SHERBROOKE
SAMEDI 10 NOVEMBRE 1984
Arts et divertissement
« Je ne suis rien, rien qu’un faiseur de chansons »
Une entrevue de Pierrette Roy
Le chanteur français Renaud aurait pu être un militant, un terroriste, un poseur de bombes. Mais il a choisi de chanter pour hurler sa colère et dénoncer la bêtise humaine. Bien conscient cependant que de vouloir changer le monde constitue un défi qu’il a peu espoir de voir se réaliser, Renaud espère au moins qu’en l’an 2000, lorsque sa fille qui a 4 ans aura 20 ans, le monde ne sera plus pourri ni plus pollué que celui-ci.
De passage à Sherbrooke cette semaine alors qu’il effectuait sa première visite chez nous, dans le cadre de sa première tournée au Québec. Renaud était encore tout abasourdi par l’accueil que lui avaient réservé les Québécois, et plus particulièrement ceux de Montréal et de Québec alors qu’il se produisait cet été dans le cadre des festivités de Québec 84.
Qualifié de véritable phénomène au niveau du raz-de-marée qu’il avait provoqué chez nous. Renaud rétorquait à cela qu’il aura gagné son pari, si on peut appeler cela un pari, lorsqu’il sera aussi célèbre à Rimouski ou à Sherbrooke qu’à Montréal.
« Ainsi, faisait-il remarquer au cours d’un entretien qu’il nous accordait quelques heures avant de donner son concert, on trouve 11.000 étudiants sur le campus et il n’y a encore que 500 billets de vendus. Car, ce qui m’intéresse, ce n’est pas uniquement toucher les gens d’une grande ville comme Montréal mais de toucher des gens de partout. »
C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il explique être étonné et ravi de l’accueil que lui fait le Québec, un accueil auquel il était bien loin de s’attendre, mais qu’il ne sent pas pour autant un phénomène Et, empruntant à Charlebois qu’il connaît et qu’il aime, il se présentera comme « un gars ben ordinaire, un chanteur populaire. »
Le coup de foudre
Pourtant, Renaud aura attendu un neuvième album, Morgane de toi qui a provoqué en France un véritable raz-de-marée au niveau du public avant de venir se présenter au Québec.
« Avant cet album, tout allait bien pour moi en France, en Belgique, en Suisse, explique-t-il. J’avais du boulot et comme je suis un peu flemmard, je n’étais pas pressé de venir. D’autant plus qu’on m’avait dit que j’avais peu de chance au Québec puisque mes disques n’étaient pas distribués ici, que je chantais en argot et que mes chansons ne tournaient pas à la radio. »
Puis, avec ce dernier album, le succès de Renaud passe du simple qu’il était au double. Comment expliquer ce succès, il ne le sait pas vraiment lui-même. « Je chante toujours aussi mal et j’écris pas terrible mais techniquement, je pense que c’est meilleur De plus, alors qu’avant je chantais les mobilettes et le fait divers, j’ai maintenant étendu davantage mes thèmes pour toucher plus de monde » fait-il remarquer.
Un public qui compte désormais beaucoup de Québécois avec lesquels il a eu l’occasion d’un premier contact dans le cadre de Québec 84. « Moi et ma gang de musiciens. on est véritablement tombés en amour avec le Québec, confie-t-il. Personnellement, je vivrais bien ici si ma blonde n’était pas une sédentaire. Mais, comme je préfère ma blonde au Québec, je concilierai les deux et viendrai probablement une partie de l’année au Québec ».
Incidemment. Renaud compte revenir dès l’été prochain pour présenter en avant-première et avant même de les faire entendre à son public français les pièces qui composeront son prochain album qu’il pense enregistrer sûrement ici. Il offrira aussi quelques galas.
Se disant fils spirituel de Georges Brassens et de Bruce Springsteen. le grand chanteur rock américain, cette double filiation est pour Renaud éloquente sur la dualité que tout humain véhicule et que lui, particulièrement, présente sur scène.
« Ce n’est pas pour moi une contradiction que d’aimer le rock et aussi la poésie, fait-il remarquer. Cela me permet, sur scène, de réunir à la fois l’émotion et la sensation. »
Faisant écho aux nombreuses étiquettes qu’on lui pose parce que, selon Renaud, les médias français ont besoin d’étiqueter comme pour mieux cerner et comprendre, le chanteur explique « Ça ne me fait rien qu’on analyse mes chansons mais qu’on m’invente des origines qui ne sont pas les miennes, ça ça me gêne. Parce que je porte un blouson de cuir et que je chante des chansons sur les bums, on m’a appelé le loubard (le voyou), le prince des loubards, le porte-parole des loubards. Je me suis insurgé contre ces étiquettes car je suis avant tout un auteur compositeur interprète et même si j’ai connu des loubards, je ne suis pas un des leurs. Je n’ai pas fait de prison et je suis de la petite bourgeoisie française. Mais, dès que j’ai riposté aux étiquettes, on m’a alors traité de faux loubard qui trompe son monde. »
Or, pour Renaud, la définition de ce qu’il est est on ne peut plus simple. « Je ne suis rien, rien qu’un chansonnier, un faiseur de chansons, un petit artisan de la chanson française comme disait Brassens qui ne voulait pas qu’on l’appelle un poète. Or, si Brassens ne voulait pas qu’on l’appelle un poète, je ne peux certainement pas dire que j’en suis un. »
Lorsqu’on lui demande s’il est d’accord avec le fait qu’on l’appelle chanteur engagé, Renaud répond que oui, qu’il essaie de l’être.
« Car au départ si j’écris des chansons, c’est pour essayer de changer la vie, les gens, fait-il remarquer. Mes thèmes ne risquent pas de s’épuiser vu comment va le monde. Changer le monde, c’est évidemment un très grand défi que je n’atteindrai probablement pas mais si je rends heureux les gens qui viennent m’écouter, c’est déjà pas mal. »
Et pour Renaud, le public c’est son meilleur pote, son meilleur chum avec qui il vit un échange d’amour intense. « C’est peut-être complètement mégalo mais j’adore me retrouver devant mon public » confie-t-il.
Renaud a aujourd’hui 32 ans. Tant que ça marche, il est content de mener sa carrière mais il ne se voit pas continuer à faire « le mariole » à 40 ou 45 ans Pour cela, il ménage ses arriérés et travaille d’ailleurs actuellement à la rédaction d’un scénario de film qu’il voudrait réaliser et qui mettrait en scène, à ses côté, nul autre que son bon ami Coluche.
Source : La Tribune