Renaud – Marchand de cailloux (1991)

BREAK MUSICAL

– 12.3.24

Un samedi de mars, en début d’après-midi, nous sommes en vadrouille à la recherche de notre futur lave-vaisselle. L’ancien vient de nous lâcher. De magasin en magasin, nous arrivons (non pas par hasard) dans l’espace culturel de Leclerc Vitré. Instinctivement, je me dirige vers le rayon des disques vinyles. Deux tours de doigts à peine et je tombe sur le vinyle de Marchand de cailloux de Renaud. C’est l’un des derniers qui me manque de la période d’avant Boucan d’enfer. Je ne me fais pas prier pour compléter ma collection, et, cerise sur le gâteau, l’album pressé en 1991 n’est pas une réédition.

Boudé du public mais salué par la critique, Marchand de cailloux pourrait être l’un de ces albums estampillé « maturité » artistique mais à mes yeux, c’est celui où Renaud s’expose le plus, de façon brut, avec sincérité exprimant toute sa souffrance, sa colère, mais aussi son amour avec une intensité bouleversante. Je l’ai tellement écouté et je l’aime toujours autant que je le glisse forcément dans le top de mes albums préférés de sa discographie.

L’après Putain de camion (1988) fut une période difficile pour Renaud où il avait notamment fait une croix sur la promo ne voulant pas entrer dans le jeu des médias. Trois ans plus tard, c’est un artiste souhaitant peut-être faire un trait avec le passé et rongé par les remises en questions qui revient avec un nouvel album dont cette fois-ci acceptera de le lâcher dans l’arène des médias. Enregistré à Londres sous l’influence du producteur irlandais Pete Briquette, cela nous donne un album avec quelques sonorités qui me transportait, à l’époque, vers l’île d’Émeraude et faisaient naître dans mon cœur d’adolescent, des rêves dévasions. Nous sommes aussi en pleine guerre du Golfe, et Renaud reste le chanteur énervé et en colère qu’on connait : géopolitique, antimilitarisme, attaque des médias, politique française, sans oublier l’humour et l’autodérision, la nostalgie du temps qui passe, Lolita, la pêche… Tout est là.

Je déchire l’emballage et caresse le disque. Je me demande si c’est la première fois depuis trente-trois ans qu’il prend l’air. J’ai toujours aimé cette photo de couverture et aussi celle au verso où il s’inspire de son idole Bruce Springsteen et ça lui fait quand même un beau p’tit cul. Je sors le vinyle et le pose sur la platine. Je m’installe dans le fauteuil et l’intro à la flûte de Marchand de cailloux inaugure ce voyage dans le passé que je connais par cœur. Renaud pour la première fois fait « parler » Lolita pour dénoncer les injustices du monde dont sont victimes les enfants. Quand j’ai découvert ce disque, j’étais chez les Éclaireuses et Éclaireurs de France, ce vrai mouvement de scoutisme. Nos valeurs de laïcité et de mixité transpiraient à travers les paroles de cette chanson, que nous aimions écouter avec notre lecteur-cassette portable.

Du haut de nos quatorze-quinze ans, chaque chanson de Renaud était une leçon de vie, avec des paroles profondes et uniques, reflétant la souffrance, les désillusions, la haine et quand même vach’ment l’amour de la vie. Avec sa voix grave et empreinte d’émotion, Renaud m’offrait avec cet album, ce modèle paternel que je désirais, doux-amer, provocateur plein de tendresse, de lucidité et d’intimité. Qui perdure avec le temps, car toujours d’actualité, et encore un peu plus, avec L’aquarium cette magnifique chanson qui dresse le portrait des univers médiatique, militaire et religieux… Une merveille dans l’écriture et l’une des plus belles compositions de Titi Buccolo. On y retrouve également Jean-Louis Roques et son accordéon sur P’tit voleur. Complainte pessimiste d’un loubard pote à Manu, Pierrot et Angelo qui fait lien avec les premières périodes de Renaud. Après ce portrait, on retrouve d’autres facettes de l’artiste que l’on connait bien : son engagement pour une cause et à l’occurrence contre cette putain de corrida dans le languissant Olé puis la nostalgie de son enfance dans Les dimanches à la con. Ces deux titres passés, vient la plus belle chanson d’amour, la plus belle déclaration à sa femme qu’il ait pu écrire jusqu’à présent avec le magnifique Dans ton sac. Dans le tourbillon émotionnel de l’inspiration, Renaud fouille dans ce sac à main, offrant ainsi, de façon pudique et fragile, une étreinte de tendresse et de vulnérabilité immense. La chute est superbe, l’écriture est superbe. C’est tout simplement l’une des plus belles chansons de l’auteur de toute sa longue carrière. Après Le tango des élus, paroles de Renaud Séchan,  musique de Renaud Séchan, interprété de Renaud Séchan et tous ses musiciens, chanson courte mais suffisante, la face A se termine, je me lève pour retourner le disque. Les premières notes de l’accordéon de La ballade nord-irlandaise valse dans l’air, c’est ma chanson préférée de Renaud. Toutes périodes confondues, toutes émotions mélangées, tout simplement.

A cette époque je découvrais également Soldat Louis qui très vite prendra aussi une part importante dans les balises musicales de ma vie. De ce groupe, nous retrouvons le guitariste Renaud Detressan (alias Gary Wicknam dans le groupe breton) qui s’occupera de la musique endiablée de 500 connards sur la ligne de départ. Diatribe contre le Paris-Dakar où le chanteur énervé et énervant n’y va pas par quatre chemin. Sans aucune modération. Les promesses écologiques d’aujourd’hui n’effaceront jamais la quarantaine de morts, victimes de ce loisir de barbares. Puis dans une subtile critique, il remet en question le portrait flatteur d’un ex-président dans Tonton, mettant en avant les émotions et l’amertume envers son sujet, malgré les circonstances complexes de l’époque. Je passerais moins de temps à écouter Je cruel où cette pièce musicale se positionne comme étant celle la moins passionnante de l’album sauf pour l’auteur, fan de pêche. Je n’ai jamais eu la patience nécessaire pour pratiquer ce loisir. Chanson mineure tout comme C’est pas du pipeau, mais non moins excellente dans l’écriture pour celle-ci. Renaud s’adresse encore une fois à Lolita où la mélancolie de l’enfance qui disparaît le ronge toujours un peu plus. Par contre les chansons feuilletons il adore ! Sept ans après la première version parue dans l’album Morgane de toi en 1983, rebelote ! Il cherche à refourguer ses chansons à ses potes du showbiz dans la suite de Ma chanson leur a pas plu. Seulement, il se fait rembarrer par ceux à qui il les propose. Chanson inspirée, mélodie entrainante et autodérision au rendez-vous… Un régal « renaudien » !

L’album se termine avec l’une des plus belles chansons méconnues du répertoire du chanteur : Tant qu’il y aura des ombres. Je m’entends par dire que le « grand » public tout comme les médias n’ont jamais applaudit ce chef d’œuvre poétique, du moins à ma connaissance, mais les fans eux, savent…

Tant qu’il y aura des ombres
Nous les deux pieds dans la vase
Oublierons pour quelques secondes
Qu’il ne changera jamais de base
Cet abominable monde

Avant la grande hécatombe
Avant qu’on ne nous écrase
Sous une averse de bombes
Qui noiera ce monde nase

Nous les chevaliers de l’onde
Garderons le cœur turquoise

Triste et beau à la fois, magnifique morceau qui se termine par une minute de quiétude où la flûte irlandaise et les murmures s’effacent pour me laisser là où tout à commencer… Je passe régulièrement de longs moments à écouter ce disque. Surtout en automne, surtout en hiver. Pas une voix de barge évidemment, c’est ici qu’elle commence à décliner, mais des compos à l’efficacité redoutable et une maîtrise des mots touchante à bien des égards. L’un de mes préférés pour l’atmosphère qui s’y dégage… Les temps ne changent pas, les feuilles volent toujours dans le vent, le ciel s’assombrit toujours un peu plus, mais Marchand de cailloux reste un doux réconfort. Pessimiste un peu mais à lequel on s’amourache facilement… Puis nous avons trouvé notre nouveau lave-vaisselle.

Tracklist

01 – Marchand de cailloux
02 – L’aquarium
03 – P’tit voleur
04 – Olé
05 – Les dimanches à la con
06 – Dans ton sac
07 – La ballade Nord-Irlandaise
08 – 500 connards sur la ligne de départ
09 – Tonton
10 – Je cruel
11 – C’est pas du pipeau
12 – Ma chanson leur a pas plu (suite)
13 – Tant qu’il y aura des ombres

15 avril 1991
Virgin Records

www.renaud-lesite.fr

 

Source : BREAK MUSICAL