L’Express Magazine
10 mars 1979
CHANSON |
Vite, « sans dec », allez au Théâtre de la Ville. Pendant cinq jours seulement (du 13 au 17 mars), vous pourrez écouter Renaud, loubar d’apparence, mais poète de naissance, zonard d’adoption, mais futur grand de la chanson. Sanglé dans son Perfecto (blouson noir), planté malingre sur des guibolles de jockey sous-alimenté, c’est fou ce qu’il est secret et pas fier. Au détour d’un refrain sur deux, il ne peut s’empêcher de chansonner ses quilles pas droites. Nostalgise-t-il sur « La Tire à Dédé », il faut qu’il note : « Elle avait les roues arquées un peu comme j’ai les jambes. » Célèbre-t-il sa moto, il faut qu’il insiste : « Ma bécane, c’est comme un ch’val, ça tombe bien, j’suis conçu pour. »
Renaud, trois sœurs, deux frères dont un jumeau, « mais c’est lui le plus ressemblant », a grandi porte d’Orléans, entre un père prof-bourgeois-artiste et une mère issue de prolos-mineurs-nordistes. Entre le piano et l’accordéon. Entre Mozart et Verchuren.
Lui, Renaud, « écrit des poèmes depuis qu’il est en âge d’avoir des problèmes, du genre « J’ai pas d’mandé à naître ». Bob Dylan hexagonisé par Hugues Aufray lui fait saisir sa première guitare comme une hache de paix. II a 16 ans en 1968, et son papa l’oblige à manger à la cuisine parce qu’il veut porter les cheveux longs.
Brouillons de chansons pour les copains de la cité Joliot-Curie d’Argenteuil… Les Rochys, les Hell’s Angels. « Mais, dit-il, il y a aussi des voyous en veston. » Romantico-populiste, il donne volontiers dans l’apache, l’aminche, le marlou. Puis, il comprend que le surin est devenu un Opinel, et atteint le succès avec la contemporaine complainte du loulou détroussé : « Laisse béton ».
A la fin de son dernier album (Polydor), Renaud jette le masque : « Dans l’dos, j’voulais me faire tatouer un aigle aux ailes déployées, on m’a dit y a pas de place… Alors t’auras un moineau. Hé ! y a des moineaux rapaces… »
Tellement plus Bruant que truand, et plus tendre que méchant, Renaud, sur ses jambes en parenthèses, ira droit son chemin. Il a les épaules étroites mais le cœur large. Et le talent à l’avenant.
DANIÈLE HEYMANN
Source : L’Express Magazine