Renaud : « Mes bonheurs et mes colères »

Télé 7 Jours

N° 1648, 28 décembre 1991 au 3 janvier 1992

L’œil sur eux

Il est également l’invité de Laurent Boyer, sur M6, dans « Renaud en liberté », rediffusé le 1er janvier. Il nous parle de son nouvel album « Marchand de cailloux » – déjà un grand succès – de chansons, comme « Tonton » consacrée au président de la République, mais aussi de la pêche à la ligne, de son chien, Toto, et de sa fille, Lolita, 11 ans, qui est entrée en sixième.

Renaud dans la pièce qu’il a réservée, chez lui, à son impressionnante collection de BD, dont certains albums rares. Il y a aussi des figurines, des pin’s représentant des personnages de BD. Le héros préféré de sa fille, Lolita, n’en reste pas moins MacGyver. Elle a mis sa photo dans sa chambre.

Face à Toto, un golden retriever de 11 mois, Renaud tente une manœuvre de dressage : « assis-pas bouger ». En vain. « Tel maître, tel chien ». C’est peut-être vrai. Avec une robe blonde et l’un des bandanas rouges de Renaud autour du cou, Toto est aussi indiscipliné que son maitre. Qui peut faire faire à Renaud ce qu’il n’a pas envie ou lui interdire de dire ce qu’il pense. Sur son nouvel album, « Marchand de cailloux », chez Virgin, Renaud n’épargne personne.

« Beaucoup de gens râlent contre la justice, le système pénitenciaire, la télévision, les guerres, la misère, la corrida et le Paris-Dakar. Moi aussi tout cela m’énerve, plus que cela, me choque. Je me sens investi de ce rôle de le dénoncer. Une grosse majorité de mon public s’attache à mes idées et ne me pardonnerait pas de ne pas avoir les mêmes colères que lui. Mais je n’ai plus l’âge de me révolter, je me sens un peu désabusé. »

Sur l’album, la chanson « Tonton » est un regard aigre-doux sur le président de la République.

« Ce n’est pas l’homme que j’ai voulu blesser, c’est la façon dont ses idées, ce qu’il en reste, ne correspondent plus aux espoirs que j’avais mis en elles quand j’ai voté. J’ai une grande admiration pour cet homme. Son personnage me plaît toujours, c’est sa politique et celle de son gouvernement qui m’ennuient. Même si c’est un combat perdu d’avance, crier sa colère c’est important.

« Marchand de cailloux » n’est pas un album plus coléreux que les précédents.

« Je râle beaucoup au quotidien, depuis l’enfance. Mais chez moi, je suis bien moins nuancé que dans mes chansons. Je pratique mon métier, un peu comme un journaliste. Mon album pourrait être un journal avec toutes ses rubriques, des faits divers à la politique. A force de taper sur les autres, on me tape aussi dessus. Guy Bedos m’allume tout le temps à la télévision et dans ses spectacles. « Libération » ne parle pas de moi ou fait de très mauvaises critiques de mon disque. C’est blessant mais de bonne guerre. Je revendique aussi d’écrire des chansons qui n’ont pas d’autre but que de faire rire ou d’émouvoir. »

Trois ans et demi séparent « Marchand de cailloux » du précédent « Putain de camion ».

« A la fin de ma tournée, j’ai décidé de prendre une année sabbatique. Si j’avais été célibataire et sans enfant, je serais allé bourlinguer autour du monde, comme Lavilliers. Je suis resté à Paris. J’ai regardé grandir ma fille, Lolita, je l’ai aidée à faire ses devoirs. J’ai révisé les accords du participe passé et les tables de multiplication, l’anglais, le latin. »

Renaud et Toto au bord du lac du bois de Boulogne. Ce golden retriever de 11 mois ne le quitte pas. Depuis peu, Renaud porte les cheveux courts.

« Ma vie a été rythmée par ses horaires et ses vacances scolaires, que j’ai passées dans ma maison du sud de la France, près d’Avignon. J’ai profité de cette année pour aller à la pêche et compléter ma collection de bandes dessinées. J’ai gambergé sur des chansons aussi. Il m’arrive de ne rien écrire pendant un mois et ensuite travailler trois heures par jour, pendant deux semaines, si une idée ou une émotion me donne l’envie de m’exprimer. Je m’exprime mieux dans mon coin, sur ma feuille blanche. Je peux écrire dans le brouhaha d’un aéroport, avec ma femme, ma fille, au milieu des bagages, ou chez moi, avec des invités, assis dans le salon. Ils me pardonnent. Je griffonne sur des bouts de papier, des coins de nappe, je recopie le tout au propre sur de belles pages blanches. Avant d’entrer en studio, je saisis tout dans mon ordinateur. »

Renaud s’est tout récemment équipé d’un appareil très sophistiqué.

« Je suis complètement dérouté par cet engin inhumain. Lolita s’en sert mieux que moi. C’est elle qui m’a appris son fonctionnement. »

Renaud est plus à l’aise au bord de l’eau avec une canne à pêche. Souvent, Lolita l’accompagne.

« Plutôt que de pêcher elle-même, c’est être avec son papa qui lui plait. Prendre un poisson, le décrocher, le voir saigner, elle n’aime pas trop ça. »

C’est pourtant à cause de sa fille que Renaud en a un jour rapporté chez lui.

« Il m’a fallu des années pour attraper des poissons. Quand j’y suis arrivé, je les ai relâchés. Un jour, Lolita s’est effondrée en larmes de me voir rentrer avec un sac vide. Être bredouille lui semblait un échec. »

Ses cannes, Renaud les a aussi emmenées en Irlande, le pays qui lui a inspiré une bonne partie des musiques de son nouvel album.

Renaud et Laurent Boyer à la London Tavern de la rue du Sabot, à Paris. Une bonne bière pour évoquer l’Irlande.

« Beaucoup d’amis m’avaient parlé de ce pays et me l’avaient fail aimer au travers de leurs témoignages. J’y suis allé une première fois grâce à Canal Plus, il y a cinq ans. J’y suis retourné en juin. En réalité, je voulais découvrir l’IrIande du Nord, voir ce pays dont on parle tant dans les journaux, et comprendre sa situation. Catholiques, protestants, c’est la même misère partout. En Irlande, j’ai surtout découvert des gens formidables par leur générosité et leur accueil. Le producteur de mon disque est irlandais. Ce n’est pas un hasard. »

Renaud est parti enregistrer à Londres avec des musiciens anglais et Irlandais. Bob Geldof, rock star irlandaise qui avait lancé l’opération Live Aid, est venu lui rendre visite et lui a laissé des chœurs.

« On s’était rencontrés à l’époque de « Chanteurs sans frontières », mais nous ne nous étions jamais revus. Peter, mon producteur, est aussi son bassiste. Il l’a invité au studio. »

Dès le début de l’année prochaine, Renaud retrouve des studios, mais de cinéma.

« Je voulais être acteur. J’ai tourné dans deux téléfilms, heureusement oubliés. »

Renaud sera la vedette de « Germinal », de Claude Berri.

« Claude a beaucoup insisté pour que je joue le rôle d’Étienne Lantier, syndicaliste dans les mines du Nord. Je ne me sentais pas capable de le tenir. Sa proposition m’a fait découvrir le roman d’Émile Zola. Le personnage m’a passionné. Ce sera peut-être l’unique rôle de ma vie, tant il est fort. Je redoute déjà une scène de discours face à des mineurs. Lantier était un grand timide. »

Comme lui.

Cécile TESSEYRE
Photos M. A. Gongora

 

Source : Télé 7 Jours