Renaud par sa bande

VSD

N° 2174, mai 2022

CULTURE

PHOTOS : VIM, MIREILLE AMPHILHAC/ABACA – LES 2 STUDIOS/BLOODI CHAFRAIX, ABACA – LAURENT BENHAMOU/SIPA – FRANCK BESSIERE/ABACA – STUDIO ICP 2015 – DR

« La vie est moche et c’est trop court / À peine le temps d’être malheureux / Tu pleures plus souvent qu’à ton tour /Tu te retournes et puis t’es vieux », chantait-il en 2016. Six ans après, il va fêter ses 70 ans. Cela pourrait n’être qu’anecdotique si le vieux Gavroche n’avait traversé bien des tempêtes et si on ne l’avait pas dit au plus mal ces dernières années. Mais Renaud s’apprête à sortir, ce 6 mai, « Métèque , un nouvel album — de reprises certes, mais quand même. À l’occasion de cet anniversaire, nous avons rencontré quelques-uns de ses plus fidèles lieutenants, autant d’amis ayant pris la mer avec lui il y a bien longtemps. — Ta-ta-tin !

Recueilli par Christian Eudeline

DAVID SÉCHAN (son frère jumeau)

« Il faut qu’il travaille, sinon il sombre »

« Au départ, je suis photographe et j’ai fait énormément de photos de Renaud ; c’était mon sujet favori. Il faut rappeler qu’on partageait la même chambre, bref, on était toujours ensemble mais franchement, au tout début de sa carrière, je ne pouvais pas deviner qu’il allait avoir cette postérité. La pochette de son deuxième album, « Laisse béton (Place de ma mob) », c’est moi, mais la plus célèbre reste celle de « Morgane de toi ». Renaud m’avait demandé de venir à Los Angeles avec tous mes appareils. La veille, il avait fait toute la ville pour trouver ces santiags jaunes pour Lolita et, pour le cliché, il m’avait juste dit : « J’arrive par ce chemin, j’aurai ma fille dans les bras, faut pas qu’on la reconnaisse. » Près de quarante ans après, plein de gens pensent encore que la photo est floue mais pas du tout : j’ai utilisé un filtre diffuseur qui explose le grain, ce qui lui donne un aspect postimpressionniste, presque pointilliste. Mais surtout, ça conserve son anonymat à Lolita. Le tout n’a pas pris cinq minutes ; Renaud déteste être photographié. Il n’aime pas non plus les commémorations. Quand je lui ai parlé de la Putain d’expo ! à la Philharmonie, il m’a rétorqué : « Une expo ? Mais pourquoi, j’suis pas mort ! »Je m’en rappellerai toute ma vie. Il ne voyait pas l’intérêt d’une telle rétrospective mais m’a laissé carte blanche. Lorsqu’il a visité l’expo, il m’a avoué avoir été impressionné. Si ça ne lui avait pas plu, il me l’aurait sûrement dit de façon brutale. […] Cet album de reprises est une excellente idée, déjà parce qu’il faut que Renaud travaille, sinon il sombre… »

THIERRY GEOFFROY (PROOUCTEUR)

« C’est un taiseux »

« Dans le sud, nous sommes voisins et nous nous voyons quotidiennement. Mon studio se trouve à 5 minutes de chez lui, à l’Isle-sur-la-Sorgue, et lorsqu’il a envie de travailler, il m’appelle et peut débarquer dans la demi-heure ; c’est pratique et informel. Pour « Métèque », il m’avait envoyé la liste des morceaux qu’il souhaitait reprendre afin que je lui prépare les maquettes puis il est venu enregistrer les voix à la maison – et on a finalisé la chose à Paris, aux studios Ferber et Guillaume Tell. En studio, c’est un taiseux. Il ne m’a pas expliqué ses choix, juste qu’il aimait « L’Amitié » de Françoise Hardy et qu’il tenait absolument à reprendre un truc de Hugues Aufray, un chanteur qu’il écoute depuis toujours et qui a toujours été là pour lui, quand ça n’allait pas bien fort notamment… »

GÉRARD LANVIN (COMÉDIEN)

« Le grand poète de ma génération »

« Je venais de Saint-Ouen, lui d’un milieu un peu plus bourgeois, mais finalement, on a eu la même éducation, on s’est vachement fréquentés, Renaud et moi ! On était très soudés, très liés. C’est vrai que lorsqu’on s’est rencontrés, je roulais en Harley avec un foulard dans la poche, j’avais un air de loubard et c’est sur mon stand, à Clignancourt [les Puces, NDLR] que Renaud a acheté son premier blouson de cuir, son premier Perfecto – Marche à l’ombre [la chanson de Renaud, NDLR], c’était le conseil que je donnais aux clients qui m’achetaient une belle pièce pour ne pas se faire dépouiller. De là, Renaud a même prétendu que Gérard Lambert, c’était moi ! Mais je n’ai jamais assommé un mec à coup de clef à molette, moi ! À l’époque, j’étais avec Dominique ; on s’était mariés très jeunes, et puis Renaud l’a rencontrée, elle est tombée amoureuse et ils sont partis ensemble, j’étais plutôt heureux pour eux – sauf qu’ils ont fini par se séparer, c’est la vie, malheureusement… Renaud ? Ça restera le grand poète de ma génération. »

FRANK MARGERIN (DESSINATEUR DE BD)

« Il a réussi à arrêter de boire »

« Renaud et moi, on est tous les deux de 1952 et on est autant fans de BD l’un que l’autre – je pense même qu’il a un temps rêvé de devenir dessinateur… On s’est croisés la première fois au début des années 1980, sur un plateau télé, et ma première impression c’est la timidité qu’il dégageait, malgré le blouson, malgré le bandana, malgré les santiags. Il avait même l’air super stressé et avait un peu la tremblote. En 1985, c’est lui qui est venu me demander d’illustrer la pochette d’« Éthiopie» des Chanteurs sans Frontière en me donnant un crobar de bouteille à la mer. Comme on parlait de gens qui crevaient de soif, j’ai trouvé amusant de dessiner une mer de sable et ça lui a plu. Je crois sincèrement qu’il m’aime bien même si nous ne sommes pas vraiment intimes – je dois lui rappeler sa jeunesse, les mobs, tout ça. On se voit régulièrement tout de même. Il n’y a pas si longtemps, j’ai dormi chez lui, à l’Isle-sur-la-Sorgue et c’est vrai qu’il n’est pas alerte comme il l’a été. Si on va déjeuner à l’extérieur, il faut s’attendre à être tout le temps dérangé parce que tout le monde le reconnaît, tout le monde l’aime. « Encore ? Fait chier… » Il râle pour la forme mais ça lui fait plaisir. C’est de l’amour ces petits instants où on vient le saluer. Il déteste en revanche les types qui se planquent pour le prendre en photo. […] Aujourd’hui, je crois qu’il a vraiment réussi à arrêter de boire mais la clope, en revanche… il est toujours à un paquet par jour. […] Actuellement, je redessine à sa demande les pochettes de tous ses albums en vue d’une nouvelle intégrale ; il m’a donné carte blanche. Oui, je pense qu’il m’aime bien. »

HENRI LŒVENBRUCK (ÉCRIVAIN)

« Plus il bosse, mieux il se porte »

« C’est à cause de ma double culture qu’on s’est rencontrés : un jour Renaud m’a appelé pour que je l’aide à traduire certaines de ses chansons en anglais. Je crois qu’il ne nous a pas fallu dix minutes pour devenir potes ! Brassens, à qui j’avais consacré un livre, Bob Dylan, la bécane, tout nous rassemblait. Bon, le projet de disque en anglais ne s’est pas fait mais Renaud m’a alors branché sur les adaptations de ballades irlandaises pour l’album « Molly Malone ». À un moment je bute sur un morceau mais, las de me creuser la tête, je lui file quand même ma proposition. En cinq minutes, il trouve les trois mots qui clochent ! C’est là que je me suis rendu compte de son talent. Renaud est paresseux mais plus il bosse, mieux il se porte. Son attitude est tellement normale que les gens ne peuvent qu’être bienveillants avec lui. Comment parler de son pote… Je dirais que son plat préféré c’est les coquillettes au jambon, qu’il peut passer en un clin d’œil d’une générosité extrême à la plus grande pingrerie. C’est mon pote, quoi. »

STÉPHANE LOISY (AVOCAT)

« Quelqu’un de très ténébreux »

« C’est par son frangin Thierry que j’ai rencontré Renaud. Ils habitaient tous les deux au-dessus de la Closerie des Lilas et on s’est un beau jour retrouvés à déjeuner tous les trois. Sans jeu de mots, Renaud est une éponge et il s’inspire souvent de son entourage pour écrire une chanson ; Mal barré, c’est un portrait de moi et de mon amoureuse d’alors. Renaud est quelqu’un de très ténébreux ; il participe peu à la conversation au point qu’on a parfois l’impression qu’il s’est endormi ! II déteste les gens qui la ramènent, les frimeurs. Avec Étienne Roda-Gil, autre figure de la Closerie, c’était différent, toujours très animé. Non, la seule fois où j’ai vu Renaud paralysé, c’est lorsque je lui ai présenté ma grand-tante, Jeanne Moreau. Il avait l’idée de lui écrire un album entier mais elle l’impressionnait tellement qu’il n’a pas décroché un mot de toute la soirée à part, sur le pas de la porte, « je vais vous l’écrire ce disque ». Ce qu’il n’a jamais fait parce qu’entre-temps il a rencontré Romane Serda. De ce projet avorté ne reste qu’une chanson, À la Close, dont il s’est finalement emparé. »


Plus d’infos dans « Le Dico Renaud », Christian Eudeline Hors Collection, 496 p. 24,90 €.  

 

Source : VSD (ici et ici)