RENAUD : TEMOIGNAGES – Pourquoi j’aime Renaud ? par Pascal Sevran

Je chante !

No 18, automne-hiver 1995

Spécial Renaud : 20 ans de chansons

Par Pascal Sevran

Renaud chante avec l’accent qu’on attrape en naissant entre Denfert-Rochereau et l’église d’Alésia; et comme il n’a pas sa langue dans sa poche, alors forcément ça énerve les mémères et les beaufs, et ça l’amuse, Renaud, d’énerver les mémères et les beaufs et les journalistes de Libération.

Comme les vrais gentils, il n’aime pas tout le monde et tout le monde ne l’aime pas heureusement, c’est son honneur et c’est sa gloire. Il n’y a que les salauds qui font l’unanimité et encore. J’aime Renaud pour ce qu’il est, pour ce qu’il dit, pour ce qu’il fait. Il écrit les textes les plus forts, les plus sincères, les plus tendres de sa génération, il vise juste là où il faut, à la tête et au cœur pour nous réveiller ou nous consoler.

J’aime Renaud pour cela justement, parce qu’il croit, le pauvre, qu’un jour « les hommes vivront d’amour ».

J’aime Renaud parce qu’il est gentil même quand il est en colère.

A part cela deux ou trois choses quand même que je sais de lui : Renaud est malgré tout un type anormal. Il aime sa femme (moi aussi), sa fille éperdument, les petits oiseaux, Brassens et François Mitterrand (moi aussi), ça fait beaucoup pour un seul homme, d’autant qu’il s’en prend régulièrement aux êtres sans défense que sont les coureurs du Paris-Dakar, les chasseurs de tourterelles et les toréadors.

Bon, bien sûr, il aime aussi l’O.M., personne n’est parfait, mais c’est mince on en conviendra comme circonstance atté­nuante.

Pour sa défense, même au stade vélodrome il reste un gars du Nord et puis surtout il a mis en musique le Paname de mes dix ans et la banlieue de Robert Doisneau, celle aussi qui « rappe et qui taggue » dans les quartiers nord de Marseille et de Vaulx-en-Velin.

Il chope l’air du temps comme un poulbot vous taxe une clope en passant. Il chante comme on parle dans les rues des cités, avec des mots de tous les jours, il fait des couplets qui disent bien la couleur d’une époque et les humeurs d’un monde, celui qui se traîne depuis Mai 68 et va mourir bientôt aux portes de l’an 2000.

Poète, ce mot ridicule à force d’être galvaudé, je ne veux pas l’employer pour qualifier Renaud, il mérite mieux que cette appellation incontrôlée qui a trop servi aux rimailleurs de M.J.C.

Non, Renaud n’est pas poète, il ne fait pas commerce de ses bons sentiments, il met ses larmes dans son accordéon et son foulard rouge par dessus.

Non, Renaud n’est pas un beau parleur, il a dû prendre des cours de diction avec Patrick Modiano, mais quand il en place une, ça fait du bien là où ça fait mal.

Renaud n’est pas moderne, Dieu merci, même quand il emprunte les jeans troués de Vanessa Paradis, c’est pour rire, évidemment… Il ne déguise pas son âme, il montre ses genoux pour épater sa fille, voilà tout.

Renaud n’est pas chanteur (tout le monde est chanteur aujourd’hui, même moi) c’est un chansonnier dans la meilleure tradition française. Bruant dit-on, oui, mais Brassens plutôt, dès qu’il aura mis de la musique dans sa guitare.

En attendant, Renaud est un artiste, un homme tout simple­ment mais qui dit mieux, beaucoup mieux que les autres, les choses de la vie, de la ville, de l’enfance, surtout.

Ce casseur en santiags a de la confiture au bout des doigts et des bonbecs dans son futal. Il est splendide d’indignation aussi. Alors, forcément, il plaît aux mômes, aux mamans et à nous qui, comme lui, avons bien l’intention de déplaire encore longtemps aux cons et à leurs amis.

Pascal Sevran

  

Source : Je chante !