Renaud : Mon grand-père mineur, héros de mon enfance

Télé 7 jours

N° 1740, du 2 au 8 octobre 1993

L’ŒIL SUR EUX

IL VIENT D’ÊTRE L’INVITÉ D’ANNE SINCLAIR A « 7 SUR 7 » SUR TF1 POUR LA SORTIE DE SON FILM « GERMINAL »

« J’aurais aimé porter une casquette, mais Claude Berri a préféré ce chapeau ridicule que je porte au début du film, parce que, pour lui, la casquette rappelait trop, le chanteur. »

On le savait chanteur de talent et même de grand talent, capable de revendiquer ou d’émouvoir avec la même conviction. Après quelques rôles, très brefs, à ses débuts, on le découvre acteur d’un film dont il porte tout le poids. Il se révèle éblouissant de naturel et de force dans le rôle d’une « gueule noire », soucieux de justice et de vérité. Nous l’avons rencontré avant cet événement très attendu, le 29 septembre, dans toute la France.

Il a recoupé sa frange qui camoufle son grand front mais gardé les cheveux châtains d’Étienne Lantier, le héros de « Germinal ». Blouson de cuir noir, gilet écossais, Renaud est redevenu Renaud.

Pour quelqu’un qui a hésité si longtemps « à faire l’acteur », ces six mois de tournage d’un film-événement, quel baptême !

On ne peut pas refuser le rôle principal, et quel rôle, d’après un tel chef-d’œuvre de Zola, filmé par l’un des plus grands réalisateurs français. Mais j’ai quand même été un peu dérouté par la façon dont Claude Berri m’a dirigé. Au moindre regard près, au moindre déplacement, à la moindre intonation, au moindre battement de cil, à la moindre mimique. Je ne suis pas forcément un acteur, mais j’espérais avoir la possibilité de jouer à ma façon. Je me sens Lanier, ce juste, un peu naïf, idéaliste, qui croit pouvoir changer le monde. Ma seule angoisse était de savoir si je saurais l’être pour la caméra.

Conviction de Claude Berri depuis le jour où il a voulu tourner « Germinal ».

Claude Berri, c’est vrai, depuis près de quatre ans, n’a pas cessé de me dire : « Lantier, c’est toi ». Depuis, il a même eu la gentillesse d’affirmer qu’il ne ferait pas le film sans moi. Moi, j’ai longtemps hésité, j’avais peur de dire oui, la trouille de ne pas être à la hauteur. Vincent Lindon, avec qui j’ai fait un voyage en avion, Beyrouth-Paris, m’a convaincu que je ne pouvais passer à côté d’une aventure aussi extraordinaire, que c’était la chance de ma vie et que, si je ne la saisissais pas, Berri finirait bien par choisir quelqu’un d’autre

On a parié de Patrick Bruel.

Je ne sais même pas si l’intéressé est au courant. Claude Berri ne lui en a jamais parlé, bien qu’il soit convaincu, comme moi, du talent d’acteur de Patrick Bruel. C’est moi qui, le premier, ai lancé son nom, pour jouer à me faire peur. C’était chez Drucker qui me posait pour la énième fois la même question : « Alors, « Germinal », c’est oui ? », je lui ai répondu : « Il faut vraiment que je me décide, Berri va finir par appeler Bruel » ! C’était un trait d’humour… Mais je n’ai plus hésité très longtemps.

On ne peut pas refuser le rôle principal d’un tel
chef-d’œuvre

Claude Berri savait-il que votre grand-père maternel était mineur dans le bassin minier où s’est tourné « Germinal », ainsi qu’une grande partie de sa famille ?

Non et quand il l’a su, il y a vu un signe de plus. Pour moi aussi, le passé et l’histoire de mon grand-père Oscar (1) m’ont poussé à accepter. Quand je me suis retrouvé près de Valenciennes, là où mon grand-père est mort, où j’ai encore des arrière-petits-cousins, j’ai eu le sentiment de renouer avec des racines très fortes. Dans le Nord, je me sens en harmonie avec le paysage, les gens.

Ce grand-père Oscar semble avoir beaucoup compté ?

Il a été le héros de mon enfance. Nous étions six enfants, j’étais l’avant-dernier des trois garçons, j’étais souvent près de lui à lui rouler ses cigarettes, à écouter ses histoires extraordinaires. C’était un colosse de 1.90 m, beau, anar, militant syndicaliste. Il avait été mineur de 13 à 20 ans, puis ouvrier à Billancourt. Il avait connu Mao Tsé Toung, flirté avec le communisme, était allé en Russie d’où il était revenu écœuré de la misère. Il s’était fait tatouer, ce qui avait fait pleurer sa mère ; ce que j’ai fait moi aussi et ce qui a aussi fait pleurer la mienne. Il est mort à 74 ans, toujours beau et fort.

Lantier-Renaud, chômeur, va devenir mineur à Montsou, dans le Nord. Au milieu de tout ce désespoir, l’amour de Catherine-Judith Henry.

Nordiste du côté maternel, où on était ouvrier, libre-penseur, militant, sudiste par votre père, vous avez choisi votre camp ?

Mon grand-père, mon père étaient des gens du Sud, du pays occitan, intellectuels protestants ; mon père était prof, écrivain aussi, mon grand-père un helléniste accroché à la fabrication d’un dictionnaire. Je suis vraiment bière, terril, athée par ma mère, pastis, garrigue, protestant par mon père. Je suis au milieu de deux cultures, de deux éducations mais les affinités, les échanges, c’était plutôt côté maternel. Il ne faut pas oublier non plus le Paris popu où je vis depuis quarante ans et que j’ai adoré avant qu’il ne change autant.

Pendant quatre ans, Claude Berri m’a dit : « Lantier, c’est toi »

C’est quand même votre côté protestant qui vous a poussé à rédiger une clause à votre contrat précisant que vous ne tourneriez pas nu, ni de scène d’amour érotique.

Tout ça était pour rire, une blague qu’on a prise au sérieux. Les descriptions des scènes d’amour étaient si vagues dans le scénario que j’ai craint le pire. Il était dit : « Étienne empoigne Catherine dans un soudain réveil de sa virilité ». Mais c’est vrai que je suis très pudique. Je veux bien exhiber mes sentiments et mes idées, pas mon corps. « Je ne dévoile mes organes procréateurs à personne accepté mes femmes et mes docteurs » comme chante Brassens. Il y avait deux scènes d’amour prévues. L’une a été supprimée et pour l’autre, j’étais prêt à aller plus loin, c’est Berri lui-même qui l’a réduite à un baiser de cinéma. L’avenant écrite à la main, qui n’a pas été signé avec le contrat, était vraiment rédigé sur le ton de la plaisanterie, précisant qu’à la position du Missionnaire, je préférais celle du démissionnaire ! Je ne peux quand même pas nier que j’ai été inquiet pendant des mois avant de tourner la scène en question.

De mineur zélé et bien noté, Maheu-Depardieu va devenir, aux côtés de Lantier-Renaud, le meneur, un gréviste jusqu’au-boutiste.

Pendant ces longs mois d’un tournage difficile, vous avez réussi à enregistrer un disque en Cht’imi. Un succès inattendu.

Il y avait pour « Germinal » près de trois cents figurants, un grand chapiteau pour leurs repas, des roulottes pour les comédiens. Souvent, j’allais rejoindre les figurants avec lesquels J’ai partagé des moments magiques d’amitié, de fraternité. Ils ont été les premiers à me rassurer, à me dire « Tu es Lantier ». Une bière ou deux et je chantais. Eux aussi se sont mis à chanter leur folklore, leurs chansons en Cht’imi. Je les ai découvertes, aimées, j’ai eu envie de rendre hommage aux gens du Nord qui m’ont accueilli avec tant de chaleur. J’ai enregistré mon disque le dernier mois du tournée à Lille, le soir, de 22 h à 2 h du matin, ou te dimanche. Je pensais que l’album n’intéresserait que les gens du Nord, il a l’air d’un étonnant succès avec déjà 160 000 exemplaires vendus (2).

Loin de ma femme et de ma fille, j’ai eu le blues

Tourner dans le froid, la boue, avec Claude Berri, qu’on appelait Germinator, pour ses colères fameuses, vous a laissé un bon souvenir ?

J’ai vécu des moments inoubliables mais c’est vrai que ces six mois ont été durs. Moralement, j’ai eu le blues tout le temps, parce que j’étais séparé de ma femme et de ma fille. Physiquement, pluie, courants d’air, longues journées, mais surtout l’inactivité forcée entre deux prises, tout en restant mobilisé. Le cinéma crée une tension nerveuse qui vous met K.O. Je ne pense pas que ce soit mon truc.

Vous n’êtes pas près de recommencer ?

Je n’ai pas envie de tourner pour tourner. Je suis d’abord chanteur. Il faut qu’un film ait une dimension sociale, politique ou humaine pour m’intéresser. Même un film d’amour peut entrer dans cette sélection.

En 74, vous chantiez « Société, tu m’auras pas ». Là, c’est un premier rôle dans un grand film commercial, un passage à « 7 sur 7 ». Ce n’est pas un début d’embourgeoisement ?

Avec cette chanson, je veux dire que ce qui m’importe, est de rester un homme libre dans un système auquel j’essaie de m’adapter. Je continue à me battre contre l’injustice, la bêtise, la haine, le mépris de l’environnement. Je signe toujours des pétitions contre la disparition des ours, ou pour la libération de certains prisonniers politiques. J’essaie de contribuer à quelques œuvres humanitaires, à aider les restos du cœur, mais je ne suis pas le Bernard Kouchner de la chanson, ni l’Abbé Pierre du Top 50, deux personnalités que j’admire par ailleurs.

Je continue à me battre contre la bêtise
et l’injustice

Pourquoi dites-vous qu’un chanteur est plus proche du cœur des gens qu’un acteur ?

Un chanteur accompagne la vie des gens, gaiement ou tristement, sans écran entre eux et lui, plus directement,

Et maintenant ?

Je vais beaucoup m’occuper de « Germinal » dans le mois qui vient, mais le 22 octobre, tout doit s’arrêter. C’est le premier jour des vacances scolaires. La famille, c’est sacré. Nous partirons dans notre maison du Vaucluse où je plante des arbres, cave (cherche) les truffes, pêche à la mouche dans la Sorgue, Où je vais boire le pastis avec les copains, où je vis dans la sérénité et le bonheur avec femme et enfant. Très loin de Zola !

Danielle SOMMER

(1) A qui Renaud a dédié une chanson.
(2) Chez Virgin.

  

Source : Télé 7 jours