Libération, le 13 et 14 mai 1989
Notre gouailleur national a laissé béton la zone pour s’installer dans une belle demeure à colonnes de la banlieue chic de Montréal, au milieu des huiles québécoises. Le verlan, ça paye…
Montréal, de notre correspondant
La « cabane au Canada », fantasme privilégié des Français, est en vogue chez les chanteurs de l’Hexagone. Dans le petit monde immobilier montréalais, on parle même de … vague. En fait, c’est – sans Line – Renaud qui l’a cette fois fait sortir du bois.
Le « zonard » vient en effet de faire à Outremont (municipalité de prédilection de la grande bourgeoisie canadienne – française au cœur de la conurbation montréalaise), l’acquisition d’une riche demeure à colonnes. La bâtisse n’a rien du temple grec, mais avec son balcon qui rappelle celui de l’hôtel de ville d’où le Général de Gaulle lança son « Vive le Québec libre » (on ignore si « l’indépendantiste » Renaud y a été sensible), et ses boiseries blanches qui lui donnent un petit air « colonial », elle vaut assurément son poids de… briques. N’allez pas croire à des propos de voisin jaloux. « Laisse béton », au Québec, il n’y a pas de clôtures autour des propriétés et on n’a pas cette mesquinerie dans le sentiment : les inégalités sociales suscitent la compassion plutôt que la passion. « Putain c’qu’il devait être blême son HLM », pensent simplement ses fans.
En vérité, s’ils manifestent quelque surprise, ce n’est pas tant devant le prix (personne n’a cherché à savoir de quel multiple de 100 000 dollars il s’agit, rien à cirer, chacun trouve maison à son pied…), que devant l’allure et surtout la localisation de la demeure. Située là où elle est – sur le « bon côté » du chemin de la côte Sainte-Catherine, sur le versant du mont qui, comme l’a souligné un chroniqueur local, devient à cet endroit… Royal, il est couru que « la môme du huitième (cottage) ce soit la coke plutôt que le hash (trop bûcheron) qu’elle aime ».
A moins que Renaud ne soit délibérément allé planter son teepee au milieu des « complices du pouvoir, des flics et des curés ». En effet, Outremont est la patrie de l’ancien Premier ministre Pierre Elliott Trudeau – aujourd’hui émigré sur l’autre versant du mont Royal – du chef du parti québécois Jacques Parizeau, du chanoine Lionel Groulx, du patron de Power Corp Pierre Desmarais II, et de la moitié des juges de la Cour supérieure du Québec. Ses voisins sont le Premier ministre du Québec, Robert Bourassa, et le président de la Banque nationale.
On ne ses serait pas surpris de voir Aznavour s’installer dans une municipalité dont le maire, Jérôme Choquette, a défendu les trois Arméniens qui ont, il y a quelques années, pris d’assaut l’Ambassade de Turquie à Ottawa – c’est incidemment le même qui était ministre de la Justice du Québec au moment de la crise d’octobre 1970 – mais on demeure perplexe en voyant le « loubard » s’implanter dans une « zone » où les blousons de cuir sont « griffés », et où l’on est assurément « snobs » (sans mobs).
Mais Renaud n’est pas seul à avoir sa « cabane » à Montréal. France Gall et Michel Berger viennent aussi d’en acheter une à Outremont. « Evidemment », elle est à quelques pas de celle du parolier de Starmania, Luc Plamondon, et elle est au milieu d’une pelouse, sans doute pour éviter comme « un goût de poussière dans tout ». « Elle a, elle a » une allure plus modeste que celle de Renaud, et on serait tenté de croire que ces nouveaux Montréalais répètent avec Alain Barrière l’histoire des trois petits cochons, puisque le rossignol de La Trinité, venu au Québec après que le fisc l’eut presque mis sur la paille, vit plus modestement à l’Ile des Sœurs, un quartier de yuppies (plus « nouveau riche », moins BCBG qu’Outremont) ancré en bordure du Saint-Laurent, là où le fleuve se prend pour la mer et où les chanteur qui dit « des mots, encore des mots, toujours les mêmes » peut ajouter au fantasme de la cabane (en série cette fois), celui de l’Ile au Soleil.
Alain GERBIER
Source : Le HLM des Fans de Renaud