N° 84, 19 au 25 juin 1989
Un album de photos inédites paraît aux éditions Paul Putti
Son photographe fétiche, Claude Gassian, a réussi à l’apprivoiser en l’espace de quelques semaines. Pour nous, il a accepté de faire une mise au point très personnelle sur le poète du bitume…
« En dix ans, le succès et l’argent ne l’ont pas changé. C’est toujours le même Renaud. » Claude Gassian ne s’est pas trompé de cible. Depuis longtemps, il rêvait de suivre à la trace l’interprète de Ma gonzesse. De tournées en voyages éclairs au Québec, il a découvert un véritable poète. « Je l’ai vu souffrir pour écrire ses textes, il y a en lui une fragilité qui est touchante. Sa confiance, elle se mérite car ce n’est pas un personnage qu’on aborde facilement ! » Peu enclin à raconter sa vie, Renaud a décidé de tirer le rideau : plus d’interviews, des passages sur le petit écran au compte-gouttes… Mutisme quasi total ! C’est qu’il a déjà beaucoup parlé, Renaud, depuis que ses chansons passent pour des
« œuvres engagées » ; « On a tendance à lui poser toutes sortes de questions sur la politique, les grands événements… Il dit ne pas avoir d’avis sur tout et qu’il vaut mieux écouter ses chansons. Il préférera toujours la pêche
à la ligne à n’importe quel dîner mondain. Avant tout, il veut se préserver. »
« Désagréable avec les gens qu’il aime »
Loin du stress parisien, Renaud prend le large. Le métier le rend tout juste « content ». Lui, il et en quête du bonheur. Nuance. S’il n’est pas reclus dans son havre du Vaucluse, avec Lolita, sa fille de 8 ans (à laquelle il a dédié Morgane de toi), et sa femme Dominique, on le retrouve au Québec, où il vient de s’acheter une maison.
De grands espaces et des gens au « parler vrai », tout ce qu’il adore. « Renaud, poursuit Claude Gassian, c’est un solitaire de nature. II a beaucoup d’humour, mais ne sourit pas souvent. En général, il est assez râleur, bougon. En fait, il est souvent désagréable avec les gens qu’il aime. C’est doute une forme de pudeur. II déteste se faire prendre en photo, par exemple – une autre forme de pudeur -, il ne se trouve pas beau. Ses cernes lui posent un problème., c’est d’ailleurs pour ça aussi que de temps en temps, il porte des lunettes ! Renaud dit de moi, que je suis le moins « casse-bonbons » des photographes. » Ainsi a-t-il accepté l’objectif du Claude Gassian.
Chanteur de rue avant de s’improviser « loubard de banlieue » (qu’il n’est pas, son père était professeur), Renaud a longtemps chanté « la zone » (Dans mon HLM, Laisse béton…), avant de trouver l’inspiration dans ses souvenirs d’enfance (Mistral gagnant). Plus tard, Miss Maggie et Jonathan seront autant de plaidoyers – corrosifs – contre la violence aveugle et le racisme. « Je suis agressif dans mes chansons, avoue-t-il souvent, parce que je n’arrive pas à l’être dans la vie. » Il se dit « piètre musicien » (ne connaissant pas le solfège) mais il est, avec Jean-Jacques Goldman, l’un des deux plus gros vendeurs de disques en France. « Pendant longtemps, il a assez mal supporté le fait de gagner beaucoup d’argent, commente son photographe. Les gens lui disaient alors qu’il était en contradiction avec ce qu’il chantait. Aujourd’hui, tout cela s’estompe… »
Un militant qui doute
A travers l’œil de son objectif, Claude Gassian a su discerner un aspect plus intime de la personnalité de Renaud. « Certes, je connaissais sa gêne devant un appareil photo. Mais je me suis rendu compte qu’il est également assez mal à l’aise dans la vie. C’est quelqu’un qui doute beaucoup. Il demande l’avis de tout le monde avant de prendre une décision. C’est touchant. Pour ma part, j’ai surtout apprécié le militant. Celui du « parti des oiseaux »… Renaud, c’est quelqu’un de profondément gentil. »
PIERRICK BEQUET
Source : Voici