Par Frédéric Seront
Ce mercredi, à 21h05, TMC diffuse un formidable documentaire où la vie du chanteur énervant est retracée par son frère jumeau, David Séchan. Un regard touchant et lucide.
On a déjà tout lu, tout vu sur Renaud. En quoi ce documentaire se différencie-t-il des autres ?
Ce film vient en support de l’exposition que je consacre à Renaud à la Philharmonie, à Paris. Il y a aussi la sortie ce 28 mai d’un best of de 60 chansons. L’idée de ce docu est de dévoiler un Renaud plus intime, plus fragile, mais plus vrai aussi, en s’intéressant à son enfance, son adolescence. Il y a par exemple l’intervention de Pia Moustaki, la fille de Georges Moustaki, qui est une de ses anciennes petites amies. Puis, on explore son succès.
Un succès qui a été dévastateur pour ses proches…
Dans une famille normale, non fortunée, avec six enfants, le succès colossal d’un des enfants chamboule l’équilibre familial. Il nous a un peu écrasés, même si c’était involontaire. Je n’étais plus David, j’étais d’un seul coup le frère de Renaud. Mon père n’était plus Olivier Séchan, romancier et traducteur, il était le père de Renaud. Il a écrasé aussi son frère Thierry. Sans parler de l’argent, de son train de vie, alors qu’on venait d’un milieu très modeste.
Il était conscient des effets collatéraux de sa carrière sur sa famille ?
Bien sûr. Il en concevait une culpabilité terrible, tout d’abord par rapport à notre père, qui a trimé toute sa vie, qui a eu des prix littéraires, mais qui n’a jamais eu la carrière qu’il aurait souhaité avoir. Alors que Renaud, lui, a connu une célébrité fulgurante grâce à une chanson, « Laisse béton », écrite en 5 minutes sur une table du bistrot.
Par contre, il a quand même impliqué ses proches. Vous avez notamment été son photographe…
J’ai toujours été passionné de photographie et j’avais à côté de moi un modèle tout trouvé avec Renaud. J’ai commencé à le prendre en photo avant qu’il soit connu, puis j’ai fait des pochettes de disques pour lui, comme « Morgane de toi », avec sa fille dans les bras.
On découvre, dans le film, énormément de photos et de films personnels…
Oui. Beaucoup de choses qui éclairent qui il est. Il y a aussi notre petite sœur Sophie qui, pour la première fois, témoigne. C’est très émouvant.
Quel enfant était-il ?
Il avait un côté ténébreux. Il ne s’exprimait pas beaucoup, il était craintif. Il dormait mal. On partageait la même chambre et toutes les nuits, il m’empêchait de dormir car il fallait qu’on parle, encore et encore. Il était insomniaque très jeune. Il avait déjà ses tourments.
Vous êtes de faux jumeaux…
Oui, même si je n’aime pas ce terme. Mais on est très opposés. J’étais un garçon sportif et lui pas du tout. J’étais optimiste, volontaire. Renaud, c’était tout l’inverse. Il était renfermé, renfrogné même.
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez lui ?
Sa sensibilité. Et dieu sait qu’il peut m’énerver par certains aspects. Il n’a jamais su très bien répondre à l’immense affection que ses parents lui portaient suite à son succès. Mais c’est son côté pudique. Renaud, c’est « cache ta joie ». Il ne sait pas dire aux gens qu’il les aime. C’est terrible et touchant à la fois.
Vous le décrivez comme un « colosse aux pieds d’argile ». Il remonte la pente, puis il rechute… Ça ne changera jamais ?
Je ne sais pas. Mais il a quand même une capacité de résilience assez exceptionnelle. C’est moi qui l’ai appelé le Phénix lorsqu’il est revenu il y a cinq ans. Jamais je n’aurais pensé qu’il pouvait refaire un nouvel album, suivi d’une tournée triomphale. Il est capable d’incroyables rebonds. Mais comme toute personnalité maniaco-dépressive, il a des hauts et des bas.
Et pour l’instant, comment va-t-il ?
Plutôt bien. Il ne boit plus, il essaye d’arrêter de fumer. Il est dans une phase de reconstruction, après une phase un peu moins glorieuse.
Il a aussi été hospitalisé pour des problèmes d’emphysème…
Oui, à cause du tabac. Il fumait trois paquets et demi par jour.
Vous vous êtes parfois éloigné de lui lorsqu’il allait trop mal, pour ne pas sombrer avec lui ?
Oui. A l’époque où il était cloîtré à la Closerie des Lilas, il buvait de 6 h du matin à 9 h du soir. Je le voyais dans des états pitoyables. Il buvait par désespoir. Là, je me suis éloigné car ça me faisait trop de peine.
Vous avez traversé des moments difficiles avec les décès récents de votre maman, de votre frère Thierry et de votre sœur Nelly. Comment a-t-il encaissé ces drames ?
Renaud n’est pas très démonstratif. Au décès de notre mère, il est resté de marbre, imperturbable, alors qu’on sait qu’à l’intérieur, c’est une dévastation. Moi, dans ces cas-là, je pleure, c’est une réaction naturelle. Renaud est tellement fermé qu’il ne montre pas sa douleur, pas plus qu’il ne montre son plaisir non plus. Lorsqu’on est en famille, il est présent mais muet. Il est à un coin de la table et il fume.
L’expo que vous lui consacrez, la sortie du best of, ce documentaire… Ça le touche ?
Vu de l’extérieur, on a l’impression qu’il n’en a strictement rien à faire. Mais il a conservé un certain égocentrisme. Je sais que ça flatte sa vanité que « Mistral gagnant » soit la chanson préférée des Français. De même pour l’expo, il en est fier, même s’il a refusé d’en parler dans les médias.
Vous pensez qu’il va encore faire des disques ou sa voix est trop abîmée ?
Je sais qu’il a convoqué son compositeur et arrangeur pour travailler sur des chansons. L’envie est là et ça, c’est plutôt bon signe. Quand il travaille, qu’il crée, il n’est pas englouti par sa mélancolie.
Et remonter sur scène ?
Oh, je ne me risque plus à des pronostics. Avec Renaud, tout est possible !
Source : Sudinfo