2006 © 20 minutes
Publié le 28/09/2006 à 00h00 • Mis à jour le 03/10/2006 à 01h25
• Interview intégrale du chanteur-compositeur, qui publie un nouvel album « Rouge sang »
« Rouge sang », c’est un coup de sang ?
Un coup de sang et un coup de coeur. Rouge comme le sang qui irrigue mon coeur amoureux et rouge, comme le sang de l’humain qui coule sur la planète.
Où est la nouveauté dans vos « petites chansons colère »?
Il n’y en a pas vraiment. Je radote toujours un peu car quand on a soif de justice, on n’est jamais rassasié.
Certains vous reprochent d’être devenu consensuel…
Quand je m’assagis, on dit que je m’embourgeoise et quand j’exprime ma colère, on me traite de soixante-huitard attardé ! La chanson « Les Bobos » est peut-être un peu consensuelle parce que tout le monde se reconnaît dedans et que seuls les cons se sentent agressés. Mais je ne crache pas sur les bobos, c’est juste une chronique sociale.
Avez-vous des scrupules à avoir réussi ?
Oui. J’ai été élevé dans une famille protestante un peu puritaine. Inconsciemment, j’ai développé cette idée que la réussite et l’argent, c’était sale. On m’a aussi reproché de payer l’ISF tout en ayant des idées rebelles. J’ai bien évidemment culpabilisé toute ma vie… mais ça ne m’empêche pas de dormir.
Dans « Elle est facho », vous brossez le portrait d’une électrice d’extrême droite « qui vote Sarko ». Au fond, que dénoncez-vous dans cette chanson ?
Que Sarko drague l’électorat de l’extrême droite. A cause du petit croche-pied final « Elle est facho, elle
vote Sarko », on a dit « Renaud traite Sarko de facho », mais en aucun cas je n’ai formulé les choses comme ça.
Selon vous, pourquoi n’a-t-il pas personnellement réagi à votre chanson ?
Parce qu’il est très prudent et malin : il ne veut pas se griller avec une partie de l’opinion qui m’apprécie.
« Rouge sang » est plus tourné vers le monde que votre précédent album « Boucan d’enfer ». Pourquoi ?
Parce qu’aujourd’hui je ne souffre plus, et mes chansons d’amour sont moins désespérées. Comme quoi on peut aussi écrire quand on est heureux, on est moins centré sur soi, plus ouvert sur le monde.
Est-ce qu’au fond, un chanteur écrit toujours les mêmes chansons ?
Brassens disait « Il y a quatre thèmes de chansons : l’amour, la mort, l’injustice et le temps qui passe. » Effectivement, je brode autour de ces thèmes-là. Les raisons de se révolter sont nombreuses et avec ma petite chanson brûlot « J’ai retrouvé mon flingue », je veux montrer à mes fans que mes colères sont toujours présentes. C’est un tout petit échantillon de ce qui me dégoûte sur la planète aujourd’hui : il y a notamment un couplet contre les religions et George Bush. Je viens d’ailleurs d’apprendre qu’aux Etats-Unis, ce grand pays démocratique, ils vont légaliser la torture pour lutter contre le terrorisme.
Qu’on dise « Renaud retrouve l’inspiration » ça vous fait plaisir, ça vous agace ?
C’est marrant, j’avais pas l’impression de l’avoir perdue dans Boucan d’enfer ou alors c’est que le public a des goûts de chiotte car c’est mon plus grand succès commercial. On veut peut-être dire que ma plume est plus féconde aujourd’hui.
Pourquoi avoir remis le texte de la chanson « Les Bobos » avant sa sortie à Vincent Delerm ?
On a fait un concert ensemble pour soutenir Ingrid Bétancourt à Rouen et en coulisses, il m’a dit avec un regard paniqué : « J’ai entendu dire que tu m’assassinais dans une chanson sur les bobos. » Je lui ai répondu : « C’est con, je viens de la chanter en répétition, t’as pas entendu ? Allez, tiens, je te file le texte, tu verras c’est pas vraiment un hommage que je te rends, je dis que tes chansons parlent des bourgeois bohèmes, je ne dis pas que c’est un crime mais je ne dis pas bravo non plus. » Bref, il a lu le texte, il était rassuré et tout heureux. Je lui rends hommage à ma façon parce que je l’adore, et c’est vrai que dans ses rimes, on trouve beaucoup cet esprit bourgeois bohème, il critique et croque les bobos avec un sens de l’observation que j’admire.
Avez-vous mauvaise conscience d’être devenu vous-même un peu bobo ?
Non, car je préfère les bobos aux beaufs, je les trouve moins réac’ parfois et plus ouverts d’esprit.
A votre avis, que penserait le Renaud de 18 ans du Renaud d’aujourd’hui ?
Peut-être qu’il lui dirait que c’est un vieux con conformiste bobo et il aurait sans doute raison parce qu’à 18 ans, faut être rebelle et anarchiste et surtout n’avoir ni Dieu ni Maître, même si beaucoup de gamins ont des idoles et parfois des pires que moi. Vous vous rendez compte que Doc Gynéco a encore du public ! C’est quand même un mec qui a écrit en anglais, parce que courageux mais pas téméraire, « Je suis heureux quand un flic est assassiné ». Et le voilà qui soutient maintenant le ministre de l’Intérieur.
Vous avez d’ailleurs beaucoup critiqué Johnny Hallyday pour son soutien à Nicolas Sarkozy…
J’ai lu une interview où il disait à propos de son adhésion à l’UMP et de son soutien à Sarko : « Je ne ferai aucun commentaire ». Ce que j’ai envie de dire, c’est que s’il n’exprime pas ses idées, c’est qu’il n’en a pas ou qu’il ne sait pas les défendre, c’est peut-être une vacherie mais je le pense sincèrement. Et donc Johnny est fâché à mort. Mais c’est un mec que je respecte, c’est un artiste au parcours exceptionnel.
Accepteriez-vous que votre chanson « Elle est facho » soit reprise dans les meetings de la gauche pendant la campagne présidentielle ?
Je serai partagé entre l’idée d’être utilisé pas tout à fait à bon escient et le fait que ça peut faire barrage à Sarko au second tour et à Le Pen au premier tour. Sans vouloir que cela promotionne Ségolène Royal, que je n’aime pas, si ça peut aider à faire élire le candidat de gauche le mieux placé, alors je serai d’accord.
Avez-vous envie de soutenir quelqu’un ?
José Bové, mais en même temps, c’est un coup d’épée dans l’eau. C’est diviser la gauche et prendre le risque d’un second 21 avril.
Recueilli par Ingrid Pohu
Sur le Web :
– Renaud et Vincent Delerm se sabordent joyeusement pour une auto-promo décalée.
– Si vous voulez savoir quel bobo vous êtes, faites le quizz de Renaud.