N° 2433, du 21 au 27 août 2021
> DESTIN DE STAR |
Renaud
Maître de la renaissance
Gavroche mélancolique, l’artiste n’a cessé de chuter pour mieux rebondir. Portrait d’un miraculé.
PAR OLIVIER PETIT
La phrase que l’écrivain Henri Calet coucha dans son agenda deux jours avant sa mort semble avoir été pensée pour Renaud : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » Voir s’éloigner la candeur de sa jeunesse a toujours été pour lui un cauchemar à deux faces, comme une pièce virevoltant à travers les années : inspiration d’un côté, dépression de l’autre. Souvent, les deux se nourrissent comme dans l’une de ses chansons, La vie est moche et c’est trop court, dont la force parvient à survivre aux outrages d’une voix en marmelade.
À l’époque de Mistral gagnant, la nostalgie lui faisait du bien. Elle est devenue délétère. À l’aube de la quarantaine, Renaud s’aperçoit que le succès et l’argent n’exonèrent pas des chagrins de la vie (divorce, enfant qui grandit, mort des amis). Le voilà qui cherche à remonter les couloirs du temps mais ne parvient qu’à échouer dans un labyrinthe infernal où l’inspiration se perd dans les effluves de pastis. Dix ans plus tard, en 2002, il sort du purgatoire avec Boucan d’enfer. Deux millions d’albums vendus, du jamais-vu dans sa carrière. L’amour aussi est revenu. Romane Serda, vingt ans de moins, offre une renaissance à son cœur estropié.
Dans les yeux de leur fils Malone, né en 2006, le chanteur vit même une seconde jeunesse. Celle qui lui rappelle son enfance à la Porte d’Orléans au mitan des années 1950 et 1960. Son père est un intellectuel et sa mère, ouvrière. Enfant, il écrit déjà des romans courts, sur la machine à écrire de papa. Ado, il découvre Hugues Aufray, dont l’esprit frondeur le séduit. Forcément, on le retrouve au sommet des barricades en Mai 68. Sa première chanson Crève salope est même un gros succès d’amphis. Très vite, il dit adieu aux études pour des petits boulots. À Belle-Île-en-Mer, en 1971, il rencontre Patrick Dewaere qui le fait entrer au Café de la Gare. Il devient une sorte de comédien-dandy tout en testant ses premières chansons aux terrasses des cafés. Premier 33 tours en succès d’estime, mais le deuxième album, Laisse béton, en succès public en 1977. Le titi à gapette blanche et sourire canaille a cédé le pas au gentil loubard en cuir. Ça plaît davantage en ces heures prémitterrandiennes. Premières radios, premières télés, premiers concerts. La France plonge dans la « Renaudmama ».
Son grand amour, Dominique, lui donne un premier enfant, Lolita. Les succès s’enchaînent. Mais voilà qu’on l’accuse d’être récupéré par le système ! La machine à bonheur s’enraie. Un bref exil sur un voilier, une incursion dans le chanty business pour l’Éthiopie ou des chroniques dans Charlie Hebdo ne chasseront pas les doutes et leur démons. En 1988, l’album Putin de camion sera l’un des plus noirs, comme sa gueule de mineur dans Germinal en 1993, manière de se faire pardonner en 35 mm d’être riche et célèbre.
Cœur à gauche, compte en banque à droite, dichotomie toxique ? Pour son frère jumeau, David, le problème est ailleurs : « Son plus grand démon, c’est l’inactivité. »
La chute est sévère. Il se noie dans l’alcool. Même Romane Serda, restée très proche de lui après leur séparation, frôle le découragement. Tel le phénix, il se dit guérie et repart de plus belle : nouveaux albums qui cartonnent, tournées triomphales, autobiographie. Renaud a balayé Mister Renard. Puis il sombre à nouveau, après les deuils impossibles de son frère, Thierry, et de sa mère, Solange. Il réapparaît en 2020, ombre de lui-même, pour Corona Song, chanson hommage aux victimes de la Covid-19, dont l’amateurisme provoque le ricanement de ses fans. Ce qui ne les a pas empêchés de se ruer en masse à l’exposition consacrée à leur idole qui se déroule jusqu’en novembre prochain à la Cité de la musique à Paris. Renaud et renaissance, deux mots qui vont si bien ensemble. ■
BIO EXPRESS |
1952 Naissance, le 11 mai, de Renaud Pierre Manuel Séchan, à Paris dans le XVe arrondissement. |
1975 Remarqué par deux producteurs, il sort son premier 33 tours Amoureux de Paname. |
1984 Le 17 janvier, il inaugure le Zénith de Paris pour trois semaines de concerts. |
2019 Son 17e album, Les Mômes et les Enfants d’abord, atteint les 100 000 exemplaires vendus en deux semaines. |
Source : Télé Magazine