Renaud raconte « Dès que le vent soufflera »

L’Express

Par Gilles Médioni, publié le 22/08/2014 à 09:23 , mis à jour à 16:53

« La mer représentait la liberté, le voyage, l’aventure, les galères », raconte Renaud. AFP

Les Francofolies ont 30 ans. L’occasion d’une balade estivale à travers des succès cultes. Dernière escale: Dès que le vent soufflera, inspiré à Renaud en 1983, lors d’une traversée de l’Atlantique. En exclusivité pour L’Express, il commente sa chanson.

Perfecto, cheveux jaunes, regard de bitume, Renaud est une silhouette familière du Marais. Il a fait la manche dans la cour du Café de la Gare, « Comédie-Française post-soixante-huitarde », selon Romain Bouteille, son fondateur. Vécu sur place la « fête au pinard » avec les bandes de Hara-Kiri et du Grand Magic Circus. Chanté son premier album à la Pizza du Marais (aujourd’hui, les Blancs-Manteaux). Et fait l’acteur dans La Revanche de Louis XIà La Veuve Pichard, l’actuel Point-Virgule.  

© Service de presse

Renaud (Séchan) a finalement posé sa guitare et sa collection de bédés à deux pas, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, dans le studio mezzanine de Dominique, rencontrée sur scène. C’est le temps des cafés-théâtres et des troupes inséparables. Coluche a même acheté des mob’ à ses potes pour qu’ils se rendent d’un lieu à l’autre. 

Depuis le phénomène Laisse béton (1977), Renaud a enchaîné trois 33-tours. Il a épousé Dominique, divorcée de Gérard Lanvin – le Gérard Lambert de la chanson. Lolita est née l’été 1980. Mitterrand a été élu président en mai 1981.

Larguer les amarres

C’est un homme heureux, un jeune papa (30 ans), célèbre et courtisé. Trop? Renaud songe à larguer les amarres, il se fait construire un bateau. Lors d’un dîner chez lui, il confie à l’amie Dominique Lavanant son projet de prendre la mer. Réaction de la comédienne, citant Kessel : « C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme. » A raison : son père s’est noyé à Morlaix quand elle avait 2 ans – lui, 27. « Dès que le vent soufflera est parti de cette phrase », se souvient aujourd’hui Renaud, de son refuge de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse). « Et, renchérit Dominique Lavanant, comme je venais de lire la biographie de W.C. Fields, j’ai ajouté : « Tu sais qu’il ne boit jamais d’eau, à cause de toutes ces choses que font les poissons dedans. » » Traduit en langage Renaud : « La mer, c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans. »

Automne 1982. Patrick Dewaere s’est suicidé, un attentat antisémite a ensanglanté la rue des Rosiers, à Paris, et le terme « aids » fait son apparition aux Etats-Unis. Les Séchan embarquent sur une goélette de 14 mètres, Makhnovtchina, du nom de l’action révolutionnaire ukrainienne de 1917. « Pour moi, la mer représentait la liberté, le voyage, l’aventure, les galères », raconte Renaud. Et, bien sûr, les chants de marins. A Los Cristianos, sur la côte sud de Tenerife, la plus grande des îles Canaries, il sympathise avec les matelots d’un cargo français. « J’ai pris l’apéro dans leur carré, et ils se sont mis à entonner Fanny de Recouvrance. Je l’ai chantée ensuite de port en port. »  

Nausée au couplet, entrain au refrain

Dès que le vent soufflera a jailli sur Makhnovtchina, de retour des Antilles vers la France métropolitaine. « Exactement le 23 juin 1983, précise Renaud. Lolita était sur mes genoux. La musique m’est venue en même temps que le texte : je relate ma vie à bord de façon humoristique, pleine d’autodérision. » C’est un peu le Lucien en santiags de Margerin qui « vomit son quatre-heures » sur le trois-mâts d’Hugues Aufray. Nausée au couplet, entrain au refrain : « Dès que le vent soufflera, je repartira / Dès que les vents tourneront nous nous en allerons (de requins). » Tout Renaud est dans cette parodie débraillée. La nostalgie d’écolier (le rituel du goûter, la référence à Santiano), les mots d’enfant (de Lolita), les images insolites d’un loubard sur le pont, l’accent lyrique et les calembours. La parole à Hugues Aufray, qui fut son modèle : « C’est un bel hommage. Nos deux chansons se sont croisées, comme nos destinées. »

Un choeur de vannes et de mouettes

Coluche et Dominique Lavanant, tous deux proches de Renaud.Coll. Christophel © Renn Productions/DR/Service de presse

Studios Rumbo Recorders, Los Angeles. Renaud enregistre son sixième album avec des musiciens américains. Les arrangeurs Jean-Philippe Goude, Gérard Prévost et Alain Ranval l’accompagnent. Le vagabond redevenu citadin égrène des chroniques sociales énervées (Deuxième Génération ; Déserteur), des pages de son carnet de voyage (Dès que le vent soufflera) et de son journal intime (En cloque; Morgane de toi),puis il clôt sa galerie de zonards – Loulou en dresse un ultime portrait, vieillissant. « Cela ressemble à un adieu à cette famille de substitution », note Alain Wodrascka, auteur de Renaud, et s’il n’en reste qu’un (Hugo & Cie). Morgane de toi, dédié à Lolita, paraît en septembre et s’ouvre par Dès que le vent soufflera, chant de loup de mer avec son choeur de foudres, de vannes et de mouettes. « Les musiciens, des pointures, des requins de studio, devaient être un peu déroutés, mais ils n’en ont rien montré », sourit Renaud. Trois singles ont fait le succès de Morgane de toi,écoulé à 1 million d’exemplaires, mais Dès que le vent souffleran’a jamais été édité en 45-tours. C’est pourtant aujourd’hui l’air le plus diffusé de tout le répertoire de Renaud, avec Mistral gagnant. Et l’un des plus connus. Y compris des navigateurs. Dans le morceau, Renaud la provoc’ n’hésite pas à dire « lapin » à leur adresse : mot maudit, il est interdit de le prononcer sur un bateau, par superstition (le lapin ronge le bois et les cordages). « Les marins ont adoré la chanson et certains navigateurs aussi, comme Eugène Riguidel, mon ami, et Marc Pajot… rappelle Renaud. Sauf Florence Arthaud, qui a mis du vernis à ongles sur la bande de la cassette, pile au moment du mot « lapin »…  Grâce à Dès que le vent soufflera, j’ai même croisé Eric Tabarly lors d’une émission de télévision… Pour une fois que j’ai de l’admiration pour un militaire. » L’année suivante, Renaud parraine et sponsorise un trimaran de course, le Gérard Lambert.

Marins d’opérette

« L’équipée maritime de Renaud aurait pu faire sourire dans le milieu, ou être prise avec condescendance, note Titouan Lamazou, qui illustrera plus tard la pochette de Boucan d’enfer.La chanson a fait rire, on était flattés qu’il évoque notre métier. Et puis, il avait un peu pris de court les critiques à propos de son voyage de plaisancier, notamment en parlant dans le texte de Riguidel, réputé pour avoir du bien. » Alors, Dès que le vent soufflera, chant de marin? Chant de mer? « Le style décalé, caustique, sur les marins d’opérette ou d’occasion reste très urbain, argumente Pierre Morvan, président du Festival du chant de marin de Paimpol. Ce n’est pas une chanson de marins-pêcheurs, plutôt une invitation à larguer les amarres. »

Quelques uns des 15 artistes qui ont enregistré le CD La Bande à Renaud.© B. D’Allessandri/Service de presse

Reprise par le groupe Les Marins d’Iroise, qui la placent en concert juste avant Santiano, et, récemment, sur l’album La Bande à Renaud (Renan Luce, Nolwenn Leroy, Bénabar, Carla Bruni, etc.) en hommage au chanteur, ce tube atypique est entré dans l’imaginaire collectif, dans les chorales, les écoles, les clubs de voile, les colos, les bordées. « Renaud s’est emparé du lexique de la marine, des images d’Epinal et des clichés, et il en a fait un air emblématique, commente Alain Lanty, pianiste du chanteur, à l’origine du CD La Bande à Renaud. Toutes les tournées en Bretagne ont été de grandes réussites. » Dès que le vent souffleraa toujours figuré dans les tracklistings pour enflammer le public en fin de concert. 

Le fameux « tatatsin », « cri de guerre de visage pâle », dixit Renaud, joué sur une guitare désaccordée, annonce le côté tragique, cinématographique de l’histoire, puisque les chansons de marin sont toujours désespérées. 

Déclinée en bande dessinée

Dès que le vent soufflera, avec ses rimes pleines de gags, a été logiquement déclinée en bande dessinée : en 1988, dans l’ouvrage collectif Les Belles Histoires d’Onc’ Renaud (Delcourt) et, au printemps dernier, dans Renaud, Chansons à la plume et au pinceau ( Carpentier). Auteur de la première adaptation, Michel Plessix a inversé les couplets, « pour créer une histoire ». Il a ajouté des pirates des mers de Chine chers aux lecteurs de bédés et introduit la menace contemporaine d’une marée noire.  La seconde, signée Jean-Marc Héran, insiste, « à la fois sur le rêve de gosse d’aventurier de Renaud et sur son côté baudelairien ». « Renaud l’ami, moitié de marin, petit frère des hommes, cher chansonnier », écrivait jadis Jean Vautrin. Le fameux « Dès que le vent soufflera, je repartira » a traversé les générations et court toujours sur les ondes. Mais Renaud ne couche plus, sur du papier blessé, sa révolte et ses désillusions. Son dernier album, Molly Malone, une collection de ballades irlandaises, remonte à 2009. Le prochain, c’est quand il voulera.

« C’est pas l’homme qui prend la mer
C’est la mer qui prend l’homme. »
Moi la mer, elle m’a pris
Je m’souviens, un mardi.
J’ai troqué mes santiag’
Et mon cuir un peu zone,
Contre une paire de docksides
Et un vieux ciré jaune.
J’ai déserté les crasses
Qui m’disaient : « Sois prudent
La mer c’est dégueulasse
Les poissons baisent dedans! » […]
Dès que le vent soufflera, je repartira
Dès que les vents tourneront, nous nous en allerons… 

Paroles et musique de Renaud Séchan.

  

Source : L’Express