Renaud : « Tout pour ma gonzesse »

Grand Public

N° 47, janvier 1984

A partir du 17 janvier, il inau­gure la nouvelle salle de La Villette, avec ses chansons anciennes… et des nouvelles qui ne ressemblent pas tout à fait aux autres. Renaud-la-tendresse laisserait-il «béton». Renaud-le-loubard ? «Pas du tout, répond l’intéressé. Mais moi, j’suis très famille, et là, j’avais envie de dire des trucs à ma femme et à ma fille !»

On se retrouve dans son fief, le «Rendez-vous des amis», petit café-restaurant de la rue Ste Croix de la Bretonnerie, au cœur du Marais à Paris. Là, on le connaît bien, on l’aime bien Renaud. On l’aimait déjà bien avant qu’il ne soit star. Alors, c’est pour ça qu’il traîne souvent par ici. Il s’y sent chez lui.

Ensemble en «jean», santiags, foulard rouge. boucle d’oreille et coupe de che­veux «pacifiste», on ne peut pas le rater, Renaud, tant il a l’air de sortir tout droit d’une de ses pochettes de disque. Je l’arrache à la lecture de son journal, qu’il jette sur la table, à côté de ta tasse de café à moitié vide et de son paquet de «Gita­nes».

— Eh oui, c’est mon coin, ici ! J‘ai même fait mes vrais débuts dans la rue d’à côté, aux «Blancs-Manteaux», il y a sept ans. Là-bas, plus loin, vers le quartier «branché», les «Halles», tout ça. j’aime pas ! Mais ici, c’est mon village.

Ce coin, il l’habite depuis sept ans. Depuis qu’il a rencontré Dominique, sa «gonzesse», comme il dit. De son regard bleu, il scrute sa tasse qu’il a prise au creux de ses mains, comme pour la réchauffer.

— C’est ça, moi, qui m’a vraiment changé la vie. C’est pas tellement la réus­site, comme on dit. D’ailleurs, ça, j’y fais gaffe, je m’imagine pas dans cinq ou dix ans, moi… Bref, ce qui m’a changé vrai­ment, c’est d’avoir rencontré ma femme. Tout est parti de là, en fait. Et puis main­tenant, bien sûr, il y a ma fille, Lolita. Elle a trois ans…

Bref, ce qui m’a changé vrai­ment, c’est d’avoir rencontré ma femme.

Quand il parle de sa fille, Renaud prend vraiment des airs de gosse. II sou­rit :

— C’est marrant, moi, je voulais plu­tôt un garçon. Et c’est juste quand ma femme a été enceinte que j’ai réalisé que je préférais une fille…

Quand il veut faire plaisir à la petite Lolita, Renaud lui chante du Brassens, ou du Bobby Lapointe, deux de ses ido­les, avec… Hugues Auffray.

Renaud avec sa femme Dominique. Elle sera, bien sûr, au premier rang de ses fans à la Porte de Pantin.

— C’est vrai, reprend-il avec convic­tion, c’est quand même extraordinaire, tous les mecs te disent «Ah moi, j’ai découvert Bob Dylan, et j’ai tout pigé». C’est pas vrai. Du moins pour beaucoup. Moi, je le dis franchement, c’est en écou­tant Hugues Auffray, donc avec des paroles françaises, que je l’ai découvert Dylan.

Renaud, ce n’était pas un «fort en thème», à l’école. II ne s’en cache d’ail­leurs pas : les études, ce n’était pas son truc, au petit Renaud Séchan. Cela aurait d’ailleurs pu faire le désespoir de son papa, qui était… professeur dans l’ensei­gnement supérieur. Eh bien pas du tout, ses parents ne l’ont jamais empêché de suivre sa voie. A aucun moment.

Renaud prend un air amusé, s’allume une cigarette, et poursuit :

— De toute façon, je voulais pas être chanteur, au départ. Je voulais être comédien. Et puis la vie a fait que je me suis mis à gratouiller de la guitare (mal d’ailleurs) et à faire la manche Mais au fait, ce n’était pas mon idéal au départ.

«Pas plus, d’ailleurs, que d’être ven­deur ou coursier, comme je l’ai été pour vivre…

Renaud semble réfléchir une seconde, puis il ajoute :

— Enfin si, un peu plus quand même, parce que c’est quand même moins la galère ! Mais le théâtre, le «cinoche», cela m’aurait bien plu malgré tout. Et puis moi, j’ai toujours aimé faire marrer les gens. Depuis que je suis haut comme ça ! Et j’ai toujours écrit des sketches et des poèmes.

Aujourd’hui, il pense sérieusement à écrire un scénario. Une nouvelle carrière en perspective ?

— Oh. je ne sais pas. J’ai envie de raconter une histoire ! Une histoire de jeunes un peu dans le même esprit que mes chansons.

Il a souvent des airs de gosse au piquet, Renaud. Un fond de timidité, peut- être ?

— Oui, c’est sûr. Je suis souvent sur la défensive. Mais comment voulez-vous ne pas l’être, quand vous voyez tout ce qui se passe. Je ne vais pas aller raconter mes états d’âme à la télé — encore qu’on me le demande parfois ! — mats franchement, il est difficile de ne pas être préoccupé par tout ce qui se trame autour de nous. Qu’il s’agisse de la violence à l’échelon planétaire ou de la violence quotidienne, ordinaire. comme on dit.

La violence, il l’a déjà dit, redit, et re­chanté, Renaud l’a en horreur. L’idée même qu’on puisse tuer le plus petit animal lui est insupportable ;

— Je ne suis pas très «cinoche». Faut faire la queue, se garer, etc. J’aime pas bien, alors avant, ma distraction favorite, c’était la pèche à la ligne. Mais j’al arrêté. Même tuer un poisson me révolte…

Et à part la pêche, enfin, l’ex-pêche ? Qu’est-ce qui le passionne ? Ce grand adolescent de 31 ans sourit :

— Ben, y’a mes potes. Ça, c’est sacré. Des fois, on se «biture», complètement. Moi, ma spécialité, c’est la bière et le Ricard. Ensemble ! Croyez-moi, ça fait de l’effet… Mais c’est pas tout le temps, hein ? Non, de temps en temps, seulement. Sinon, je vous le disais, je suis très famille et je ne suis pas un type qui a la bougeotte. Sauf, évidemment…

«Et puis moi, j’ai toujours aimé faire marrer les gens».

Il me fixe droit dans les yeux. Son regard s’éclaire…

— Sauf quand je suis sur mon bateau, avec ma p’tite famille, comme je l’ai fait récemment pendant 7 mois. Mon bateau, il fait 14 mètres. II s’appelle Makhnovtchina, du nom d’un anarchiste ukrainien. En ce moment, il est ancré en Turquie…

Un temps, puis :

— Mais ça, c’est pas avoir la bou­geotte. C’est s’évader…

Pour Renaud, l’évasion, n’est pas pour demain : le 17 janvier, et pour près d’un mois, il inaugurera la nouvelle salle de La Villette. Après on verra…

Pierre Merle

  

Source : Grand Public