N° 793, 14 au 20 décembre 1991
LUNDI 16 DÉC. 1991 | TF1 | 20.50 STARS 90
Quatre ans de silence, et un nouvel album, « Marchand de cailloux » (*), Renaud, tendre et caustique, revient, l’âme en paix, avec dans sa besace, des ballades irlandaises.
« Marchand de cailloux » est un disque enregistré à Londres, avec une atmosphère très irlandaise. Pas rancunier les Anglais après « Miss Maggie » ?
Renaud : Mon arrangeur, Pete Briquette, qui est anglais, voulait travailler chez lui, donc je suis allé à Londres. Quand j’ai évoqué avec ses musiciens l’incident de cette chanson, ce fut l’éclat de rire : ils ne sont pas vraiment Thatchèrophiles. Et puis, sauf Montand ou Sacha Distel, les artistes français sont inconnus à Londres. Quant au son irlandais, tout est venue de mon envie d’un son plus acoustique, avec des mélodies plus traditionnelles. Et, en ayant beaucoup voyagé en Irlande, je suis fasciné par ce pays, j’aime des groupes comme les Pogues, les Cheeftains, les Fureys. On dit qu’à Dublin, les gens laissent la clef sous la porte. Même si certains prétendent qu’il n’y a que des patates à voler. Bref, ce mode de vie me convient.
Il y a aussi des pavés lancés par les gamins?
R. : A Belfast, c’est vrai. D’où la chanson-titre de l’album. Des gosses qui lancent des cailloux comme en Palestine pour l’Intifada. Ou comme, demain, peut-être à Vaulx-en-Velin et ailleurs.
Avez-vous un pays de rêve ?
R. : Aucun pays ne me fait rêver vraiment sauf, peut-être, le Québec, une belle démocratie même si l’on s’y ennuie un peu. J’ai toujours tendance à préférer le dialogue à la violence, même si je peux comprendre parfois qu’on prenne les armes.
Et la France ?
R. : Souvent, on me demande uniquement d’évoquer ce qui me déplaît ici. II suffit de traîner ses bottes un peu dans le monde pour voir que nous avons une belle démocratie. Mais je reste écœuré par les injustices, l’impuissance de la classe politique et leur manque de volonté de changer fondamentalement le cours des choses. Et dans ce cas, je l’ouvre. En chansons.
Que pensez-vous aujourd’hui du rôle des médias que vous avez, hier, boudés ?
R. : Et que je ne boude plus, car mon attitude m’a privé d’un moyen d’information à la sortie de Putain do camion. Sinon, les médias prennent de plus en plus d’importance dans la vie des gens et dans leur fonction de contre-pouvoir. Quand j’ai commencé en 1977 avec Laisse béton, peu d’artistes avaient un discours différent, une révolte, sauf Coluche, Bedos, Cavanna… La censure était de rigueur. Aujourd’hui, ce serait plutôt le pouvoir qui est à la botte des médias. Et l’irrévérence de rigueur. II suffit de voir le nombre de comiques qui balancent à tour de bras sur tout le monde à la télévision. Alors, c’est vrai, mon rôle de
contre-pouvoir est tenu par plein d’autres gens et ma fonction d’agitateur un rien diluée. A moi de faire avec !
D’où l’ambiance plus poétique de « Marchand de cailloux » ?
R. : Peut-être… II y a quand même « 500 connards sur la ligne de départ », sur le Paris-Dakar qui a suscité pas mal de réactions. Ce raid m’énerve depuis longtemps, je l’ai écrit après avoir visionné un reportage.
Une photo de l’album voue saisit chez vous devant une bibliothèque pleine de BD, mais où
trône une photo de Guevara. La révolte et l’enfance, vos deux pôles…
R. : C’est de la psychanalyse ? Le Che, c’est Spirou et Tintin. Une espèce de héros. Spirou et Tintin restent mes deux bandes dessinées de chevet, même si je suis sensible à Hugo Prat ou à Manara.
Et comme toujours, vous êtes inspiré par votre fille, Lolita. Qui grandit. A l’âge où l’on conteste, trouve-t-elle le père un peu ringard ?
R. : Ringard, non, quand même. C’est trop tôt. Et c’est vrai que je ne suis pas pressé de la voir me ramener un fiancé à la maison. Simplement, elle n’aime pas que dans mes textes, je transforme une histoire où elle a été actrice. Sinon, c’est déroutant de voir un bout de chou qui, hier, me pissait sur les jeans, piquer ceux de sa mère ou aller à sa première
boom. On se sent un peu vieux, dépossédé.
Et puis, il y a « Tonton », un hommage un peu critique. Jusqu’à une rupture ?
R. : La fin était différente. Mais, après la guerre du Golfe, j’ai préféré finir avec cette image pathétique, comme s’il était une statue. Et même s’il reste sympathique, il me déplaît que ce gouvernement n’applique plus une politique de gauche.
Et ce projet de film avec Claude Berri, pour « Germinal » ?
R. : Rien n’est encore signé, mais il avait pensé à me faire tourner il y a dix ans. Un jour, en relisant Zola, il m’a vu dans ce personnage. Si je dois avoir le rôle do ma vie, alors ce sera celui-là. Si le film se fait, je risque de décaler mon nouveau spectacle, enregistrer un autre album, me présenter sur scène en 1993 seulement. Et dans des salles à dimension humaine même si je garde le souvenir ému des halls de gare avec les briquets allumés…
Propos recueillis par François Cardinali et Daniel Psenny
(*) Virgin
Source : Télé Star