Publié le 07/11/2016
En 1991, Manu, 20 ans, était tué à Albert (Somme) par un brigadier. Une bavure qui avait inspiré Renaud. L’artiste, en concert samedi au Zénith d’Amiens, lui a dédié une chanson.
« Je suis fan de Renaud. Il a écrit pour mon pote, Manu, tué par un flic à Albert. » Francis Moreno livre cette histoire, devant le Zénith. Il a 51 ans. Il habite Corbie (Somme). Samedi, il était le premier des fans, planté là à 5 heures du matin. À 8 heures, le voilà seul au milieu des grands parkings vides à faire de la buée dans sa voiture.
À discuter dans le froid et le brouillard, on imagine Gérard Lambert déboulant à mobylette quand dans le lointain « les bourgeois dorment comme des cons ». |
« J’AI EMBRASSÉ UN FLIC » : LA CHANSON NE PASSE PAS
Francis Moreno a beau être un fan inconditionnel de Renaud, il ne digère pas l’un de ses derniers titres : « Je comprends qu’il pensait à ses potes de Charlie Hebdo, mais jamais je n’aimerais sa chanson »J’ai embrassé un flic » ». Reste qu’hier soir, au milieu de plus de 5 000 fans, Francis a pensé à son pote Manu, 20 ans, tombé pour une mob sans feux. Et il aura sans doute eu un pincement au cœur quand l’artiste a dédié l’une de ses plus belles chansons, « Manu », à cet ami disparu trop tôt. |
Une mobylette sans feu, les policiers n’aiment pas
L’histoire tient la route : la mort de Manu, à Albert, petite ville de 10 000 habitants, beaucoup s’en souviennent. Emmanuel Deflandre, « Manu », a été mortellement blessé d’un coup de feu tiré par un brigadier de la police nationale. C’était le samedi 6 avril 1991. « En mob sans lumière, il n’avait rien fait mais les flics ont voulu le choper et il a pris une balle », raconte-t-il.
Il est 5 heures du matin, il fait nuit, Manu file dans le noir près d’une boîte, le Malibu. Il échappe à un premier contrôle. Il sait qu’il a un peu bu (l’autopsie révélera 1,15 gramme d’alcool dans le sang). Et à l’époque, une mob sans feux, les policiers n’aiment pas. Les mobs tout court, ils n’aiment pas.
Avec leur voiture, ils bloquent Manu contre un mur près du commissariat. Ils descendent pour l’attraper. Mais un brigadier a déjà sorti son Manurhin 357 avant de le ceinturer… Le coup de feu part. La balle de 9 mm perfore le thorax de Manu et ressort sous son aisselle droite. Il meurt 72 heures après à l’hôpital Nord d’Amiens.
« La franche bavure d’un brigadier pépère »
Le policier est suspendu et poursuivi pour coups et blessures involontaires. Il dira au procès avoir pensé aux voleurs de cyclos qui sévissaient dans le coin. Il sera condamné à 18 mois de prison avec sursis. Le procureur ne l’accable pas : « 30 ans de carrière sans faute, estimé, formé, compétent ». Cette peine, c’est peu pour les proches de la victime qui dénoncent un acharnement policier sur les jeunes à mobylette, dont Manu.
« S.O.S. bavures » met à disposition de la famille trois avocats. Claude Sarraute, billettiste du Monde, titre : « Mort d’un môme » et parle d’impunité policière, faisant le parallèle avec un jeune tabassé dans un commissariat à Asnières. Sylvestre Naours pour Libération titre : « La franche bavure d’un brigadier pépère ». Il raconte un Manu travailleur loin du gangster, même du p’tit voyou qui allait débuter un stage de couvreur. Bref, Manu était juste jeune avec le look et les réflexes de l’époque.
Cette époque, c’est aussi Renaud. Lui qui justement ne lâche pas les « flics, ces matraqueurs assermentés ». Belle gueule, longs cheveux blonds, gringalet, foulard de fedayin autour du coup, il devient l’ambassadeur de Manu, cet enfant de la DDASS, et des autres qui comme lui sont invisibles pour les uns, nuisibles pour les autres. Manu l’adorait.
Le prénom de la victime résonne en lui
Quand l’artiste apprend l’histoire, le prénom de la victime résonne en lui, c’est un de ses personnages récurrents. Il rédige un billet qu’il remet aux proches du jeune homme (voir ci-contre). Un brûlot qui ne sera pas mis en musique. Dommage. C’est du grand. L’anarchiste lettré est à son apogée.
Au moment du drame, il enregistre Marchand de cailloux. Y figure P’tit voleur où Manu réapparaît : « Salue Manu, Pierrot et Angelo ; Dis-leur bien que l’amitié ça tient chaud ; Tu ris, tu pleures, tu vis pi tu meurs ». Hier soir, 26 ans après, Renaud n’a visiblement pas oublié. Il a dédicacé Manu, à cet autre « Manu ».
Source : L’Aisne Nouvelle