Renaud maître crâneur

Le Devoir

Montréal, mercredi 25 janvier 1989

Le théâtre Saint-Denis fleurdelisé

Le chanteur français se déchaîne contre les Anglais

Nathalie Petrowski

PHOTO CHANTAL KEYSER
Le chanteur français Renaud a déclenché un véritable délire devant une salle comble au théâtre Saint-Denis, hier soir, où il s’est déchaîné contre les Anglais et s’est fait l’apôtre de la loi 101 en plus de servir sa hargne naturelle et coutumière contre le conformisme et la bourgeoisie.

DE GAULLE n’est plus, vive Renaud, son fils, son héritier, son digne successeur. Renaud comme dans chanteur français aux cheveux jaunes, aux poches sous les yeux, aux jambes croches et aux deux mille chats étranglés dans la gorge. Renaud comme dans poète engagé qui n’a pas froid aux yeux et qui a attaqué Montréal hier soir, pris d’assaut le Théâtre Saint-Denis, déterré la hache de guerre contre tous les « gros cons haineux de la terre » avant de sortir un drapeau québécois des archives nationales et d’envoyé paître les Anglais en déclarant :« Les Anglais c’est pas à l’intérieur qu’il faut les mettre, c’est dehors ! »

Renaud encore, qui a invité ses trois choristes déguisés en débardeurs à parader avec leurs t-shirts frappés des chiffres de la loi 101, battant du coup les chanteurs québécois sur leur propre terrain, plutôt apolitique, merci. Renaud qui a fait un vrai petit De Gaulle, nouvelle manière de lui-même, en terminant la soirée sur la note nationaliste par excellence, celle du prévisible mais, ô combien ! délicieux « Vive l’indépendance du Québec », attirant les cris et les applaudissements de la foule fébrile et fanatique, qui du coup a dû voir en lui, sinon le sauveur national au moins le plus habile des chanteurs de sa génération, Français et Québécois compris. Renaud finalement qui a donné à cette première montréalaise des allures d’événement et une atmosphère fiévreuse de grand rassemblement politique.

Un spectacle électrique et électrisant du début jusqu’à la fin et cela en dépit de la sono cafouilleuse qui enterrait cette voix enrouée, désespérément privée de registre et escamotait la plupart de ses paroles incendiaires. Un spectacle engagé et racoleur livré par celui qui devrait être président des usines de récupération de Victoriaville, tant Renaud, vorace lecteur de nouvelles, s’était documenté sur la situation politique et culturel du pays pour nous la resservir toute la soirée durant, couvrant l’immense terrain qui va de Mitsou jusqu’à Jean Chrétien en passant par le Canadien, Jean-Paul Belleau et tutti quanti.

Un spectacle simple, sans décors, sans effets, sans artifices autre que celui des mots lancés en l’air, des idées brandis comme des fusils et des chansons connues offertes comme des fleurs par un Renaud, classique, arborant la veste de cuir noire obligatoire, le jeans stratégiquement ajouré et le mouchoir rouge qui pend de sa poche comme une rose fanée mais brûlant toujours du rouge révolutionnaire. Un spectacle finalement qui fut plus qu’un spectacle et devint dès les premiers instants une sorte d’événement et surtout une leçon sur l’art de séduire les foules, l’art de leur dire ce qu’elles veulent entendre, l’art de les manipuler de la bonne manière en attisant leur belle et saine révolte, et en allumant dans leur yeux, la lueur d’un espoir, la lumière d’un engagement.

    

Source : Le Devoir