Renaud n’arrête pas de renaître

Paris Match

N° 2994, de 5 au 11 octobre 2006

MATCH DE PARIS

RENAUD N’ARRÊTE PAS DE RENAÎTRE

Deux millions d’albums pour « Boucan d’enfer », son avant-dernier disque. Trois Victoires de la musique. L’amour. Un enfant… Le rescapé se porte décidément très bien.

Photos Tony Frank

UN ENTRETIEN AVEC BENJAMIN LOCOGE

Il est assis à une table de son « bistrot préféré ». À ses côtés, Romane serre dans ses bras Malone, leur fils né le 14 juillet dernier. Renaud, sourire et regard malicieux, est beaucoup plus beau en vrai que sur les photos. Malgré ses cheveux gris, sa voix s’emballe toujours dès qu’il évoque ses chevaux de bataille : les injustices, la corrida, la paix, la liberté. Une renaissance pour ce repenti qui mettait en scène ses douleurs et son penchant pour l’alcool. Avec « Rouge sang », son nouvel album de 24 chansons, Renaud a retrouvé sa plume et n’a pas mis sa langue dans sa poche. L’auteur renoue avec la chanson populaire, sans tomber dans le populisme. « La faute au bonheur », dit-il, devant une verre d’eau plate. 

« Rouge sang » (Virgin/EMI). En tournée à partir du 23 février 2007. À Paris-Bercy du 27 au 29 mars.

Une chanson contre Sarkozy, n’est-ce pas un peu convenu de votre part ?

Je n’ai pas écrit une chanson contre Sarkozy. C’est une fausse polémique. Avec « Elle est facho », décris une pauvre électrice du F.n., une Marine Le Pen de banlieue « qui rêve d’ordre nouveau ». J’ai rajouté cette pirouette à la dernière minute en studio : « Elle est facho… Et elle vote Sarko. » Évident, non ? Aucun analyste politique ne pourrait me reprocher d’imaginer que les électeurs du F.n. ont éventuellement votre Sarko s’il est présent au second tour. Sarkozy fait une politique qui ratisse très large chez Le Pen. Ségolène fait pareil de son côté en labourant dans les idées de la droite, jusqu’à tomber dans la démagogie la plus ridicule. Notamment quand elle soutient Zidane dans la défense de l’honneur de sa mère et de sa sœur ! Si je devais expliquer à mon public ce que je n’aime pas chez Sarko, j’aurais mille arguments plus intelligents et plus cohérents qu’une simple phrase. Je n’ai plus 15 ans, « C.r.s. S.s. », « Nixon assassin » ou « Sarko facho », j’ai passé l’âge. Je préfère développer des idées que des slogans.

RENAUD
« C.r.s. S.s. » ou « Sarko facho », j’ai passé l’âge… »

Qui soutiendrez-vous pour l’élection présidentielle ?

J’attends toujours le candidat de gauche anti-libéral. Je veux qu’on me parle des problèmes de la planète plus que de ceux des banlieues et de sécurité. J’ai lu une jolie phrase de Benjamin Franklin sur Internet : « Un peuple qui sacrifie sa liberté pour sa sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre ». Cela me semble assez juste.

Vous pensez encore qu’une chanson peut changer le monde ?

À l’époque, les chansons de Johnny Clegg ont fait beaucoup plus pour la fin de l’apartheid et la libération de Mandela que n’importe quel politicien. Les textes de Dylan ont soulevé les Américains contre la guerre au Vietnam. Avec ma chanson pour Ingrid Bétancourt, j’ai vu les micros s’ouvrir, j’ai pu prendre la parole sur un problème qui me tenait à cœur. Je ne sais pas si les chansons changent le monde, mais elles permettent de partager des idées, de faire prendre conscience aux autres qu’on peut agir autrement. Même si le single pour Ingrid n’a pas marché, j’ai pu organiser une mobilisation sans précédent des artistes, des humoristes et des sportifs autour de la cause colombienne.

Est-ce difficile d’écrire après avoir connu un énorme succès commercial ?

Je n’ai jamais pensé que le succès commercial était synonyme de talent ou de qualité. Ça se saurait. « Boucan d’enfer » n’est pas mon album préféré, loin de là. Il correspond à une époque de ma vie délicate, à des sentiments que j’avais envie d’exprimer. Il y a des textes tendres, d’autres désabusés, voire désespérés, qui représentent celui que j’étais à cette époque. Je n’arrive pas à expliquer pourquoi ce disque a été mon plus gros succès en trente ans de carrière. Je sortais d’une absence très prolongées, il y avait peut-être un désir des gens de retrouver de la chanson qui a du sens, après des années de « Star Ac’ » et de soupe en tout genre.


LE POIDS DES MAUX, LE CHOC DES BOBOS

En 2002, Renaud arrête de boire, puis épouse Romane en 2005, mais continue de fréquenter La Closerie des Lilas, brasserie bobo par excellence… Aujourd’hui, il ironise et dénonce cette nouvelle classe sociale, incarnée par Vincent Delerm. Il a surtout retrouvé son flingue et se dit prêt à débattre avec Johnny de son soutien à Sarkozy.


Comment avez-vous retrouvé l’envie de chanter ?

J’ai passé une période noire et désespérée, pendant laquelle j’avais perdu l’inspiration et l’envie de parler aux gens. Je n’avais plus le désir de les séduire ni de leur donner quoi que ce soit. Je ne m’aimais pas moi-même, donc je n’avais pas envie qu’on m’aime, donc je n’écrivais plus. Entre 1997 et 2002, j’ai réussi péniblement et dans la douleur à pondre les 14 chansons de « Boucan d’enfer ». Puis j’ai retrouvé l’amour. Et depuis je revis. En moins d’un an, j’ai écrit 30 chansons pour moi, 15 pour Romane et je n’ai pas envie de m’arrêter là. J’écris tous les jours !

On dirait un conte de fées…

Mais c’en est un ! À travers Romane, je suis un nouvel homme. Comme je ne veux pas décevoir, j’ai retrouvé la santé en arrêtant de boire. Pour être tout à fait franc, durant la promotion de « Boucan d’enfer », je disais que j’étais sobre, mais ce n’était pas tout à fait le cas. Un soir, j’ai pris une sacrée muflée avec mes potes, genre coma éthylique. Quand elle est rentrée et qu’elle m’a trouvé dans cet état, elle a paniqué, elle est partie. C’est ce jour-là que je me suit pris en main. Pendant un an, je suis resté à l’eau. Aujourd’hui, je m’autorise un petit pastis dans le Sud, des soirées un peu arrosées et une bonne cuite par an, avec un gros sentiment de culpabilité, le lendemain, J’ai retrouvé l’enthousiasme, el bonheur. Ce bonheur est juste, altéré par le fait qu’il ne soit pas partagé par l’ensemble de l’humanité. Du coup, il se transforme en chanson.

Ci-dessus, en 1981, il incarne déjà l’esprit rebelle. Deux ans plus tard, il est complètement « morgane » de Lolita, sa fille. 

Vos chansons d’amour ne parlent que de Romane, de son visage, de son sourire, de son corps et même de votre intimité.

Contrairement à beaucoup de mes confrères, chez moi, c’est du vécu, jamais de la fiction ! « Ma gonzesse » ou « Me jette pas », c’était Dominique. Aujourd’hui, les chansons sont pour Romane.

Avez-vous fait lire à Romane le texte de « Je m’appelle Galilée », où vous décrivez votre relation sexuelle ?

Bien sûr… était très touchée par cet hommage, tout en étant très gênée. Par rapport à mon éducation protestante et puritaine, ce n’était pas évident. Mais j’avais envie de lui faire une déclaration d’amour charnelle, sensuelle voire érotique, quasiment taboue. Le thème final, l’orgasme, a rarement été traité par les gens de ma génération. Gainsbourg s’y était essayé avec « Love on The Beat ». Brassens aussi. Je suis admiratif du répertoire paillard paillarde. C’est une des composantes de la chanson française que j’apprécie le plus. Je dois condenser un certain goût pour la provocation…. Sur l’album précédent, je m’étais essayé à un thème délicat, le pucelage d’une jeune fille, celui de ma propre fille. J’aime ce genre de défis dans l’écriture. Je rêve de faire un album de chansons érotiques, comme les grands poètes galants l’ont fait au siècle dernier.

La carrière musicale de Romane souffre de votre ombre.

Sans moi, elle aurait peut-être eu plus de succès, qui sait ? Mais quand vous aimez quelqu’un, vous avez envie de tout faire pour que la personne réussisse à s’épanouir. Son premier album n’a pas mal marché. Mais le prochain sera encore plus abouti. Je lui ai donné la plus belle chanson de ma carrière, « Pleure pas », qui parle de l’avortement. Maintenant, on nous associera toujours, je suis son mari, le père de son fils, son auteur, son producteur.

Depuis vingt-cinq and, à chaque album, vous donnez des nouvelles de votre fille. Cette fois, c’est « Adieu l’enfance ».

La boucle est bouclée. Lolita est une jeune fille heureuse, qui s’épanouit dans ce qu’elle aime faire. Elle ne vit pas encore de sa plume, mais elle se réalise dans l’écriture. Elle a publié un premier conte pour enfant. À travers mon répertoire, mes fidèles l’ont vu grandir : « En cloque », « Mistral gagnant », « Morgane de toi »… Et maintenant « Adieu l’enfance », au moment où je redeviens père.

Avez-vous une relation aussi tendre avec votre fils ?

Pourvu que, dans dix ou quinze ans, vu mon grand âge, il ne m’oblige pas trop à jouer au football avec lui ! Je préfèrerais l’emmener dans les musées, au Jardin des Plantes où ma fille a grandi, dans les librairies plutôt que dans les stades… Dès 1977, je disais souhaiter avoir un garçon pour l’emmener au bistro, devenir un p’tit mec, avec tout ce que cela comporte de machisme ! J’espère être un bon père, comme j’espère l’avoir été pour Lolita.

Les questions difficiles, vous les lui posés dans vos chansons. Par manque de courage ?

Elle s’agace quand je les évoque, quand je la prends en otage. Je l’utilise comme un interlocuteur privilégié sans lui demander son avis. Soit en la prenant à témoin, soit en la faisant parler. J’attends des réponses. J’en ai parfois. Je souhaite qu’elle ait l’esprit rebelle pour lutter contre l’oppression, la misère t les injustices. Elle a pris ce chemin, toutes ces choses que mon père m’a fait découvrir. J’espère les lui avoir bien transmises. Et les transmettre à Malone, mon petit républicain du 14 juillet. Républicain et révolutionnaire |

C’était prémédité  ?

Personne ne peux me soupçonner d’avoir provoqué l’accouchement ce jour-là ! Il était attendu le 17 août. Il nous a pris de court. La date, je m’en suis rendu compte trois heures après la naissance ! Je vais pouvoir abuser de sa naïveté pendant quelques années en lui faisant croire que le défilé sur les Champs, c’est mon cadeau, que les avions c’est sa maman, que les bals populaires ont lieu en son hommage et que tous les feux d’artifices de France seront les bougies de son gâteau d’anniversaire ! »

  

Source : Paris Match