IL N’Y A PAS SI LONGTEMPS, sur le boulevard Montparnasse à Paris, les habitués du quartier croisaient fréquemment un grand type aux cheveux jaunes et à la démarche hésitante, se dirigeant vers un bar, toujours le même. A la fois impressionnés et gênés, ils chuchotaient alors : « Regarde, c’est Renaud. » Mais depuis le 28 mai, tout, ou presque, a changé. A 50 ans, l’artiste est revenu à la lumière avec son nouvel album « Boucan d’enfer » (1) et ce retour n’est pas passé inaperçu. Fort de 750 000 copies vendues en quelques semaines, ce disque, le premier composé de textes originaux depuis sept ans, s’annonce déjà comme un des grands succès commerciaux de l’année. Résultat, Renaud est redevenu Renaud avec, en sus, des cicatrices indélébiles et, aussi, des renoncements.
« Malgré ce triomphe et ces sollicitations, la vie ne lui sourit toujours pas »
L’histoire de ce quinquagénaire déglingué, tout le monde la connaît désormais : après la gloire, il a connu l’errance, l’autodestruction, la panne d’inspiration, le chagrin d’amour et les chagrins tout court. Des malheurs qu’il dissèque à longueur d’interviews et exorcise en chansons, sans fards ni chemins détournés. « Notre famille est de tradition protestante et, donc, pudique par nature, explique son frère aîné, Thierry Séchan, parolier et écrivain controversé. Il lui a fallu faire un immense effort sur lui-même pour mettre ainsi son âme à nu. » Depuis près de deux ans, Renaud héberge Thierry dans son immense appartement parisien. Tricard du showbizz ruiné par les innombrables procès que lui a valus son livre pamphlet « Nos amis les chanteurs », le frangin en a profité pour sortir « Renaud, bouquin d’enfer » (2), un abécédaire déjà écoulé à plus de quarante mille exemplaires. Il poursuit : « Longtemps, Renaud s’est abrité derrière une galerie de personnages comme le fameux Manu. Mais il faut savoir que dans ce Manu, il y avait déjà un peu de lui. Son prénom complet, c’est Renaud Pierre Emmanuel. » Cette chanson, déjà vieille de vingt ans, et son « Rentre chez toi/Y’a des larmes plein ta bière/Le bistrot va fermer/Puis tu gonfles la taulière/J’croyais qu’un mec en cuir/Ça pouvait pas chialer/J’pensais même que souffrir/Ça pouvait pas t’arriver », Renaud en a fait son hymne, bien malgré lui, pendant ses longues années de dérive et d’ivrognerie. Lors d’une discrète tournée dans des petites salles, il y a trois ans, le public, touché par la détresse d’un chanteur qui tenait à peine debout, la lui réclamait à corps et à cris, comme si, par intuition, il avait senti que, seuls, les mots chantés pouvaient guérir les maux intérieurs. Alors pour son retour, Renaud déballe tout. Et ça marche, très fort. « Les grands chanteurs ne meurent pas, enchaîne son frère Thierry. En ce moment, les gens ont besoin d’entendre un homme qui montre ses faiblesses dans un monde qui exalte la force. » Des faiblesses exposées au détriment de ses combats d’antan, dont Renaud se dit fatigué. Même la police, il a renoncé à tirer dessus à boulets rouges. Il avoue en craignant, dans un souffle, que cela ne « brise sa carrière » avoir versé l’année dernière un don conséquent à l’orphelinat mutualiste de la police nationale… Une critique presque unanime a accueilli son « Boucan d’enfer ». Tous, mis à part le quotidien « Libération », ont loué la sincérité de l’artiste phoenix ainsi que la bonne tenue, dans l’ensemble, de ses textes. En attendant la scène, à partir de l’hiver prochain au Zénith de Paris puis dans toute la France, son prochain défi. Car l’homme a encore besoin d’être occupé, de se fixer des objectifs. Son mois de mai, il l’a passé au Canada sur le tournage de « Crime Spree », un polar où il partage l’affiche avec d’autres grandes gueules abîmées, à savoir Gérard Depardieu, Johnny Hallyday et Harvey Keitel. « Malgré ce triomphe et ces sollicitations, la vie ne lui sourit toujours pas, précise encore son frère. Il ne craint rien de plus que le désoeuvrement, porteur de tant de tentations. Mais je le connais par coeur : s’il s’est relevé, c’est aussi parce que, comme tous les artistes, il est narcissique. L’alcool produit des dégâts intérieurs mais, aussi, extérieurs et il ne supportait plus son apparence physique. » Renaud fréquente toujours les bistrots de Montparnasse, son quartier. Mais, désormais, ceux qui osent l’aborder dans la rue ne chuchotent plus. Ils lui disent « bravo », à haute voix.
(1) Renaud, « Boucan d’enfer » (disques Virgin). Prix : 12,50 ? (81,99 F).
(2) Thierry Séchan, « Renaud, bouquin d’enfer », Ed. Du Rocher. Prix : 17 ? (111,51 F).
Source : Le Parisien