Renaud, nostalgique de l’enfance

Gala

Sebastien Catroux à 10h00

@ORBAN THIERRY

Manifeste de sa résurrection, son nouvel album, Renaud, est aussi une ode à l’innocence. Il avait perdu la sienne. Il a finalement fait de sa nostalgie un baume…

Touché, mais pas coulé. Et d’autant plus touchant. Renaud, artiste populaire s’il en est, nous émeut, lorsqu’on écoute les chansons de son nouvel album, attendu dans les bacs ce 8 avril. Ce disque, sobrement intitulé Renaud (Warner), est une pièce supplémentaire au puzzle de la vie d’un titi parisien qui aura passé son temps et usé sa voix à ressusciter le temps béni de son enfance. A vrai dire, son oeuvre est une madeleine de Proust imbibée de profonde mélancolie.

Dans son dernier opus, entre deux titres traitant de l’actualité brûlante (Hyper CacherJ’ai embrassé un flic), il glisse ainsi dans La vie est moche, c’est trop court« Tu pleures ton paradis perdu/ L’enfance à jamais envolée/ Que tu ne vivras jamais plus/ Que tu vois chaque jour s’envoler. » Le texte n’est pas sans rappeler celui de son hymne au goût dissous de l’innocence, Mistral gagnant, son plus gros succès et l’un de ses titres les plus personnels.

Certains traînent leur enfance heureuse comme une enclume. C’est le cas de Renaud Pierre Manuel Séchan, né le 11 mai 1952 quelques minutes avant son jumeau David, dans le XIVe arrondissement de Paris. Les deux bébés viennent animer une fratrie déjà composée de deux filles, Nelly et Christine, et d’un garçon, Thierry. Leur mère, Solange, est fille de mineur. Leur père, Olivier, est un professeur et écrivain reconnu, issu d’une longue lignée d’intellectuels cévenols. Bercé par la musique de la machine à écrire paternelle et des paroles de chansons échappées de l’électrophone familial, Renaud est un enfant qui va à l’école comme au charbon. Mais, intrigué par l’imposante bibliothèque devant laquelle il se sent tout petit, il commence à s’amuser avec la langue française. Une de ses nouvelles chansons, Les mots, qui cite pêle-mêle Paul Léautaud, Victor Hugo, George Brassens et Claude Nougaro, résume cette initiation: « Poèmes, chansons, brûlots/ Vous ouvrent des plus beaux/ Des horizons toujours nouveaux/ Qui vous éloignent des troupeaux. »

Encouragé par ses parents, le doux rêveur met ses états d’âme en chansons, la guitare à la main. Petit à petit, Renaud Séchan, enfant de la bourgeoisie, devient Renaud tout court, loulou des banlieues. Car il se reconnaît davantage dans cette France qui trime, sue et se débrouille malgré tout. C’est sa famille de choix. Le week-end, retrouvailles avec sa famille de sang, cependant. Le révolté reste un affectif. Quand le succès arrive, il ne change rien à ses habitudes. Dans l’ouvrage Renaud, le Rimbaud des faubourgs (éditions Favre), le biographe Alain Wodrascka rapporte ces propos de Solange Séchan, recueillis en 1984: « Le dimanche, nous essayons de réunir tout le monde pour le repas familial, malheureusement, ce n’est pas toujours facile pour Renaud, qui est souvent en déplacement. Renaud n’oublie jamais les fêtes ou les anniversaires de ses soeurs et frères. »

L’âge avançant, le chanteur préfère définitivement les anniversaires des autres aux siens. Sa chanson Mon anniv’, autre piste de l’album Renaud, est à ce point de vue éloquente: « Jamais pu blairer, jamais pu saquer les anniversaires/ Et c’est ma vie qui s’enfuit/ Le temps qui s’en va passe bien trop vite/ Pour vous comme pour moi. » A l’approche de ses soixante-quatre ans, l’écorché vif vient de le résumer en d’autres termes dans L’Expresschaque bougie supplémentaire « est un coup de poignard dans ma jeunesse. »

La gloire et la fortune, Renaud le sait, glisse entre les doigts. Une famille, une descendance, c’est peut-être tout ce qui reste. Renaud aura tenté de fonder la sienne. Il l’aurait voulue nombreuse. Dans le livre d’Alain Wodrascka, il évoque son envie, jamais actualisée, de fonder lui aussi une grande famille, aussi soudée que turbulente. Des enfants, « Moi, j’en voulais plein, ma femme n’en voulait qu’un », assure-t-il. Longtemps, Lolita, aujourd’hui âgée de trente-cinq ans et fraichement séparée du chanteur Renan Luce, grandira ainsi en fille unique. En 2002, elle devient fille de divorcés. Sa mère, Dominique, quitte Renaud, ne supportant plus ses accès de déprime alcoolisés. L’album Boucan d’enfer essore ce chagrin d’amour. En 2006, l’heure est de nouveau aux babillages. Au mois de juillet, Renaud devient père d’un petit Malone, auquel il consacre la comptine Petit bonhomme sur son dernier album. Las! Le ciel s’assombrit encore une fois.

Tempête dans les verres du chanteur, de nouveau remplis à ras bord. Romane Serda, la mère de Malone, ne veut plus se battre avec Mister Renard, qui « carbure au Ricard ». Leur divorce est prononcé en 2011. Renaud, comme une bête blessée, se tapit en Provence et garde le silence. On murmure que son inspiration est une source tarie. Plus rien à dire. Plus rien à vivre. S’en fout de tout. Jusqu’en 2015. Fan de Renaud depuis ses dix ans, le slameur Grand Corps Malade lui propose de se remettre à l’écriture. D’essayer, du moins. Le damné de l’Isle-sur-la-Sorgue hésite, puis se lance. Miracle! Rapidement, les mots se bousculent, d’avoir été trop longtemps retenus. Renaud signe Ta batterie sur l’album Il nous restera ça de Grand Corps Malade. C’est le déclic. La muse revient taquiner le môme Séchan. Départ pour les studios ICP, à Bruxelles. Les premières séances d’enregistrement sont muettes. Un check-up en clinique s’impose. Hospitalisé durant quinze jours, l’interprète de Laisse béton prend conscience qu’en raison de son très faible taux de potassium, il risque à tout moment l’incident cardiaque. Purge et exorcisme dans sa cabine capitonnée, en Belgique. Le chanteur a retrouvé sa voie. Et une voix, plus rocailleuse certes, mais pas brisée. Emu par ses liens qui se resserrent avec Malone, bientôt âgé de dix ans, et les sourires de sa petite-fille Héloïse, quatre ans, Renaud prévoit un prochain disque « pour les mômes ». « Parler aux enfants est une arme de construction massive », dit-il. De reconstruction aussi, à l’évidence.

Crédits photos : Orban Thierry

  

Source : Gala