Renaud : un chanteur énervant au Zénith

Le Figaro

25 février 1986

Son affiche placardée sur les murs de Paris, Le retour de la chetron sauvage (traduisez tronche en verlan),  laisserait supposer la sortie prochaine d’un méchant film de série B.

Ni Rambo ni Terminator, voici Renaud, pantalon et blouson en jean, bottes de cow-boy, le cheveu raide et blond, la mine espiègle. Musclé comme un flan aux pruneaux, selon son expression et armé de sa guitare, il annonce son retour sur la scène du Zénith (à partir de ce soir) transformée pour l’occasion en port. « Entre Macao et Cherbourg parce que ça fait rêver » me lance-t-il depuis son Q.G. provisoire, un ancien cinéma désaffecté d’Alfortville, transformé en studio de répétition.

Et là, entouré par ses onze musiciens, il répète une trentaine de chansons dont, bien entendu, Miss-Maggie qui a provoqué un mini scandale outre-Manche. largement amplifié par les media, et qui lui a valu de participer notamment à « Apostrophes ». De quoi flatter et gêner notre persifleur hexagonal qui avoue modestement « ne faire que de la chansonnette », ce qui ne l’a pas empêché de couper la France en deux. D’un côté les inconditionnels, de l’autre les détracteurs de ce message d’amour dédié aux femmes, excepté La Dame de fer.

« J’aime me choquer moi-même », avoue-t-il pour se justifier. « Miss Maggie. je l’ai écrite à chaud après la tragédie du stade du Heyssel. En relisant certaines de mes chansons, je me dis parfois que je tape fort, mais il est trop tard pour faire marche arrière. Je crois être plus insolent que méchant. Tant pis si les Anglais ont été choqués par cette chanson. Je n’ai jamais été jusqu’à écrire des ordures sur eux, contrairement à un certain chanteur anglais qui a écrit les pires choses sur nous. »

Il est comme ça Renaud, nature, faussement naïf, espiègle comme un môme qui aime faire des bêtises et qui prend toujours un malin plaisir à choquer les bonnes âmes, à taper sur les curés et les militaires, à brocarder la société

Voilà pour le côté « anar » du personnage, animé par un style direct, percutant, très imagé, aux expressions et aux mots choisis du côté de chez San Antonio et Alphonse Boudard, et qui ne fait que perpétuer une vieille tradition de la chanson française, de Bruant à Brel en passant par Brassens. Où insolence rime avec tendresse, où le drapeau noir  de la révolte flotte sur la marmite sans la faire sauter.

Sensible quand on lui dit qu’il utilise des recettes, il se contente de répondre : « L’écriture me défoule. C’est le seul moment en dehors de la scène où je peux dire tout ce que j’ai sur le cœur. » Message reçu ! Tout comme une célèbre boisson qui ressemble à de l’alcool mais n’en est pas, Renaud aime se donner des airs de casseur alors qu’il est dans la vie un jeune homme charmant et tranquille, doublé d’un artiste généreux qui, cette année, en France, a été à l’origine du formidable élan de solidarité pour l’Éthiopie.

Renaud.

Ajoutez à ces qualité, somme toute bourgeoises, qu’il est un père et un mari exemplaire, qu’il s’émerveille dès qu’il parle de sa femme Dominique et de sa petite fille Lolita.

« C’est mon éducation protestante ! » rétorque-t-il. Pour mieux se moquer de soi-même, il a d’ailleurs fait imprimer sur ses cartes de visite : Renaud, chanteur énervant.

Et il est certain que celui que l’on surnomme méchamment « le Doumeng de la chanson » énerve pas mai de monde. En pleine crise du microsillon, il a vendu en 1985 un million deux cent mille albums de Morgane de toi, il vient de signer un contrat de dix-huit millions de francs avec la société britannique Virgin qui. bien entendu, se frotte déjà les mains. Le voilà propulsé comme une valeur marchande, sollicité par le cinéma, l’édition et même la publicité.

« J’ai du mal à assumer l’argent et la célébrité, reconnait-t-il honnêtement, mais ce n’est pas la hauteur de mon compte en banque qui va me faire changer. » Et de s’avouer aujourd’hui, comme dans une de ses chansons, « fatigué du mensonge et de la vérité, que je croyais si belle et que je voulais aimer, et qui est si cruelle que je m’y suis brûlé ».

De quoi laisser deviner, entre autres, que Renaud, qui a quitté le mouvement Greenpeace avant l’affaire d’Auckland, est toujours prêt à hisser les voues et à défendre les baleines, même s’il a été sérieusement ébranlé dans ses convictions par les mensonges du gouvernement socialiste à propos de l’explosion du « Rainbow Warrior ».

Aujourd’hui, celui qui déclaré être heureux en se levant « parce qu’il fait jour et que je suis vivant » aurait plutôt tendance à se réfugier dans le parti des pêcheurs à la ligne. « Parce qu’au moins les poissons ne me demanderont jamais d’autographe. »

Jean-Luc WACHTHAUSEN.

  

Source : Le Figaro