N° 7, 17 février 1986
ON LES AIME
Pour Renaud, une actualité en trois sets… et gagne. Après avoir vendu 5 millions de disques, il laisse béton Polydor pour une petite marque super dynamique, Virgin. Avec, à la clef, le contrat du siècle : 18 millions de francs, répartis sur huit ans. Il crache sur Mme Thatcher dans son dernier disque, ce qui lui attire, on s’en doute, les foudres des « Grands-Bretons », mais accroît du même coup sa renommée. Il s’apprête, enfin, à affronter la salle comble du Zénith.
Un événement que ce « retour de la chetron sauvage », comme l’annonce une pub fort amusante, où on le voit successivement porter des santiags et sucer son pouce. Une parodie-cocktail où on retrouve tout Renaud. Facile à cataloguer ? Pas tant que ça. On le guette dans la bluette, il vous balance un portrait féroce des Français sous l’occupation (« Hexagone »). On l’attend dans le pamphlet anarchiste, il vous offre un cri d’amour dédié à sa petite fille Lolita (l’album « Morgane de toi ») et clame sa frustration de ne pouvoir porter un enfant dans son ventre (« En cloque »). Son dernier disque est de la même veine : un titre nostalgique de l’enfance, « Mistral gagnant » (le mistral, c’est sa petite madeleine à lui), et un véritable hymne à la femme (c’est lui qui le dit) qui décoche de tels coups de griffe à Margaret Thatcher (il ne la porte manifestement pas dans son cœur !), qu’il déchaîne les foudres de la presse anglaise. Caracoler plus vite que lui sur la frontière des sentiments, des opinions, de la curiosité ? En dix ans, il a vendu des millions de disques, décrochant même un disque d’or dès le premier, en 1975 – le fameux « Hexagone » dont ce professionnel exigeant n’a jamais été tout à fait satisfait.
Loubards, nénettes, 3e âge, bon chic-bon genre confondus, le public a tout de suite aimé cette balade insolite entre violence et tendresse, humour et dérision. Si certains lui reprochent une gouaille fabriquée, d’autres n’ont pas hésité à introduire ses textes dans des circuits tout à fait orthodoxes : les gosses les cherchent dans les manuels scolaires, et les aventures de Gérard Lambert, publiées en bandes dessinées avec des illustrations de Jacques Armand, se vendent toujours à tour de bras. Il s’est même trouvé un docte universitaire pour consacrer une thèse à ses chansons ! C’est qu’à coups de tangos, de rock ou de reggae, Renaud le poète manie aussi bien l’alexandrin que le verlan ou la contrepèterie. C’est un fait, il dérange. Ce n’est pas pour déplaire à son côté provocateur. Mais lorsqu’il subit un contrôle fiscal, bien pris qui croyait prendre : c’est le fisc qui lui doit des sous !
En fin de compte, il y a sans doute plus d’amour que d’insolence dans son regard bleu. Témoins : l’action en faveur des enfants d’Ethiopie, menée avec sa femme Dominique, présidente de Chanteurs sans frontières, et sa présence aux côtés de son ami Coluche dans l’opération Restaurants du cœur ; même s’il s’en défend avec sa pudeur coutumière : « Je ne veux pas devenir l’indigné de service ». On sait qu’il a aussi d’autres façons, plus discrètes, d’aider ceux qui souffrent.
Pour la deuxième fois, au Zénith (et peut-être la dernière, car il préfère les petites salles), il a mis les petits plats dans les grands : six mois de préparation, huit musiciens dont quatre nouveaux, décor, éclairages sophistiqués et, parait-il, des chansons inédites. Retombée la vague de son dernier titre, cet amoureux de la mer hissera à nouveau les voiles.
JEANINE PRADEAU
Source : Femmes d’Aujourd’hui