Samedi 21 novembre 2009
Cahier A
arts magazine
Chanson Le chanteur français Renaud s’intéresse de près à l’Irlande sur son nouvel album A10
A10 | musique
RENAUD
Parenthèse irlandaise
MARIE-CHRISTINE BLAIS
La Presse
MONTRÉAL – En 1991, Renaud avait adapté et interprété le classique celtique The Water Is Wide, devenu La ballade irlandaise. Cette fois, le chanteur français a traduit 12 chansons de la verte Irlande, qu’il a réunies sur un album enregistré dans les « studios de U2 » et baptisé du nom de la plus populaire héroïne de chanson irish : Molly Malone. Renaud a bien voulu nous en parler.
Au moment de notre entrevue téléphonique avec Renaud, son petit garçon de trois ans entre dans la maison en pépiant. Or, son petit garçon s’appelle… Malone, nom irlandais que Renaud s’est carrément fait tatouer sur le cœur, aux côtés d’un trèfle vert, symbole de l’Irlande. Ce n’est pas une lubie passagère, cet amour de Renaud pour l’Eire : « Il y a 18 ans, quand je suis allé enregistrer à Londres, Marchand de cailloux [NDLR : album sur lequel figure La ballade irlandaise], j’ai écumé les disquaires de la région pour me constituer une discothèque de disques irlandais, en me disant qu’un jour, j’aurais le temps d’en faire quelque chose, explique-t-il. J’ai bien 30, 40 albums – juste du groupe The Fureys, je possède plusieurs compilations. »
On ne s’étonnera donc pas que Renaud ait adapté deux chansons de la populaire formation irlandaise (Willie McBride et Incendie) sur son nouvel album.
Il a fallu près de deux ans à Renaud pour adapter les 12 chansons, auxquelles s’ajoute une version de La ballade irlandaise. Parfois, le texte correspond assez à l’original, parfois, il en décolle totalement. « Ça a été déchirant; je suis parti de 150 chansons pour en retenir 12, il a fallu renoncer à des mélodies magnifiques… Car c’est la musique avant tout qui a guidé mes choix. »
Renaud a d’abord demandé à un ami, l’écrivain Henri Loevenbruck, de traduire littéralement les textes. Loevenbruck et deux copains musiciens de Renaud font d’ailleurs les nombreux chœurs, très irish pub, sur l’album.
« Ça a été déchirant; je suis parti de 150 chansons pour en retenir 12, il a fallu renoncer à des mélodies magnifiques… Car c’est la musique avant tout qui a guidé mes choix »
– Renaud a mis deux ans pour adapter les 12 chansons
« J’avais déménagé en banlieue de Paris, reprend le chanteur, et après Rouge sang [son album studio lancé en 2006], j’étais un peu en dépression. J’avais un peu épuisé mes sources, c’était une période de creux… Je me suis mis à adapter les textes traduits par Henri. »
Textes adaptés avec bonheur et talent, il faut le dire, en respectant l’esprit des paroles, pas nécessairement la lettre. Ainsi, dans la très populaire chanson Molly Malone, la jeune femme vend des « coques et des moules ». « Mais ce n’était pas très joli en français, des coques et des moules, dit Renaud, c’est donc devenu « des lilas, des roses » ». De son côté, Campfire in the Dark, où des Irlandais se remémorent leur passé de nomades, est devenu Incendie, où des Irlandais se remémorent plutôt leur pays d’origine, pendant leur exil au fin fond de l’Alabama où ils sont chômeurs et miséreux. « La rage du texte d’origine est là, mais je voulais parler du chômage et de l’exil, qui sont des thèmes fondamentaux chez le peuple irlandais. Parce qu’on est dans une période où les gens bougent beaucoup, où la délocalisation est devenue la norme, où les mouvements migratoires transforment les gens et les choses. Le chômage, la nostalgie du pays, mais aussi la fraternité, le patriotisme, ce sont des choses qui m’attachent à l’Irlande. Je ne connais pas bien l’Irlande, j’en ai comme tout le monde des images d’Épinal, j’y suis allé quatre ou cinq fois… Mais j’aime profondément son folklore, sa mythologie, cette Irlande de rêve. Comme me font rêver New York, le Québec, Athènes… Ce sont de petites oasis où je retrouve des peuples qui m’inspirent. »
Pour reprendre son expression, ce disque irlandais est « une parenthèse » dans sa discographie, comme l’ont été le disque hommage à Brassens en 1996, celui consacré aux chansons en ch’ti (Renaud cante el’Nord en 1993) et celui voué à la chanson réaliste (Le p’tit bal du samedi soir en 1981). À la fin de l’entrevue, Renaud ne cache pas ses craintes : « J’ai toujours peur de ce que les gens, les journalistes vont dire de ma voix, des adaptations…. Mais je pense que, à partir de ces chansons irlandaises, j’ai fait un album qui me ressemble. »
Source : Le Soleil