RENAUD – Putain De Camion (1988)

Nightfall

FORCES PARALLÈLES
CHRONIQUES ÉLECTRIQUES

Par MARCO STIVELL le 21 Octobre 2010


L’enfance peut être une époque bénie, dans le sens où l’innocence permet souvent d’échapper à certaines tendances d’un être humain à considérer ses semblables, ou le monde lui-même. Les gentils et les méchants n’existent souvent que dans les films, et un petit enfant qui n’a rien à reprocher à personne, qui se construit un petit monde figure parmi les esprits les plus tranquilles. Rude est l’instant où il se rend compte que tout n’est pas rose, où il vit sa première déception, où il s’aperçoit que les hommes ne s’aiment pas tous entre eux, que les amateurs de musique ont parfois, souvent même, des choses à reprocher à leurs artistes préférés.

Fan de RENAUD depuis toujours, c’est exactement ce qui m’est arrivé pour lui en premier. Même plus que ça, j’ai appris par certaines personnes l’existence d’une pseudo-division, le RENAUD d’avant 83 étant soi-disant bien meilleur que celui d’après 85 (Morgane de Toi et Mistral Gagnant étant plus ou moins acceptés), ce dernier ne valant pas tripette pour certains. Le fait est que je connais Putain de Camion depuis presque autant de temps que les trois premiers albums de RENAUD que j’ai découverts (ses prédécesseurs en fait), et si le RENAUD loubard-rockeur d’avant 83 m’a toujours moins séduit que le chanteur tendre de variété – je dis ça par rapport aux chansons d’amour à sa femme et à sa fille -, objectivement je trouve qu’il n’y a pas plus à redire à propos de l’un que de l’autre.

L’argument général, c’est que depuis 1988, RENAUD se fait beaucoup moins subtil, habile, enclin à tenir ses ‘promesses’ d’antan : C’est pas demain qu’on m’verra marcher avec les connards qui vont aux urnes entre autres, citation d’une chanson classée ‘subtile’ et sacralisée, dont il est inutile de citer le nom. En effet, n’oublions pas qu’en cette année 88, l’artiste soutient à fond François ‘Tonton’ Mitterrand dont il ne tardera pas à être déçu, mais ça c’est une histoire pour le prochain album.

Quoiqu’il en soit, il est clair que tout n’est plus comme avant. Rien qu’à la vision de la pochette funèbre et la mention du titre, on comprend d’où cela vient. Deux ans plus tôt, RENAUD perdait l’un de ses plus fervents compagnons et amis, le parrain de sa fille Lolita : Michel Colucci, alias Coluche. Emporté par un accident de la route, sa moto ayant percuté un camion mal rangé dans un tournant, cet album lui est naturellement dédié, comme la chanson du même nom. Coup dur, désillusion, pas étonnant que ce disque soit son premier réellement noir.

C’est pourtant sur une touche quasiment joyeuse qu’il s’ouvre avec un autre hommage au chanteur Johnny CLEGG cette fois, avec renfort de choeurs zoulous. Composée par Luc Bertin, l’un des choristes de RENAUD, cette chanson, bien que brûlot anti-apartheid, permet de commencer l’exploration du disque de manière plutôt positive. Il est vrai que tout dans Putain de Camion n’est pas noir ainsi que la pochette pourrait le suggérer. En témoignent des titres comme « Allongés sous les vagues » (toujours cette manière de voir les vacances à la mer de façon très… ‘nature’) ou « La mère à Titi », cette dernière étant un clin d’oeil au guitariste Jean-Pierre ‘Titi’ Bucolo, ami de RENAUD, qui a composé « Miss Maggie » et que l’on retrouvera plus tard à ses côtés. Si la musique de fête foraine de « Cent ans » a du mal à convaincre totalement, l’enchaînement entre « Allongés sous les vagues » et celle-ci est hilarant, RENAUD dialoguant avec lui-même. D’autres titres comme « Socialiste » (plus délirante que virulente) et « Chanson dégueulasse » apportent encore un peu de fraîcheur à l’album et pas seulement de manière humoristique. Cependant, la deuxième, très rock, a de la difficulté (beaucoup même) à se hisser un jour jusqu’à un quelconque sommet.

Pour le reste, je ne trouve honnêtement rien à remettre en question. Franck Langolff, le compositeur de « Morgane de toi » – et en dehors de RENAUD, de « Joe le taxi » -, garde la main mise sur certaines des meilleures musiques du disque, dont « Petite », « La mère à Titi » et « Triviale poursuite » (une vision des maux du monde à travers le célèbre jeu de société) qui reste, du haut de ses six minutes, la chanson la plus dense de l’ensemble.

Ce qu’on (enfin, surtout les détracteurs !) oublie trop souvent, c’est que RENAUD, ce n’est pas que du texte, c’est aussi de la musique qui est, depuis – presque – toujours, réalisée et arrangée de main de maître. Et le chanteur n’est pas en reste en proposant les plus tendres et acoustiques « Me jette pas », « Rouge-gorge », autre hommage plus ‘classique’ au Paris du photographe Robert Doisneau, et « Il pleut » sur laquelle il parle à une de ses deux femmes qui veut partir de la maison (on ne se rend compte de qui il s’agit que lorsqu’il dit Et puis d’abord ça suffit, on s’casse pas à six ans et demi), toutes les trois prouvant comme d’habitude qu’il arrive à faire simple et joli à la fois.

Ce cher Jean-Louis se réserve de très belles envolées à l’accordéon. Pour le reste de l’instrumentation, on remarque la quasi-omniprésence de Philippe Osman (je n’ai pas cité « Joe le taxi » pour rien, lui aussi figure sur le premier album de la jeune Vanessa) et, pour la dernière fois, l’intervention du claviériste-arrangeur Jean-Philippe Goude qui a rempli son excellent rôle jusqu’au bout. En parlant de ça, le meilleur qui aura été réalisé sur ce disque en fin de compte, se situe sur la chanson-titre, avec ses cordes et son piano Fender Rhodes, un texte aussi direct que déchirant et une mélodie d’une beauté renversante.

Même si ce disque commence la période ‘noire’ de RENAUD (succès en baisse progressive, déconsidération de nombreux fans qui souvent ne tentent pas de comprendre Renaud et RENAUD, l’homme et l’artiste, non pas seulement le parolier), il n’en demeure pas moins un sommet de sa carrière, au même titre que les deux précédents et (surtout, pour moi) les deux suivants.


LINE-UP

– Renaud (chant, choeurs)
– Philippe Osman (guitares, basse, claviers, programmations, choeurs)
– Bernard Paganotti (basse, choeurs)
– Claude Salmieri (batterie, choeurs)
– Amaury Blanchard (batterie)
– Jean-Philippe Goude (claviers)
– Hervé Lavandier (pianos acoustique et électrique, claviers)
– Jean-Pierre Alarcen (guitares, choeurs)
– Franck Langolff (guitares, choeurs)
– François Ovide (guitares, choeurs)
– Patrick Sefolosha, Tefo Hiaele (choeurs zoulous)
– Jean-Louis Roques (accordéon)
– Luc Bertin (choeurs)
– Alain Labacci (choeurs)
– Marc Chantereau (percussions)
– Pierre-Jean Gidon (saxophone)
– France Dubois (violon)
– Christophe Guiot (violon)
– Pierre ‘papy’ Llinares (alto)
– Hubert Varron (violoncelle)
– Jean-Philippe Audin (violoncelle)
– Claude Dubois (régie des cordes)


TRACK LIST

1. Jonathan
2. Il Pleut
3. La Mère à Titi
4. Triviale Poursuite
5. Me Jette Pas
6. Rouge Gorge
7. Allongés Sous Les Vagues
8. Cent Ans
9. Socialiste
10. Petite
11. Chanson Dégueulasse
12. Putain De Camion

    

Source : Nightfall