Renaud, toujours chanteur

La Voix du Nord

Vendredi 1er décembre 2023

On vous en dit plus


PAR NATALIE GROSSKOPF
ngrosskopf@lavoixdunord.fr


Alors que la tournée « Dans mes cordes » se prolonge, Renaud sort aujourd’hui un disque du même nom. Histoire de profiter de belles orchestrations classiques pour habiller ses chansons, à défaut de pouvoir donner de la voix. Nous l’avons rencontré dans un resto parisien du VIe arrondissement.

PHOTO ARCHIVES PIB

Quand on s’engouffre dans ce petit resto parisien, on l’aperçoit tout de suite. Habillé de rouge et de blanc. Il se détache dans le décor. À défaut de bandana, c’est avec un blouson teddy qu’il porte « ses » couleurs. Renaud a l’air « tranquille, peinard », on aurait aimé pouvoir écrire « accoudé au comptoir », comme dans la chanson, mais c’est sur une banquette qu’il est installé, à côté de sa compagne Cerise, qui porte les boucles d’oreille qui lui valent son surnom. Renaud a les cheveux courts, la barbe bien taillée. Pas étonnant, ce collectionneur dans l’âme a une passion pour « les coupe-choux » de barbier, glisse-t-il. Pendant la discussion, les mots sont rares et les silences font toujours douter de l’arrivée des prochains. Mais quand il parle, il est sûr de lui, assène ses réponses dans un souffle. Par  exemple, quand on lui demande pourquoi remonter sur scène alors que sa voix n’est plus là et que physiquement il semble usé : « Parce que je m’ennuyais. »

On comprend aussi qu’il a besoin de cette communion que lui offre son fidèle public, qui remplit les salles et qui le porte. Des moments de partage dans l’amour de chansons qui émeuvent toujours. C’est simple, s’il ne chante pas, il ne sait pas « quoi faire de [sa] vie ». dit-il. Il est toujours à la recherche de cet « immense bonheur » que lui procure la musique et de cette « complicité » intacte avec son public depuis cinq décennies. C’est pour ça qu’il rêve déjà à la tournée suivante qu’il voudrait faire en 2025, « pour fêter 50 ans de chansons ». Même s’il n’accorde pas beaucoup d’importance à la taille des salles, car il « aime autant les petites que les grandes du moment qu’elles sont pleines », Renaud imagine des Zénith, pour faire résonner des orchestrations rock. Il veut des guitares électriques et sait déjà ce qu’il veut chanter : Hexagone, Miss Maggie… Son entourage temporise, il n’y a pas vraiment de projet pour l’instant, « rien n’est calé ».

« En concert, j’aime autant les petites salles que les grandes… du moment qu’elles sont pleines ! »

Pour l’heure, c’est la tournée actuelle qui se poursuit, prolongée jusqu’en mai avec même cinq dates au Canada, puis de nouvelles dates à l’automne prochain, dont une à Liévin. Sur scène, il est accompagné par un quatuor à cordes, un piano (celui de son ami Alain Lanty) et un « indispensable » accordéon. Pour préparer ce petit marathon, Renaud a  suivi une remise en forme et des séances de coaching vocal, et comme il ne boit plus que du Perrier depuis trois ans., il y a un peu de progrès par rapport à la tournée précédente. « Ça se passe mieux », confirme l’entourage. Mais pas de miracle. La voix éraillée est usée par des décennies d’alcool et de cigarette, et les textes sont parfois inaudibles, mais qu’importe.

DES CORDES VOCALES ÉREINTÉES

Si le nom de la tournée et du disque qui sort aujourd’hui font référence à l’orchestration, on sait bien que Dans mes cordes est aussi un clin d’œil à ses cordes vocales éreintées. Comme le fait de reprendre sur scène la chanson de Delpech, Quand j’étais chanteur ? II a l’œil malicieux quand on lui fait remarquer.

Renaud discute tout en s’agrippant à sa cigarette électronique rose, sa dernière addiction. « Ça fait huit mois que l’ai arrêté de fumer », souligne Renaud avec une certaine fierté. Dans son autre main, il tient celle de Cerise. Elle est dans la salle à chaque concert, nous précise-t-il. S’il est en panne d’inspiration et n’arrive plus trop à écrire, c’est pour elle qu’il aimerait réveiller sa plume. « Je rêve de lui faire une chanson », lâche-t-il. « Peut-être pour les inédits de la tournée 2025. » En attendant, dites à « ceux-là qui l’ont enterré, un peu prématuré / dites à ces enfoirés, qu[il] continue de chanter (1). »

(1) Paroles de « Toujours debout ».

Renaud est en concert ce vendredi au Touquet (complet), et le 16 novembre 2024 au stade couvert de Liévin.


IL Y A 30 ANS, RENAUD CHANTAIT « EL’ NORD » ET CARDE UN MORCEAU DE SON CŒUR DANS LES CORONS

Renaud sur le tournage de « Germinal » en 1992…
PHOTO ARCHIVES « LA VOIX »
et le visage de Renaud en Étienne Lantier sur un tifo lensois à Bollaert en mai 2022.
PHOTO SEVERINE COURBE

« Déjà 30 ans ? ». soupire Renaud quand ou lui rappelle que Germinal est sorti sur les écrans en septembre 1993. Si Renaud n’est pas tendre avec le film, il nous dit garder « un souvenir ému » de ces moments passés dans le Nord. À l’époque, Renaud endosse pour Claude Berri le rôle de Lantier, dont il se dit « idéologiquement proche ».

Lui qui a toujours garde précieusement la lampe de mineur de son grand-père maternel, Oscar Mériaux, originaire de Courrières. Sur le tournage, il découvre les petits trésors nordistes, dont il rend compte avec tendresse dans ses chroniques pour Charlie Hebdo : la bière du Nord, qui est « quand même meilleure que le vin de Depardieu » ou la tarte au sucre dont l’inventeur « n’est pas la moitié d’un con ». En fréquentant les figurants et les techniciens nordistes, il entend des chansons patoisantes, celles de Simon Colliez et d’Edmond Tannière. Il décide d’enregistrer à Lille, un studio Gorgone, douze titres en ch’ti, « pour le plaisir ».

« LES CORONS », LE « FRISSON »

Personne ne peut prédire à l’époque le succès populaire que va rencontrer ce disque : Renaud cante el’nord s’est écoulé à 300 000 exemplaires et lui vaudra même une Victoire de lu musique. C’est un épisode de plus dans la longue histoire d’amour qui lie le chanteur au Nord et au Pas-de-Calais, « le meilleur public de France », que ce soit dans les salles de concert ou les tribunes de Bollaert. Il dit volontiers qu’entendre Les Corons lui procure « un grand frisson ».

En octobre 2022, il était d’ailleurs à Lens pour assister à une victoire artésienne contre Lyon (1-0). « C’est incroyable comme les gens étaient contents de le croiser », nous raconte un de ses collaborateurs, soulignant qu’il y a toujours quelque chose de différent pour Renaud quand il est dans ce coin.

D’ailleurs, dans les nouvelles dates de la tournée, la seule ajoutée dans la région est dans le bassin minier, au stade couvert de Liévin (le 16 novembre 2024), et ce n’est certainement pas un ha­sard.  N. G.

« Renaud conte el’Nord », album toujours disponible, chez Virgin, 7 euros.

Chroniques de Renaud parues dans « Charlie Hebdo » (et celles qu’on a oubliées), chez Hélium (Actes Sud).


RENAUD DANS LES RAYONS : UN DISQUE ET UN ROMAN GRAPHIQUE

L’album « Dans mes cordes » sort aujourd’hui

« Dans mes cordes » était le nom de la tournée, ça devient aussi le nom d’un disque. Renaud fait ainsi les choses à l’envers. Sur ce disque, il rassemble 18 titres de son répertoire, en habits de fête, cousus par deux quatuors à cordes féminins. Treize titres, d’En cloque à Marchand de cailloux, de Ma gonzesse à Son bleu, ont été enregistrés en studio. Pour Manhattan-Kaboul, Re­naud est accompagné de la jeune chanteuse Noée, à la place d’Axelle Red. Les cinq autres chansons ont été captées pendant la tournée, élues pour le disque parce que ce sont celles où le « public chante le plus », et ça permettra aux fans d’avoir un souvenir de la tournée.

DU « LIVE » ET DU STUDIO

Malgré tout, pendant l’écoute, passer des enregistrements studio aux enregistrements live, est assez difficile pour les oreilles. Si les orchestrations sont très belles, la voix actuelle de Renaud n’est plus à la hauteur. Car quand « Renaud chante, on dirait une scie sauteuse au milieu d’un orchestre symphonique »… Et ça, c’est Bertrand Dicale qui l’écrit dans les premières de la BD Né sous le signe de l’Hexagone, sortie fin octobre, avec les dessins d’Alain « Gaston » Remy.

Un roman graphique costaud, 300 pages, qui retrace sa vie : ses origines (en partie nordistes), la naissance de sa pensée politique. ses débuts comme libraire puis comme comédien au Café de la gare, les improbables débuts de chanteur et la carrière qu’on connaît ensuite. Une lecture qu’on recommande. aux fans et aux autres, tant le livre fourmille d’anecdotes.

« PAS DE CENSURE »

Lorsque les auteurs sont allés voir Renaud pour lui demander l’autorisation de raconter son histoire, le chanteur n’a mis qu’une condition : « pas de censure» et n’a rien voulu relire. Après tout, n’a-t-il pas toujours prôné que le seul « trésor caché », c’était « l ‘amour et la liberté » ?  N. G.

« Dans mes cordes », chez Parlophone, édition simple ou coffret.

« Renaud, né sous le signe de l’Hexagone », chez Delcourt (30 euros).


SES CHANSONS PRÉFÉRÉES

Quand on demande à un artiste quelles sont ses chansons préférées, il y a souvent beaucoup de tergiversations… Pas avec Renaud. Il n’hésite pas au moment de mettre en exergue cinq titres de son répertoire. Même si au final, il en donne six.

Sans surprise, dans son Panthéon personnel, on trouve en bonne place Morgane de toi (1983) et La Pêche à la ligne (sur l’album Mistral gagnant, 1985), deux chansons écrites pour sa fille Lolita. La première évoque l’époque du bac à suble, la deuxième celle d’une période charnière de l’adolescence et d’une enfant qui grandit et s’éloigne, alors que Lola n’a encore que 5 ans à l’époque.

Il cite aussi En cloque (album Morgane de toi, 1983) et Dans ton sac (Marchand de cailloux, 1991), deux de ses plus belles chansons d’amour, dédiées à la mère de Lolita, Dominique. La première parle avec tendresse de la grossesse tandis que la deuxième évoque la relation amoureuse à travers les objets du quotidien trouvés dans le sac à main de son amoureuse.

Il cite aussi Manu (sur Le retour de Gé­rard Lambert, 1981). Une chanson dans laquelle il veut se persuader qu’on peut noyer un chagrin d’amour dans l’amitié autant que dans la bière, tout en sachant que c’est faux. Enfin, dans ses coups de cœur, il n’omet jamais Tant qu’il y aura des ombres (Marchand de cailloux, 1991).

Une ode à la pêche à la ligne, les deux pieds dans la Sorgue… Pendant que le monde s’embrase. Une pépite de son répertoire.  N. G.

  

Source : La Voix du Nord