N° 36238
MIGLIORINI Robert, le 01/06/2002 à 00:00
Cinquante ans depuis quelques jours et un tout nouvel album, intitulé Boucan d’enfer. Le retour de Renaud ne passe pas inaperçu, après ces huit années où le chanteur ne savait plus trop quoi dire aux gens. Peut-être avait-il trop parlé, Renaud, depuis les années 1970. On l’interrogeait à tout bout de champ. Il aimait ça, même si, de temps en temps, il annonçait son retrait de la vie médiatique, boycottant ceux qui l’avait accompagné.
C’était plus fort que lui. Et les sujets de contestation ne manquaient pas pour l’amoureux de Paname, symbole des blêmes HLM, et de la chanson du loubard. La casquette de poulbot et le foulard rouge se portaient bien. L’enfant du 14e arrondissement, fier de ses racines huguenotes, chantait les minorités silencieuses et les oubliés. On aimait aussi son esprit d’enfance, craquant comme un mistral gagnant, madeleine de tous les écoliers. Son ami Frédéric Dard avait compris : Renaud faisait le boulot de Verlaine, avec des mots de bistrot. Non sans un succès certain et la reconnaissance des gens de métier. Le cinéma lui donnait sa chance pour entrer dans la peau d’un mineur des temps jadis, dans le Nord de Zola : du cousu main. Il rendait ensuite hommage à Brassens, celui qui l’avait poussé à écrire. Et là, un jour, une saison morte, plus rien. Le rebelle était-il toujours vivant ?
L’abonné aux causes des autres se refaisait une santé
Mais où donc était passé Renaud ? Il était sur la route depuis des mois, ou dans un… café. C’est ainsi que l’on soigne, dit-on, au bar, ceux qui affichent un moral en berne, une peine de coeur et de corps. Le chanteur énervant, le « chetron sauvage », l’abonné aux causes des autres, se refaisait une santé. Avec ses amis. Avec son public, celui qui lui a toujours témoigné sa ferveur, son amour en somme. Il en avait bien besoin, l’amoureux de « sa gonzesse » condamné à marcher à l’ombre de lui-même.
Au fil des mois, Renaud a remonté la pente en menant à bien une tournée de dix-huit mois dans de petites salles, en 1999-2000, avec une poignée de musiciens (Alain Lanty et Jean-Pierre Buccolo). Ce spectacle intitulé « Une guitare, un piano et Renaud » a touché plus de 250 000 spectateurs. Et puis l’inspiration est revenue, marquée par l’épreuve mais redonnant confiance à celui qui voulait rester sur place.
Dans le nouvel album de 14 chansons, Boucan d’enfer, Renaud se livre beaucoup plus que de coutume. C’est un homme qui pleure ses amours, sans oublier ses colères, ses reparties. Plus nombriliste qu’altruiste, avoue-t-il. La chanson titre donne le ton : « On reconnaît le bonheur, paraît-il, au bruit qu’il fait quand il s’en va… Le mien est allé hier après vingt berges de sous mon toit. » Renaud explique qu’il vit plutôt caché, qu’un coeur perdu bat dans sa poitrine et que ceux qui s’aiment peuvent sembler « mal barrés » aux yeux du nouveau quinquagénaire qui fit ses débuts dans la cour de la Sorbonne, en 1968.
Renaud est un fidèle sous des allures de rebelle
Pour autant son expérience est-elle transposable ? Un petit portrait au vitriol de Bernard-Henri Lévy, cible facile, et Renaud cultive son esprit de contradiction habituel. Le chanteur est duel, double, partagé entre celui qui pique et celui qui touche. Docteur Renaud, Mister Renard met en scène, sur le mode adopté par Serge Gainsbourg, celui qui peut afficher des sentiments contraires. Celui qui a écrit en 1985 Ethiopie pour chanteurs sans frontières n’oublie pas totalement le monde qui tourne mal. Il apparaît moins manichéen que d’ordinaire. La chanson Manhattan-Kaboul, en duo avec Axelle Red, est une réussite. L’écriture de Renaud est bien vivante. Elle a vu le loup évoque en termes justes les appréhensions d’un père, alors que son enfant aborde la vie d’adulte. Plus faciles sont en revanche les évocations du chien du président Mitterrand privé de funérailles. Renaud est un fidèle sous des allures de rebelle. Comme l’exprime aussi la chanson dédiée au leader corse, François Santoni.
Les amis sont très présents dans ce Boucan d’enfer. Pour preuve la magnifique pochette que lui a dessinée le marin Titouan Lamazou. Après la tempête en haute mer, Renaud annonce qu’il retournera peut-être bientôt pêcher en Auvergne avec le matériel offert par l’écrivain René Fallet, grand ami de Brassens. Après avoir donné sa langue au chagrin, le chanteur goûte à des rives plus calmes.
Robert MIGLIORINI
50 balais et une Victoire
Renaud compte vingt-sept ans de carrière derrière lui, 12 albums studio et six albums live. Il a vendu 12 millions d’albums, dont 1,5 million pour Morgane de toi, en 1983, et Mistral gagnant deux ans après. Début 1981, il s’était fait remarquer avec Viens chez moi, j’habite chez une copine, pour le film de Patrice Leconte. En 1993, il enregistre un album Renaud cante el’ Nord, après avoir tourné dans le film de Claude Berri Germinal, d’après Emile Zola.
Il prépare actuellement son retour au cinéma dans une comédie policière Crime Spree (La Spirale du crime), avec Gérard Depardieu, Johnny Hallyday et Harvey Keitel. Une compilation, The very best of Renaud, est sortie chez Virgin.
En 1996, il enregistre « Renaud chante Brassens ». En 2001, Renaud obtient une Victoire d’honneur pour l’ensemble de son oeuvre.
Boucan d’enfer, le nouvel album, est sorti ce mardi chez Ceci-cela/Virgin. 250 000 exemplaires sont mis en place. Un livre, Bouquin d’enfer (1), doit paraître le 5 juin aux Editions du Rocher. Les chansons sont disponibles aux Editions Albin Michel et dans le Livre de poche.
Une tournée nationale démarrera en décembre, avec, le 19, un concert au Zénith de Paris et 120 autres concerts. Plusieurs émissions spéciales sont prévues à la télévision : notamment ce samedi sur Canal Jimmy à 21 heures et le dimanche 23 juin sur France 2, dans l’émission de Michel Drucker.
Plusieurs sites Internet sont consacrés à Renaud. Parmi les plus complets : www.sharedsite.com/hlm-de-renaud et www.renaud-le-renard.com
R. M.
(1) Editions du Rocher, 216 pages, 17 E
Sources : La Croix et Le HLM des fans de Renaud