis un peu las, désabusé. Je ne participe plus qu’à l’aventure des Restos du cœur. Par fidélité à Coluche en grande partie, et puis parce que, quoiqu’on puisse dire, ça fait bouffer des centaines de milliers de personnes chaque jour, et ce, dans une relative dignité.

REPORTAGE PHOTO : J. PREBOIS
C’EST GAGNÉ.
Avec son ami et complice de toujours, le guitariste Jean-Pierre Bucolo, il chante ses classiques : « Morgane de toi », « Dès que le vent soufflera »…

Parlons de ton public. Vingt-cinq ans après tes débuts controversés, tu sembles aujourd’hui faire l’unanimité, à gauche comme à droite. Serais-tu devenu un chanteur consensuel, une institution nationale, un peu comme Georges Brassens ici ou Félix Leclerc au Québec ?

R. « Consensuel », je n’aime pas ce mot. Je ne souhaite en aucun cas plaire à tout le monde. Mon répertoire est fondamentalement ancré à gauche et je pense que la majorité de mon public demeure de sensibilité de gauche. Mais si mes chansons d’amour ou mes chansons fantaisistes m’ont attiré un public plus large depuis une quinzaine d’années, je ne vois pas pourquoi je m’en plaindrais. De toute façon, c’est le genre de question à la con qu’il faut poser à un sociologue, pas à moi.

REPORTAGE PHOTO : J. PREBOIS
À LA SORTIE DU CONCERT.
Renaud, goût volontiers à la ferveur
populaire. Et aux bousculades pour un autographe.

Politiquement, où en es-tu ? Toujours « anarcho-mitterrrandiste » ?

R. Depuis que Mitterrand n’est plus là, la politique française ne m’amuse plus. Aucun projet ne m’enthousiasme, aucune personnalité politique ne me séduit. A part Elisabeth Guigou, que je trouve très belle.

Depuis deux ou trois ans, tu sembles un peu déprimé.

R. Déprimé, non, ce n’est pas vraiment le mot. Je suis juste un peu triste, un peu mélancolique, et puis nostalgique aussi. Je fais partie de ces gens qui n’ont jamais été très doués pour le bonheur. L’approche de la cinquantaine, les bouleversements dans ma vie conjugale, l’inspiration qui devient plus difficile, la disparition d’êtres chers, le « manque » que j’ai d’eux, de Georges Brassens à Serge Gainsbourg, de Coluche à Pierre Desproges, de Robert Doisneau à Tonton, et plus récemment d’Alphonse Boudard… Je trouve juste que la vie est dégueulasse, point final.

REPORTAGE PHOTO : J. PREBOIS
UNE ÂME D’ENFANT.
À 2 heures du mat’, le chanteur joue au casino d’Annecy. Derrière, son frère Thierry et à sa gauche, le pianiste Alain Lanty.

As-tu déjà été tenté d’abandonner ?

R. Jamais. Compte tenu de la quantité de nicotine que j’absorbe chaque jour, je pense que c’est la Seita (rires) qui, à mon grand regret, se chargera d’annoncer un jour mes adieux définitifs au music-hall et à la vie.

 

Recueilli par Thierry Séchan

Concerts. 

Pas d’escale prévue à Paris

Une tournée sans fin

Commencée en octobre 1999, la tournée de Renaud s’achèvera en décembre 2000 après plus de deux cents concerts. Sans publicité ou presque, à travers la France, la Belgique, la Suisse et le Québec, il rassemble des milliers de fans grâce au bouche-à-oreille. Renaud, étrange personnage solitaire et solidaire, bavard et taciturne, vieux sage désabusé et éternel enfant, s’émerveille toujours au souvenir des « Mistral gagnants ». Il préfère les petites salles de province et de banlieue aux mégaconcerts parisiens. « Je suis en panne d’inspiration, j’espère que la sève va revenir sur la route ». En attendant l’heure du concert, il joue au poker ou au « barbu » dans les loges, avec l’équipe. Puis, c’est la décompression dans un restaurant du coin, et enfin, le retour à l’hôtel. Et le lendemain, à midi, on the road again…

Les dates de concerts sont disponibles sur www.infoconcert.com 

  

Source : Le HLM des Fans de Renaud