Renaud : « Mon Germinal à moi »

La Voix du Nord

28 février et 1er mars 1993
Par Bernard DEFONTAINE

RENCONTRE

Germinal touche à sa fin. Le tournage du film de Berri – qui a duré six mois – s’achève cette semaine, à Paillencourt. Pour son premier film, Renaud y avait le premier rôle, celui d’Etienne Lantier.

Plusieurs mois avant le tournage, le chanteur promu acteur nous avait fait part de ses craintes. Il nous livre ici les premières impressions de son expérience… qu’il n’entend pas forcément renouveler.

« Plus jamais ! Berri va me trouver bien ingrat, lui qui m’a offert une chance inouïe et fait participer à une aventure extraordinaire. Mais j’ai mis plusieurs mois avant de me sentir à l’aise. Il est probable que si je refaisais des scènes tournées en septembre, j’aurais dix fois moins le trac aujourd’hui. Surtout, la direction d’acteurs ne m’a pas permis de donner vraiment tout ce que j’avais envie de donner. Ainsi dans une scène d’émotion où je voulais baisser les yeux comme je le ferais dans la vie, mais où je ne devais pas. Il fallait que je joue comme Berri entendait que je joue. En outre, je disais trois phrases et puis, hop ! on coupait et déménageait. Est-ce jouer la comédie ? C’est frustrant, mais peut-être qu’à la longue ce sentiment s’effacera et qu’une fois le montage réa­lisé, on aura un beau film…

Ce qui m’a également posé, c’est l’attente. C’est un métier où tu passes ton temps à attendre. L’inactivité, je ne sup­porte pas. Surtout quand au­tour de toi, tu vois tout le monde s’activer à la prépara­tion d’une scène et que pendant ce temps tu es rivé à ton fauteuil en attendant qu’on te dise « Renaud, à toi ! ». Et quand ce moment-là arrive enfin, là encore tu n’es pas libre. Un jour, pour me rendre utile et parce que ça m’amusait, j’ai voulu prendre une tronçon­neuse, mais non ! on me l’a interdit, j’aurais pu me blesser. Un comble ! cher mol, je passe deux mois par an à couper des arbres. Heureusement qu’il y avait les figurantes. Ils étaient drôles, chaleureux. Je me suis bien amusé avec eux, ils étaient tellement gentils avec moi que je trouvais naturel d’aller vers eux. Ils m’ont enrichi en me racontant leur vie, souvent faite de souffrance et d’amour, et ce qu’ils m’ont alors apporté comme émotions, est inestimable…

Ferai-je un autre film ? Il faudrait que l’on me propose un petit rôle dans un film où j’aurais d’autres activités, où j’aurais mon mot à dire sur l’écriture, la mise en scène. Avec ce film, j’ai perdu l’habitude de tout diriger, de tout mettre en scène, comme je l’ai fait en dix-huit ans de chanson. Cela dit, si on me proposait un rôle aussi beau, sans doute aurais-je du mal à refuser. Mais ce n’est pas mon ambition.

Ce que je vais faire après ? C’est triste à dire, mais la scène ne me manque par trop. Je peux très bien vivre un an sans en faire, mais je ne suis pas le seul dans ce cas. Dans l’immédiat, je vais rester à Paris à écrire des chansons. Reprendre la routine, conduire ma fille à l’école un jour sur deux. Ça ne me fera pas de mal de la voir grandir pendant six mois. mais c’est sûr que je vais garder longtemps une grosse nostalgie des six mois que j’aurai passés dans le Nord… »

Propos recueillis par Bernard DEFONTAINE
  

Son prochain disque : des chansons de ch’Nord !

En lui faisant écouter un jour un pot-pourri de chansons du Nord pour tuer le temps, principale obsession du tournage. les figurants n’imaginaient pas le bien qu’ils faisaient non seulement à Renaud, mais aux chansons elles-mêmes. À force de se repasser la cassette dans sa voiture, il était fatal que le chanteur on tirât quelque chose. Los noms d’Edmond Tanière et Simon Caulier, inconnus de lui jusque-là, lui sont aujourd’hui familiers. Le temps d’un disque, le chanteur des banlieues va donc devenir celui de ch’Nord où, au demeurant, il puise une partie de ses racines. Ce disque, Renaud vient de l’enregistrer dans un studio lillois, avec la complicité de Simon Caulier. Sur son nom, il va donner à « Tout in haut de ch’terril » et à la dizaine d’autres, une nouvelle vie, les porter dans le reste de l’Hexagone. « Ces chansons patoisantes, je les ai trouvées sublimes, rapporte Renaud, enthousiasmé. Même si le fait de les interpréter va leur donner une audience qu’elles n’avaient jamais eue jusque-là, je ne pense pas qu’elles seront davantage écoutées à Avignon (sic). Mais peut-être servirai-je au moins à les perpétuer dans le Nord, car je me suis aperçu que les figurants de moins de 40 ans ne les connaissaient pas… » Ce faisant, Renaud rend aussi un bel hommage à Edmond Tanière, deux and après sa disparition.

B.DEF.

 

Source : La Voix du Nord